1 des satires était bien mal informé ou sa mémoire était singulièrement infidèle. Le vieux rimeur manifeste, au contraire, dans sa correspondance une indignation qui ne prend pas la peine de se contenir. C'est d'abord une lettre du mois de février à M. de Grentemesnil contre certains libelles qu'ont faits contre lui quelques poètes du Pont- Neuf, quelques chantres de ténèbres qui se veulent faire connaître en s'adressant à lui, quoiqu'ils ne soient pas seulement de sa connaissance.La plus grande partie de la lettre est perdue, mais elle dé. signait certainement par son nom Boileau-Despréaux et demandait au gentilhomme normand ce qu'il fallait penser des allégations du jeune satirique. Sur la réponse de Grentemesnil qui démentait cette calomnie, Chapelain s'emporte avec violence contre «le nommé Despréaux », qu'il traite de farceur et de fripon, et confond avec la basse canaille des poètastres affamés. Le roi des beaux esprits n'etait pas tendre, lors que l'on froissait sa vanité, confite en apparente modestie, mais quand il accusait Despréaux de « vilaine envie » avait-il touà fait tort? Il faut convenir néanmoins que l'attaquer ouvert tement était un acte de courage et d'un courage téméraire. La lettre même que nous venons de citer en fournit la preuve. Non pas qu'il y eût en 1663 beaucoup de hardiesse et d'originalité à penser du mal de la Pucelle. Sur ce point depuis l'apparition du poème, si longtemps attendu, si solennellement annoncé, la Mesnardière et Linière n'avaient rien laissé à oser et à inventer. On connait la jolie épigramme que le dernier fit alors courir : La France attend de Chapelain, Une merveilleuse Pucelle. La Cabale en dit force bien; «Je ne m'amuserai point, écrivait Tallemant à critiquer ce tous ces traits en venimés que me tire la basse canaille et la vilaine envie des livre, je trouve qu'on lui fait honneur 1. » Tant était grand le nombre des gens désabusés. Boileau en convient lui-même avec plus de malice encore que de sincérité : Mais, lorsque Chapelain met une œuvre en lumière, Chaque lecteur d'abord lui devient un Linière 2. 4 Le courage ne consistait pas à penser, mais à dire et à proclamer. Vaniteux à l'excès, gonflé de suffisance par l'encens de ses flatteurs, le vieux poète, doux, complaisant, officieux, sincère, cessait d'être un a si bon homme » quand on ne parlait pas de lui pour le louer. Les gros mots et les injures se pressaient sous sa plume, nous l'avons vu, mais son courroux ne s'évaporait pas seulement en paroles: il déchaînait contre le téméraire qui avait osé l'outrager» tout le haut et tout le bas Parnasse, il armait pour sa vengeance tous ses amis de la ville et de la Cour. Et il en avait de fort puissants et de très peu endurants qui facilement auraient passé de la colère aux menaces et des menaces aux coups de bâton 5. De ce nombre était Montausier, esprit austère et farouche, dont les colères, même littéraires, n'étaient pas tendres. Ce vertueux et rude personnage ne parlait rien moins que d'envoyer l'audacieux satirique rimer, la tête en bas, dans la rivière ou de l'expédier aux galères couronné de lauriers 6. Moins vive dans l'expression, mais plus dangereuse au fond était la rancune d'un autre protecteur de Chapelain, l'impassible Colbert. Celui que Madame de Sévigné appelait l'homme de marbre, virum marmoreum, ne faisait point de menaces ridicules; mais il agissait. 1 Id., ib. p. 164. 2 Sat. IX, v. 235 et 236. 3 Ib. V. 215. 