pondit-il, à moins que les pauvres n'en aient be» foin.- En ce cas, dit la Princeffe, contentez-vous » de l'engager; & j'aurai foin de le retirer. --- Je crain» drois, Madame, repartit François, que cela n'arri» vât trop fouvent, & que je n'abusasse enfin de vos » bontés. » 2. Le grand Gustave méditoit le fiége d'Ingolstadt. Il va reconnoître une fortification qu'il veut faire at taquer. Les canonniers de la place tirent fur lui avec tant de jufteffe, qu'un boulet emporte la croupe de fon cheval. Il tombe deffous, enseveli dans la boue & couvert de fang; mais il fe releve promptement, faute fur un autre cheval, & continue de donner fes ordres. Gaffion fut un des premiers qui accoururent au Roi; & cet empreffement lui valut un régiment. Guftave, qui avoit le talent heureux de relever le prix de tous les grades qu'il donnoit, dit à Gaffion : « Ce fera » un régiment de chevet; & l'on pourra dormir auprès » dans une entiere fécurité. » 3. Un homme, qui vivoit avec la plus févere conomie, & dont la table étoit toujours fervie avec une honnête frugalité, vit arriver chez lui, à l'heure de fon repas, un de fes amis qui venoit lui demander à dîner. « Soyez le bien venu, lui dit-il; puifque vous » êtes venu, fans m'avertir, vous dînerez aujourd'hui » avec moi: une autre fois, fi vous voulez me le faire » fçavoir, ou venir de meilleure heure, je dînerai avec » vous. " 4. Un magiftrat du premier ordre, qui avoit rendu un fervice fignalé à un riche particulier, vit arriver chez lui, quelques jours après, un homme qui lui préfenta, de fa part, deux beaux flacons de vermeil, & d'une bonne capacité. « Je fçais ce que c'eft, dit le magiftrat, fans s'émouvoir; » &, ayant fait appeller fon maître-d'hôtel : « Rempliffez, lui dit-il, ces flacons » de mon meilleur vin, & qu'on les porte chez monfieur un tel.» Puis, fe tournant vers celui qui lui avoit présenté les flacons : « Dites-lui, s'il vous plaît, » qu'il ne l'épargne pas, tant qu'il le trouvera bon. » 5. En 1520, François 1 & Henri VIII eurent une entrevue entre Ardres & Guifnes. Il étoit réglé que les deux Rois pafferoient le jour enfemble; que celui de France fe retireroit, le foir, à Ardres, & celui d'Angleterre à Guifnes. François I, qui se piquoit de beaucoup de franchise, & vouloit se délivrer de toutes ces formalités, part un matin, suivi d'un page, & de deux gentilshommes, fe rend à Guifnes, & dit au gouverneur du château, qu'il trouve fur le pont avec deux cens archers: « Mes amis, je vous fais mes prison»niers. Qu'on me conduife à l'appartement de mon frere le roi d'Angleterre. » Ce Prince, fort furpris de l'aventure, s'écrie, en le voyant entrer : « Mon frere, » vous me faites le meilleur tour que jamais homme fit » à autre, & me montrez la grande fiance que je dois » avoir en vous; & de moi, je me rends votre pri» fonnier, dès cette heure, & vous baille ma foi. » Les deux Monarques pafferent quelques heures ensemble; & le refte du tems de l'affemblée se passa en fêtes, & avec une confiance réciproque. 