les yeux et reconnaissait ceux qui étaient autour de lui. Toutefois, la violence de son mal ne semblait s'être relâchée qu'en ce point qu'il commençait à le sentir. Mais l'esprit était encore plus travaillé que le corps, car il avait nouvelles que Darius devait arriver dans cinq jours; si bien qu'il ne cessait de se plaindre de sa destinée, qui le livrait pieds et mains liés à son ennemi, et lui dérobait une si belle victoire, le réduisant à mourir dans une tente, d'une mort obscure, et bien éloignée de cette gloire si éclatante qu'il s'était promise. Là-dessus, ayant fait entrer ses familiers et ses médecins, il leur dit : « Vous voyez, mes amis, en quel point la fortune me prend, et comme celui que je suis venu chercher me provoque lui-même au combat; il me semble que j'entends déjà le bruit des armes des ennemis: et je ne m'étonne pas si Darius écrivait des lettres si superbes, car je crois qu'il était d'intelligence avec mon malheur, et qu'il savait bien ce qu'il me préparait. Mais il n'en est pas où il pense, si l'on me permet de me faire traiter à ma mode. L'état de mes affaires ne demande pas des remèdes lents, ni des médecins timides : une mort prompte m'est meilleure qu'une tardive guérison. C'est pourquoi, s'il y a quelque secret dans la médecine dont je doive attendre du secours, qu'on sache que je ne cherche pas tant à vivre qu'à combattre. » Une résolution si étrange donna de la frayeur à tout le monde, et chacun en particulier se mit à le supplier de ne vouloir rien gåter par la pré, mais de laisser faire la médecine : « que cipitation, ce n'était pas sans cause que les remèdes extraordinaires leur étaient suspects, puisque Darius, pour se défaire de lui, sollicitait même la fidélité spiritus cœperat: allevabat rex oculos, et paullatim redeunte animo, circumstantes amicos agnoverat : laxataque vis morbi ad hoc solum videbatur, quia magnitudinem mali sentiebat. Animi autem ægritudo corpus urgebat; quippe Darium quinto die in Ciliciam fore nunciabatur. Vinctum ergo se tradi, et tantam victoriam eripi sibi e manibus, obscuraque et ignobili morte in tabernaculo suo exstingui se querebatur: admissisque amicis pariter et medicis «< In quo me, inquit, articulo rerum mearum fortuna deprehenderit, cernitis. Strepitum hostilium armorum exaudire mihi videor, et qui ultro intuli bellum, jam provocor. Darius ergo, quum tam superbas litteras scriberet, fortunam meam in consilio habuit? sed nequidquam, si mihi arbitrio meo curari licet. Lenta remedia et segnes medicos non exspectant tempora mea: vel mori strenue, quam tarde convalescere mihi melius est. Proinde, si quid opis, si quid artis in medicis est, sciant me non tam mortis, quam belli remedium quærere. » Ingentem omnibus incusserat curam tam præceps temeritas ejus. Ergo pro se quisque precari cœpere; ne festinatione periculum augeret, sed esset in potestate medentium : inexperta remedia haud injuria ipsis esse suspecta, quum ad perniciem ejus etiam a latere ipsius pecunia sollicitaret de ses domestiques, et tâchait de les corrompre à force d'argent; qu'il avait fait publier qu'il donnerait mille talents à quiconque ferait mourir Alexandre; et qu'après cela ils ne croyaient pas qu'il se trouvât un homme assez hardi pour hasarder un remède qui pût donner du soupçon. »> VI. Or, entre plusieurs fameux médecins qui avaient suivi le roi en partant de Macédoine, il y en avait un nommé Philippe, Acarnanien de nation, lequel lui ayant été donné dès son bas âge pour être auprès de lui et avoir soin de sa personne, l'aimait avec une tendresse et une passion incroyable, non-seulement comme son roi, mais comme son nourrisson. Celui-ci entreprit de le guérir avec un remède qui ne serait point violent, et qui ne laisserait pas de faire un prompt et puissant effet. Cette proposition n'agréait à personne, qu'à celui sur qui l'épreuve du remède se devait faire; car il est certain que toute autre chose lui était plus aisée à supporter que le retardement. Il n'avait que les armes dans l'esprit, il ne respirait que le combat; et pourvu qu'il pût seulement