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livre elle est simplement le fil à lier ces morceaux.

Le volume que nous publions va du moyen âge aux temps de Louis XIV (vers 1660). Il contient les plus célèbres jugements que nos contemporains aient écrits sur les origines, la renaissance et une partie de la plus belle époque de notre littérature. Dans un second volume, qui paraîtrå prochainement, le tableau achèvera de se dérouler jusqu'à l'avénement du romantisme. Il ne nous est pas interdit de caresser le projet d'un volume semblable pour la Littérature ancienne. Si cet espoir s'accomplit, ce sera une bibliothèque peu nombreuse, mais brillante, à l'usage des écoliers les plus sérieux, les plus soucieux d'une haute éducation littéraire. Plus d'un homme du monde et d'une femme d'esprit s'y plairont.

Nous n'avons emprunté qu'à des contemporains. Outre que cette lecture offrira plus d'intérêt à la plupart de nos lecteurs, elle leur offrira encore plus d'utilité. Car, si la langue du xvir° siècle n'est pas fort éloignée d'être une langue ancienne, la langue des Sacy et des Villemain ressemble à celle que nos élèves écrivent, quand ils écrivent bien. Du moins est-elle à portée d'imitation.

Nous avons emprunté à des auteurs d'esprit et de talent fort divers. Nous ne nous sommes pas inquiétés si les écrivains que nous citions pensaient toujours bien, mais nous ne les citons que lorsqu'ils pensent et parlent bien. Nos extraits sont tantôt courts, tantôt fort longs. La règle a été de ne jamais interrompre un développement essentiel; de présenter autant que possible un portrait, un raisonnement, une exposition dans sa suite et toutes ses parties. Quand les étroites limites qui nous enferment nous ont obligés à réduire une citation, nous l'avons fait sans altérer la pensée.

On ne s'étonnera pas si, dans quelques occurrences,

tel jugement sur un auteur est suivi d'un jugement contraire. En histoire littéraire, il y a des opinions, non des dogmes. Il est donc naturel que plus d'une opinion se soit fait jour sur des points mal connus. La science de la Littérature n'est pas plus qu'aucune autre un assemblage inerte de formules: c'est un corps animé de doctrines, qui obéit à toutes les lois de la vie universelle, et à ses naissances, ses morts, ses renaissances, comme la Littérature elle-même. Nous avons voulu donner à nos lecteurs cette haute et sincère idée de l'histoire littéraire. Ils la comprendront mieux, puisque l'incertitude des jugements en matière de goût sera devenue pour eux une idée familière; ils s'y attacheront dans tous les cas avec plus d'ardeur, puisqu'ils verront qu'il y a toujours à défricher, et pour l'avenir de belles moissons à faire. Ajoutons que si, dans l'obscurité de certains endroits, le lecteur s'égarait, il trouverait dans nos notes, à condition de l'y chercher, un petit flambeau qui lui montrerait la route.

Nos notes sont toutes des notes d'éclaircissement. On ne nous reprochera pas d'avoir supposé que l'admiration de la jeunesse pouvait être en défaut. Peut-être nous saura-t-on gré d'avoir aussi usé de discrétion dans l'étendue du commentaire.

Nos notices de même sont le plus courtes possible. Nous n'avons voulu que donner une connaissance générale des écrivains cités. Nous les avons peints en pied le plus souvent, mais d'un crayon rapide. Ces portraits sont sincères; nous ne prétendons pas à d'autre éloge.

On fera sans doute à ce volume plus d'une critique. Nous les appelons de tous nos vœux. Parmi les ouvrages de ce genre, le mieux fait est celui où collaborent le plus de bons esprits. Aucun avis ne sera négligé. C'est le gage que le second volume vaudra mieux que le premier.

LA LITTERATURE FRANÇAISE

PAR LES

CRITIQUES CONTEMPORAINS

DIFFÉRENCE ENTRE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE

ET L'HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE

Il faut soigneusement distinguer entre l'histoire littéraire d'une nation et l'histoire de sa littérature.

L'histoire littéraire commence, pour ainsi dire, avec la nation elle-même, avec la langue. Elle ne cesse que le jour où la nation a disparu, où sa langue est devenue une langue morte. Pour la France en particulier, si les savants bénédictins font remonter son histoire littéraire aux premiers bégaiements de cette langue qui deviendra la langue française, d'autres la cherchent bien loin par delà, dans ce travail de décomposition du latin, et dans ce mélange de mots ibériens, celtiques, germaniques, d'où la langue française est sortie. Il n'y a pas de point fixe, et jusqu'à ce qu'on ait atteint le germe né de ces mélanges, il n'y a point de raison pour arrêter ces recherches. L'histoire littéraire de la France commence le jour où le premier mot de la langue française a été écrit.