6. Un jeune Duc, s'étant attiré la difgrace de Louis XIV, par une conduite qui déplut à ce Monarque, & voulant regagner fon eftime, alla au feu, pendant le fiége de Mons, avec une intrépidité & un jugement de héros. Le Roi lui rendit alors les bonnes graces, & lui dit : « Vous n'étiez pas content de moi; je ne l'étois "pas de vous: oublions le paffé, & désormais datons » de Mons. » Il avoit donné une penfion de fix mille livres à M. l'avocat-général Talon. M. De Lamoignon, qui étoit auffi avocat-général, pria Sa Majefté de vouloir bien lui en accorder autant. Le Roi le lui promit. Six mois fe pafferent, pendant lefquels M. De Lamoignon vit fouvent le Roi, fans lui parler de rien. Sa Majesté lui dit un jour : « M. De Lamoignon, vous ne me par» lez plus de votre pension. Sire, lui répondit ce » magiftrat, j'attends que je l'aye méritée. Si vous » le prenez de ce côté-là, reprit le Monarque, je vous » dois les arrérages. » En effet ces arrérages furent payés, Louis XIV lui ayant accordé la penfion, à commencer du jour qu'il la lui avoit demandée. Ce Prince s'amufoit quelquefois à faire des vers. MM. De Saint-Agnan & D'Angeau lui montroient comment il falloit s'y prendre. Il venoit de compofer un petit Madrigal, que lui-même ne trouvoit pas trop joli. Un matin, il dit au maréchal de Grammont: » Monfieur le Maréchal, lifez, je vous prie, ce petit » Madrigal, & voyez fi vous en avez jamais vu un fi » impertinent parce qu'on fçait que j'aime les vers » on m'en apporte de toutes les façons. » Le maréchal, après avoir lu, dit au Roi : « Sire, Votre Majefté juge divinement bien de toutes chofes; il eft vrai que voilà le plus fot & le plus ridicule Madrigal que j'aye » jamais lu. » Le Roi fe mit à rire, & lui dit : « N'eft-il ❞ pas vrai celui qui l'a fait eft bien fat? que Sire, il » n'y a pas moyen de lui donner un autre nom, » dit le Maréchal. Oh bien! reprit le Roi, je fuis ravi que vous m'en ayez parlé fi bonnement: c'est moi » qui l'ai fait. Ah, Sire, quelle trahison! Que Vo»tre Majefté me le rende; je l'ai lu brufquement!--» Non, M. le Maréchal, les premiers fentimens font toujours les plus naturels. » Le Roi, dit madame de Sévigné, rit beaucoup de cette folie ; & tout le monde c'étoit la plus cruelle petite chofe qu'on pût faire à un vieux courtisan. Voyez ATTENTIONS. CIVILITÉ. ÉGARDS. POLITESSE. SCAVOIR-VIVRE. URBANITÉ. trouva que 161 TRANQUILLITÉ. i. S. Jean le Nain étoit, un jour, fur le chemin du défert de Scété, travaillant à faire des nattes. Quelqu'un lui dit des injures pour le mettre en colere. Il les écouta d'abord fans répondre. L'infolent redoubla fes impertinences; & le faint, craignant enfin de perdre l'heureufe tranquillité de fon ame, jetta ce qu'il tenoit, & s'enfuit. Une autre fois qu'il étoit occupé à fcier des bleds , voyant un frere en colere contre un autre, il s'enfuit encore, & laiffa-là la moifLon. Etant dans l'églife de Scété, il entendit quelques freres qui difputoient l'un contre l'autre : il s'en retourna auffi-tôt vers fa cellule; & l'on remarqua qu'a→ vant d'y entrer, il en fit trois fois le tour. Comme on lui en demandoit la raison, il répondit que fes oreilles étant encore pleines des paroles fâcheules qu'il avoit entendues, il leur avoit voulu donner le tems de s'en purifier, afin de reporter dans fa folitude fon efprit calme & tranquille. Un jour qu'il étoit affis à la porte de l'églife, plufieurs freres fe mirent autour de lui pour lui découvrir leurs pensées, & recevoir fes. avis; ce qu'il faifoit avec beaucoup de charité. Un vieillard, qui en fut témoin, en eut de la jaloufie, & lui dit: »Voilà Jean qui reffemble à une courtifane qui s'ajuste, » & qui s'embellit pour attirer les jeunes-gens. --- Vous » avez raison, mon pere, répondit Jean. Votre ef➡ » prit, continuà le vieillard, eft rempli de venin.