paraître à la tête de ses troupes, il se tenait assuré de la victoire. Il portait même impatiemment que par l'ordonnance du médecin il fallût attendre trois jours à prendre la médecine. Sur ces entrefaites, il reçut des lettres de Parménion, celui de tous les grands de la cour en qui il avait le plus de créance, par lesquelles il lui mandait « qu'il se gardât bien de mettre son salut entre les mains de Philippe, à cause que Darius l'avait corrompu, en lui donnant mille talents et lui faisant espérer sa sœur en mariage. Ces lettres le mirent dans une étrange perplexité; et tout ce que la crainte et l'espérance lui pouvaient représenter de part et d'autre lui re hostis (quippe Darius mille talenta interfectori Alexandri daturum se pronunciari jusserat): itaque ne ausurum quidem quemquam [arbitrabantur] experiri remedium, quod propter novitatem posset esse suspectum. VI. Erat inter nobiles medicos e Macedonia regem sequutus Philippus, natione Acarnan, fidus admodum regi: puero comes et custos salutis datus, non ut regem modo, sed etiam ut alumnum, eximia caritate diligebat. Is non præceps se, sed strenuum remedium afferre, tantamque vim morbi potione medicata levaturum esse promisit. Nulli promissum ejus placebat, præter ipsum, cujus periculo pollicebatur. Omnia quippe facilius quam moram perpeti poterat : arma et acies in oculis erant; et victoriam in eo positam esse arbitrabatur, si tantum ante signa stare potuisset: id ipsum, quod post diem tertium medicamentum sumpturus esset (ita enim medicus prædixerat), ægre ferens. Inter hæc a Parmenione fidissimo purpuratorum litteras accipit, quibus ei denunciabat, ne salutem suam Philippo committeret: mille talentis a Dario et spe nuptiarum sororis ejus esse corruptum. Ingentem animo sollicitudinem litteræ incusserant; et, quidquid in utramque partem aut metus aut spes subjecerat, secreta æstimatione pensabat. « Bibere perseverem, ut, si venenum datum fuerit, vint devant les yeux et lui partagea l'esprit, sans qu'il sût à quoi se résoudre. « Quoi! disait-il en luimême, prendrai-je cette médecine, afin que si je suis empoisonné, on m'impute encore d'être péri par ma faute? Mais condamnerai-je la fidélité de mon médecin? Me laisserai-je ainsi opprimer dans une tente? Arrive pourtant ce qui en pourra arriver, j'aime mieux mourir par la méchanceté d'autrui que par ma défiance. » Après avoir été longtemps agité de diverses pensées, il ne communiqua à personne ce qu'on lui avait écrit, mais recacheta la lettre de son cachet, et la mit sous son chevet. Deux jours se passèrent dans ces inquiétudes; au troisième, le médecin entre, la médecine à la main. Le roi, se soulevant et s'appuyant sur le coude, prit d'une main la lettre de Parménion et de l'autre le breuvage, qu'il avala sans délibérer. Puis il donna la lettre à Philippe pour la lire, et tant qu'il la lut ne leva jamais les yeux de dessus lui, estimant qu'il pourrait découvrir sur son visage quelques marques de ce qu'il avait dans l'âme. Mais Philippe, après l'avoir toute lue, se montra plus irrité qu'effrayé; et je tant la lettre et son manteau par dépit devant le lit du roi, « Seigneur, lui dit-il, il est certain que mon salut a toujours été attaché au vôtre; mais il ne fut jamais si vrai qu'aujourd'hui, que je ne vis plus que par vous, et que je ne dois plus respirer qu'autant que vous respirerez vous-même. Votre guérison me va justifier du parricide dont on m'accuse; et comme je vous sauverai la vie, vous me la sauverez aussi. La seule grâce que je vous demande est que, bannissant toute crainte, vous laissiez opérer le remède, et que vous délivriez votre esprit des inquiétudes où l'ont jeté vos amis, pleins de zèle à la vérité, mais d'un zèle indiscret et hors de saison. »> Ces paroles ne rassurèrent pas seulement le roi, mais lui remplirent l'âme de joie et d'es ne immerito quidem, quidquid acciderit, evenisse videatur? Damnem medici fidem? in tabernaculo ergo me op. primi patiar? At satius est alieno me mori scelere, quam metu meo. » Diu animo in diversa versato, nulli, quid scriptum