4 Bolæana. Chapelain le dit au moins dans sa lettre à M. de Grentemesnil,et quoique les procédés violents répugnent à son humeur pacifique il n'est pas au fond faché de voir ses amis dans ces brutales dispositions: « l'aveu du libelle lui (à Boileau) pouvait attirer une distribution qui seroit bien autrement la risée du monde que ces impertinentes compositions, ceux qui lui parloient estant tout propres à l'en chastier sur le champ, sans m'en demander avisfet mesme contre mon intention. Lettres de Jean Chapelain, t. II, p. 387, 388. 6 Brossette, Comm. du v. 135 de la Sat. IX. et du Dise. sur la satire. Non content de tenir fermée, pour l'imprudent poète, la bourse des gratifications, il voulut empêcher d'accorder des privilèges à ses œuvres. Boileau, déjà illustre, eut longtemps comme nous le verrons dans la suite, à subir les effets de cette redoutable inimitié. Il s'était donc mis sur les bras une affaire dangereuse, en s'attaquant au « roi des auteurs ». Mais, que l'on ne s'y trompe pas, cette guerre acharnée, sans merci de sa part, comme de celle de son adversaire, il l'avait commencée pour son propre compte. C'était donc moins une querelle d'école qu'une lutte personnelle, à laquelle ses amis ne demeurèrent pas étrangers, mais ne prirent point, sauf Furetière, une part ostensible. Ils n'admiraient certainement pas plus que lui les beautés de la Pucelle; je n'ai même aucune peine à croire qu'ils s'associaient de tout leur cœur aux malices de leur ami: mais c'était seulement à table, en petit comité. Au dehors, ils avaient des ménagements à garder, car tous étaient plus ou moins redevables à la victime habituelle de Despréaux. Molière et Racine figuraient sur la liste des pensions1, et le dernier, qui avait corrigé ses odes sur les conseils de Chapelain, continuait à entretenir avec lui des relations suivies 2. La Fontaine soumettait ses contes au jugement de ce potentat littéraire que, comme il s'en vante, « les têtes couronnées, les princes et les princesses, les cardinaux et les ministres d'Etat avaient considéré comme digne de leur approbation et de leurs bienfaits. » Je suis même persuadé qu'au fond ces grands écrivains estimaient médiocrement l'utilité de cet acharnement contre un vieillard qui s'en allait. L'opinion depuis longtemps était faite sur la Pucelle, et Boileau avait seulement donné une forme piquante à des critiques 1 Molière obtient 1,000 livres en 1663 comme « excellent poète comique». Racine en a 800. Pièces intéressantes et peu connues, par M. D., L, P. (De La Place), t. I, p. 197.- En 1664, 1667 et 1666, Molière figure pour 1,000 livres. Racine, qui n'avait que 600 livres en 1664 et 1665, en reçoit 800 en 1666 P. Clément, Lettres, etc., de Colbert, t. V, p. 466 à 472. 2 Lettres de Chapelain, t. II, p. 313. Lettre à Colbert du 22 juin 1663. 3 Lettre de Chapelain à La Fontaine du 12 février 1666, ib., t. II, p. 439. 'Lettres de Jean Chapelain, t. II, p. 387. Lettre à M. de Grentemesnil du 13 mars 1665. déjà vieilles et passées au nombre des vérités acquises. Il est du moins certain qu'autour de lui, on essayait de le retenir en lui montrant le danger de ses railleries'. Il s'y obstinait, malgré ces remontrances, mettant un point d'honneur littéraire à ne pas avoir l'air d'approuver des sottises par son silence, mais aussi pour ne pas abandonner une mine qu'il s'entendait si bien à exploiter. L'animosité dont il fit preuve dans cette guerre impitoyable a plus tard trompé les contemporains et la postérité, et commencé par le tromper luimême. Il a cru qu'au moment où il l'entreprenait, il avait un plan et une tactique. Je crois avoir montré quelle avait été l'occasion de cette guerre: elle est d'abord venue du hasard. Et quant à un système