--» Cela eft vrai, mon pere, & plus que vous ne pen» fez. Vous en diriez bien davantage, fi vous me con» noiffiez à fond. » Un de fes difciples, lui ayant demandé, quelque tems après, s'il ne s'étoit point fenti ému des difcours du vieillard? « Non, par la grace de » Dieu, répondit Jean. Je fuis au dedans tel que vous » me voyez au dehors. Le fils d'un philofophe, con»tinua-t-il, ayant perdu fon pere, fut élevé chez un autre philofophe qui avoit promis de s'en charger. » Ce jeune homme, ayant infulté la femme de fon » tuteur, fut chaffé de la maison. Il eut un regret fin» cere de fa faute, en demanda pardon à son tuteur, » & le conjura de lui rendre fes bonnes graces. Il faut, » avant toutes chofes, lui répondit le tuteur, que vous paffiez trois ans avec ceux qui font condamnés », aux mines, & que vous les aidiez à porter du mar»bre à la riviere. Les trois ans expirés, le jeune homme » fe présenta au philofophe, efpérant qu'il le laifferoit » rentrer dans fa maison. Il n'eft pas encore tems, lui » dit le tuteur: il faut que vous paffiez trois autres » années à fouffrir toutes fortes d'injures, & même » à donner de l'argent à ceux qui vous en diront. Après » ces trois ans, fon tuteur lui pardonna, & le mena à » Athènes pour apprendre la philosophie. A la porte » de cette ville étoit un vieux philofophe qui mettoit » son plaifir à dire des injures à tous ceux qui entroient. » Il traita de même ce jeune homme qui ne fit qu'en »rire. Comme le philofophe Athénien en paroiffoit » furpris: Il y a trois ans, dit le jeune homme, que je » donne de l'argent à ceux qui me traitent comme vous » faites; & je ne rirai pas à préfent qu'il ne m'en coûte >> rien? Entrez, lui dit le vieillard; vous le méri » tez bien. » 2. Les troupes du célèbre Gonfalve, l'un des plus grands Généraux que l'Espagne ait produits, mécontentes des fatigues de la guerre, se préfenterent à lui en ordre de bataille pour exiger leur folde. Un des plus hardis pouffa les chofes jufqu'à lui préfenter la pointe de fa hallebarde. Le Général, fans s'étonner, faifit le bras du foldat; &, affectant un air gai & riant, comme fi ce n'eût été qu'un jeu : « Prends garde, camarade, » lui dit-il, qu'en voulant badiner avec cette arme, » tu ne me bleffes. » Un capitaine, d'une compagnie de cent hommes d'armes, porta l'outrage plus loin. Il ofa dire à Gonfalve, qui témoignoit fon chagrin d'être hors d'état de procurer les choses dont on avoit befoin: «Eh bien! fi tu manques d'argent, livres ta » fille; tu auras de quoi nous payer.» Comme ces odieufes paroles furent prononcées parmi les clameurs de la fédition, Gonfalve feignit de ne les avoir pas entendues; mais, la nuit fuivante, il fit mettre à mort le miférable qui les avoit dites, & le fit attacher à une fenêtre où toute l'armée le vit, avec terreur, exposé, le lendemain. Après s'être rendu maître de Naples, & l'avoir livrée au pillage, quelques foldats vinrent fe plaindre, avec des cris féditieux, de n'avoir pas eu affez de part au butin: « Il faut réparer votre mauvaise » fortune, leur dit Gonfalve; allez dans mon logis: je » vous abandonne tout ce que vous y trouverez. » 3. Ibatzès, Bulgare, allié à la Famille Royale, se révolta en 1017. Comme cette rebellion donnoit beaucoup d'inquiétude à l'empereur Bafile, Daphnomèle, que ce Prince avoit fait gouverneur d'Acre, le raffura, & lui promit de lui livrer le chef des féditieux; & voici |