esset, enunciat : epistolamque, sigillo annuli sui impressam, pulvino, cui incumbebat, subjecit. Inter has cogitationes biduo assumpto, illuxit a medico destinatus dies, et ille cum poculo, in quo medicamentum diluerat, intravit. Quo viso, Alexander, levato corpore in cubitum, epistolam, a Parmenione missam, sinistra manu tenens, accipit poculum, et haurit interritus; tum epistolam Philippum legere jubet, nec a vultu legentis movit oculos, ratus aliquas conscientiæ notas in ipso ore posse deprehendere. Ille, epistola perlecta, plus indignationis quam pavoris ostendit; projectisque amiculo et litteris ante lectum a Rex, inquit, semper quidem spiritus meus ex te pependit; sed nunc vere, arbitror, sacro et venerabili ore trahitur. Crimen parricidii, quod mihi objectum est, tua salus diluet; servatus a me, vitam mihi dederis. Oro quæsoque, amisso metu, patere medicamentum concipi venis; laxa ' pérance; tellement qu'il dit à Philippe : « Si les dieux t'avaient donné le choix de tous les moyens par lesquels tu aurais pu connaître la créance que j'ai en toi, je crois bien que tu en aurais choisi un autre que celui dont tu viens de faire l'expérience; mais d'en avoir un plus assuré que celuilà, tu m'avoueras qu'il n'était pas en ton pouvoir même de le souhaiter. Tu as vu comme, nonobstant la lettre, je n'ai pas laissé de prendre la médecine; et si je suis en peine de ce qui en arrivera, tu dois croire que c'est autant pour ton intérêt que pour le mien. » Et ayant dit cela, il lui présenta la main en signe de confiance. Toutefois, le remède le travailla de telle sorte que les accidents qui s'ensuivirent fortifiaient beaucoup l'accusation de Parménion; car il perdit la parole, et tomba en de si grandes faiblesses, qu'il n'avait presque plus de pouls ni de respiration. Mais Philippe n'oublia rien de ce qui était de son art pour le secourir. Il lui réchauffa toutes les parties destituées de chaleur, il excita par l'odeur du vin et de certaines viandes ses esprits languissants; et à force de mettre toutes sortes de remèdes en œuvre, il ne cessa qu'il ne l'eût fait revenir. Puis, quand il fut un peu revenu à lui, il se mit à l'entretenir de choses agréables, lui parlant tantôt de sa mère et de ses sœurs, et tantôt de cette grande victoire qui s'avançait à grands pas pour couronner ses triomphes. Enfin, comme la médecine se fut rendue maîtresse et qu'elle eut commencé à faire heureusement son opération, l'esprit fut le premier à reprendre sa vigueur, et le corps ensuite recouvra aussi ses forces beaucoup plus tôt que l'on n'avait espéré; de sorte que, trois jours après avoir été en cette extrémité, il se fit voir à son armée, qui ne regardait pas le médecin avec moins de plaisir et d'empressement que le roi même; chacun le venait embrasser et lui rendre grâce, comme à paulisper animum, quem intempestiva sollicitudine amici, sane fideles, sed moleste seduli, turbant.. » Non securum modo hæc vox, sed etiam lætum regem ac plenum bonæ spei fecit. Itaque : « Si dii, inquit, Philippe, tibi permisissent, quo maxime modo animum velles experiri meum, alio profecto voluisses; sed certiore quam expertus es, ne oplasses quidem. Hac epistola accepta, tamen quod dilueras bibi : et nunc, crede me non minus pro tua fide, quam pro mea salute, esse sollicitum. » Hæc eloquutus, dextram Philippo offert. Cæterum tanta vis medicaminis fuit, ut, quæ sequuta sunt, criminationem Parmenionis adjuverint. Interclusus spiritus arcte meabat: nec Philippus quidquam inexpertum omisit. Ille fomenta corpori admovit; ille torpentem, nunc cibi, nunc vini odore, excitavit. Atque, ut primum mentis compotem esse sensit, modo matris sororumque, modo tantæ victoriæ appropinquantis admonere non destitit. Ut vero medicamentum se diffudit in venas, et sensim toto corpore salubritas percipi potuit, primo animus vigorem suum, deinde corpus quoque exspecta. tione maturius recuperavit : quippe post tertium diem lape et de Minerve, et fit voir, par ces divertissements et ces réjouissances publiques, avec quelle confiance de sa fortune il méprisait les