De même qu'elle n'a pas de commencement et qu'elle ne cesse qu'avec la nation et la langue, elle doit embrasser tout ce qui a été écrit. Ce doit être une sorte d'inven

taire détaillé et fidèle de tout ce qui a vu le jour et a été lu, une liste raisonnée de tous ceux qui ont tenu une plume; le mérite d'un inventaire de ce genre est de n'omettre personne.

Je suis loin de dédaigner ce genre d'histoire. Les savants bénédictins et, de notre temps, M. Daunou1, par l'exactitude des recherches et la solidité des jugements, ont fait de l'histoire littéraire un genre dans lequel la philosophie, cette âme des écrits, a sa part. Et, à voir les choses en beau, les recueils de ce genre intéressent l'orgueil d'une nation, en lui montrant l'antiquité de ses origines littéraires et la multitude de ses écrivains. Ils répondent à ce besoin de perpétuité et de tradition qui est une vertu nationale: ils témoignent du respect que doit avoir toute grande nation pour son passé. De plus, dans la pratique, ces curieuses archives sont utiles pour l'érudit qui veut s'éclairer sur un détail des mœurs ou de l'histoire des lettres, ou qui cherche tout simplement, comme l'entomologiste ou le botaniste, à connaître tous les individus de la classe des écrivains. Par malheur, la multitude et la variété, dans l'histoire littéraire, ne sont pas, comme dans l'histoire naturelle, des formes sans nombre de la perfection. Dans l'ordre naturel, chaque individu est parfait et le plus convenablement approprié à sa destination, en sorte que la connaissance qu'on en a est parfaite et profitable comme celle de toute vérité. Au contraire, parmi les écrivains, plus on descend, plus l'imperfection se fait voir, jusqu'à ce qu'on en rencontre qui n'ont fait que sentir par la mémoire et écrire par l'imitation, et dont la connaissance, inutile aux esprits bien faits, pourrait être un piège pour ceux qui ne sont pas formés.

Il en est tout autrement de l'histoire d'une littérature. Il y a une époque précise où elle commence et où elle finit, et

Pierre Daunou (1761-1840), littérateur et savant français, membre de la Convention, professeur d'histoire au Collège de France. Il fut, avec Lakanal, le créateur de l'Institut.

l'objet peut en être clairement déterminé. Il y a une littérature le jour où il y a un art; avec l'art cesse la littérature. Mais à quelle époque voit-on commencer l'art, et, dans la langue des lettres, que faut-il entendre par l'art ?

Aucun mot n'a peut-être plus besoin d'être défini, parce qu'aucun n'a été plus détourné de son sens, au profit de plus de paradoxes et de caprices. Si ce mot n'était pas indispensable dans une histoire de la littérature française, je m'en serais passé pour éviter la confusion qui s'y attache, et échapper au danger, peut-être inévitable, de ne pas faire agréer la définition que j'en dois donner.

Qu'est-ce donc que l'art, dans l'acception la plus simple du mot, si ce n'est l'expression de vérités générales dans un langage parfait, c'est-à-dire parfaitement conforme au génie du pays qui le parle, et à l'esprit humain?

Et qu'est-ce que cette parfaite conformité du langage au génie particulier d'une nation et à l'esprit humain en général, sinon l'ensemble des qualités qui le rendent immédiatement clair et intelligible pour cette nation et pour les esprits cultivés de toutes les nations?

Ne pousserait-on pas trop loin la définition, si l'on ajoutait que, pour la France en particulier, il faut entendre par un langage parfait celui dont tout le monde est d'accord, et qui est considéré comme définitif? Ce serait, par exemple, la partie de notre langue à laquelle, depuis bientôt quatre siècles, tout ce qu'il y a eu d'esprits cultivés en France a invariablement attaché le même sens.

L'époque où doit commencer l'histoire de notre littérature est celle où l'art paraît, et où l'esprit français exprime des idées générales dans un langage définitif. Nos pères ont donné à cette époque le nom de Renaissance; laissons-lui cette appellation, quoique ce soit moins une définition exacte qu'un cri d'enthousiasme. L'esprit français, ébloui et charmé à la vue de l'antiquité, croyait renaître et comme sortir des limbes; il ne renaissait pas il entrait lui-même dans l'âge de la maturité;

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