formulé, précis, entrevu d'avance, lorsque, sans parti-pris, l'on examine ce que Boileau, dans les premiers temps, a dit non seulement contre Chapelain, mais contre ses autres victimes, on est tout étonné. Sous ces jugements si nets, si tranchants, l'on ne trouve ni doctrine accusée, ni enseignement clairement exprimé. Racine, il est vrai, reconnaissait à son ami un génie merveilleux pour la satire, un jugement excellent qui lui faisait discerner ce qu'il fallait louer de ce qu'il fallait reprendre 2. Ce discernement précieux, Boileau l'eut de bonne heure, en effet, mais il le devait plutôt à l'instinct qu'à des principes arrêtés. Rarement dans ses premières œuvres, il donne la raison de ses éloges ou de ses injures. Il attaque, il déchire, il emporte souvent la pièce, mais de quel droit et pourquoi? il n'a garde de le dire. Il excelle à trouver des épithètes dénigrantes, il a le tour qui tue on est condamné dès qu'il a parlé: mais le public doit le croire sur parole. Lui-même a parfaitement dépeint et caractérisé son rôle : Le mérite pourtant m'est toujours précieux, Mais tout fat me déplait et me blesse les yeux. Je le poursuis partout comme un chien fait sa proye, 1 Récréations littéraires, note ms. de Brossette, p. 24. C'est Molière qui << vouloit le détourner de l'acharnement qu'il faisoit paroitre. >> 2 Racine, édit. Hachette, in-8°, t. VI. 3 juin 1693. 3 Satire VII, v. 55 à 58. Lettre 113 à J.-B. Racine du Voici maintenant une autre image qui représente absolulument la même idée: En 1675, Mme de Thiange donna en étrennes à son neveu, le duc du Maine, une chambre toute dorée, grande comme une table. Au-dessus de la porte, il y avait en grosses lettres: Chambre du sublime. Au dehors, Despréaux avec une fourche empêchait sept ou huit méchants poètes d'approcher'. Dans la suite, avec moins de délicatesse et d'esprit on l'appellera tout simplement le chasse-coquin du Parnasse. Ce gardien, armé d'une fourche, ce Cerbère qui aboie, écartent du parvis les mauvais écrivains, mais pourquoi l'un ferme-t-il l'entrée, l'autre se jette-t-il sur les gens? ni la foule qui applaudit et s'amuse, ni les malheureux chassés ou mordus ne savent bien le motif de cette justice sommaire. Aussi les adversaires et les victimes du jeune satirique ont-ils eu quelque raison de se plaindre de ces procédés expéditifs et de dire, comme le fait Boursault dans la Satyre des satyres: Il ne faut point avoir l'esprit fort délicat, Le reproche pèche également par la forme et par l'excès; il faut bien avouer pourtant que la plupart du temps, dans les premières satires, l'art de dire avec agrément des méchancetés mordantes, constitue le principal mérite du nouveau Juvénal. De plus, s'il aboie justement contre la médiocrité et l'éloigne du temple, peu lui importe l'espèce de coquin qu'il expulse: la consigne qu'il s'est donnée est de les mettre tous en fuite. De là cette facilité, vraiment regrettable, à changer suivant l'occasion, les noms qu'il fait entrer dans ses vers. Au début, 1 Lettre du 12 janvier 1675. Supplément aux mémoires et lettres de M. le comte de Bussy-Rabutin.-Première partie, p. 181-182.- Menagiana, t. I, p. 222»> 2 Anecdotes littéraires. Paris, 1752, in-12, t. III, p. 120. 3 Boursault, Satyre des Satyres (dans le Recueil de pièces choisies tant en prose qu'en vers, et la Haye, 1714, t. I). P. 397.Scène VI. Cette Satire parut imprimée en 1669, sous ce titre : La Satyre des Satyres, comédie par M. Boursault, in 12 de 60 pages, outre l'épitre et l'avis au lecteur, Paris. Quinet, 1669. Le privilège est du 17 avril, l'achevé d'imprimer du 17 mai. |