Barbares. Comme il assistait à ces spectacles, il reçut d'Halicarnasse les agréables nouvelles que les Perses avaient été défaits par les siens en une sanglante bataille, et qu'ensuite les Myndiens, les Cauniens et plusieurs autres peuples de cette contrée avaient été mis sous son obéissance. un dieu qui eût sauvé la vie à ce prince. En effet, été faits pour sa santé, il célébra des jeux solenil n'est pas imaginable combien les Macédoniens,nels durant quelques jours en l'honneur d'Escuoutre la vénération qu'ils ont naturellement pour leurs rois, avaient en admiration celui-ci pardessus tous les autres, et combien était grande l'affection qu'ils lui portaient. Premièrement, ils étaient persuadés qu'il n'entreprenait rien sans une assistance particulière des dieux; et comme la fortune lui était toujours favorable, sa témérité lui tournait à gloire, et semblait avoir je ne sais quoi de divin. D'ailleurs, ce qui donnait le plus d'éclat à toutes ses actions, c'était de le voir si jeune venir à bout de tant de hautes entreprises. Joint qu'il y avait en lui certaines choses dont, pour l'ordinaire, on ne fait pas grand cas et qui semblent n'être rien, lesquelles, néanmoins, ont un merveilleux pouvoir pour gagner l'inclination des soldats, comme de s'adonner aux exercices du corps et d'aller vêtu de même façon qu'eux, avec une mine hardie et un corps propre à la fatigue; toutes qualités qui, soit qu'il les dût à la nature ou à l'adresse de son esprit, le faisaient également aimer et révérer des gens de guerre. VII. Darius ayant eu avis de sa maladie, s'avança vers l'Euphrate avec toute la diligence dont était capable une armée aussi pesante que la sienne; et quoiqu'il eût fait dresser quantité de ponts sur cette rivière et qu'il se hâtât le plus qu'il pouvait de gagner la Cilicie, il fut néanmoins cinq jours entiers à faire passer ses troupes. Mais comme Alexandre eut repris ses forces, il vint à la ville de Soles, de laquelle s'étant rendu maître, il condamna les habitants à deux cents talents, pour avoir suivi le parti des Perses, et mit garnison dans la forteresse. Puis, afin de s'acquitter des vœux qui avaient quam in hoc statu fuerat, in conspectum militum venit. Nec avidius ipsum regem, quam Philippum, intuebatur exercitus pro se quisque, dextram ejus amplexi, grates habebant, velut præsenti deo. Namque haud facile dictu est, præter ingenitam illi genti erga reges suos venerationem, quantum hujus utique regis vel admirationi dediti fuerint, vel caritate flagraverint. Jam primum nihil sine divina ope aggredi videbatur: nam, quum præsto esset ubique fortuna, temeritas in gloriam cesserat. Etas quoque, vix tantis matura rebus, sed abunde sufficiens, omnia ejus opera honestabat : et quæ leviora haberi solent, plerumque in re militari gratiora vulgo sunt; exercitatio corporis inter ipsos, cultus habitusque paululum a privato abhorrens, militaris vigor : quibus ille vel ingenii dotibus, vel animi artibus, ut pariter carus ac venerandus esset, effecerat. VII. At Darius, nacio de adversa valetudine accepto, celeritate, quantam capere tam grave agmen poterat, ad Euphratem contendit : junctoque eo pontibus, quinque tamen diebus trajecit exercitum, Ciliciam occupare festinans. Jamque Alexander, viribus corporis receptis, ad urbem Solos pervenerat : cujus potitus, ducentis talentis nomine mulctæ exactis, arci præsidium militum imposuit. Ces jeux achevés, ayant décampé et passé le fleuve de Pyrame sur un pont de bateaux, il se rendit à la ville de Malles, et son second logement fut près de celle de Castabale. Là, Parménion vint trouver le roi, qui l'avait fait avancer avec quelque cavalerie, afin de faire reconnaître les détours des montagnes où il fallait passer pour aller à la ville d'Isse; et lui, s'étant saisi des détroits et y ayant laissé quelque peu de gens pour les garder, avait aussi pris Isse, abandonnée des habitants. Puis, étant entré plus avant, il chassa des montagnes ceux qui s'y étaient retranchés, et après s'être assuré de tous les postes, était venu apporter lui-même les nouvelles de ce qu'il avait fait. Ensuite le roi fit marcher son armée vers cette ville, où, ayant été mis en délibération si l'on devait passer outre, ou attendre là les recrues qui venaient à grandes journées de Macédoine, Parménion fut d'avis « qu'ils ne pouvaient choisir de lieu plus avantageux pour donner bataille que celui-là, parce que ses forces se trouveraient égales à celles de Darius, ces détroits n'étant pas capables de tenir cette multitude d'hommes qui rendait l'ennemi redoutable; il leur représenta qu'ils devaient surtout éviter les Vola deinde pro salute suscepta per ludum atque otium reddens, ostendit, quanta fiducia Barbaros sperneret. Esculapio et Minervæ ludos celebravit. Spectanti nuncius lætus affertur ex Halicarnasso, Persas acie a suis esse superatos; Myndios quoque, et Caunios, et pleraque tractus ejus suæ facta ditionis. Igitur, edito spectaculo ludicro, castrisque motis, et Pyramo amne ponte juncto, ad urbem Mallon pervenit: inde alteris castris ad oppidum Castabalum. Ibi Parmenio regi occurrit, quem præmiserat ad explorandum iter saltus, per quem ad urbem Isson nomine penetrandum erat. Atque ille, angustiis ejus occupatis, et præsidio modico relicto, Isson quoque desertam a Barbaris ceperat. Inde progressus, deturbatis qui interiora montium obsidebant, præsidiis cuncta firmavit; occupatoque itinere, sicut paullo ante dictum est, idem et auctor et nuncius venit. Isson inde rex copias admovit : ubi concilio habito, utrumne ultra progrediendum foret, an ibi opperiendi essent milites novi, quos ex Macedonia adventare constabat : Parmenio non alium locum prælio aptiorem esse censebat : quippe illic utriusque regis copias numero futuras pares, quum angustiæ multitudinem non caperent. Planitiem ipsis camposque esse vitandos, ubi circumiri, ubi ancipiti acie opprimi possent. Timere plaines, où ils pouvaient être enveloppés et accablés du grand nombre, et où ils couraient fortune de succomber, non par la valeur de l'ennemi, mais par leur propre lassitude, parce que si les Perses avaient le moyen de s'élargir, ils auraient de quoi fournir continuellement des gens frais pour le combat. » Il n'y eut pas grand' peine à faire approuver un avis si raisonnable: tellement qu'il fut résolu que l'on attendrait les ennemis dans les détroits des montagnes. Il y avait en l'armée macédonienne un Persien nommé Sisinès, que le gouverneur d'Égypte avait envoyé autrefois à Philippe, qui, l'ayant comblé d'honneurs et de biens, l'avait fait résoudre à quitter son pays pour demeurer auprès de lui; et depuis, ayant suivi Alexandre en Asie, il était des premiers dans sa confidence. Celui-ci reçut par les mains d'un soldat de Crète une lettre cachetée d'un cachet qu'il ne connaissait point. C'était Nabarzane, lieutenant de Darius, qui la lui envoyait, et qui l'exhortait d'entreprendre quelque chose digne de sa naissance et de la grandeur de son courage; que cela le mettrait en haute estime et en grand crédit auprès du roi. Sisinès, qui se sentait innocent, se mit plusieurs fois en devoir de montrer cette lettre à Alexandre; mais le voyant accablé d'affaires et perpétuellement occupé aux préparatifs de la guerre, il différait de jour en jour, attendant de rencontrer l'occasion à propos. Cependant ces remises firent naître un soupçon dans l'esprit du roi, qu'il avait quelque mauvais dessein; car la lettre, avant que de lui être rendue, était tombée entre les mains d'Alexandre, qui, après l'avoir lue et recachetée d'un cachet inconnu, l'avait fait donner sous main à Sisinès pour éprouver sa fidélité. Mais Sisinès ayant laissé passer plusieurs ne, non virtute hostium, sed lassitudine sua vincerentur., Persas recentes subinde successuros, si laxius stare potuissent. Facile ratio tam salubris consilii accepta est : itaque inter angustias saltus hostem opperiri statuit. Erat in exercitu regis Sisines Perses, quondam a prætore Ægypti missus ad Philippum, donisque et omni honore cultus, exsilium patria sede mutaverat : sequutus deinde in Asiam Alexandrum, inter fideles socios habebatur. Huic epistolam Cretensis miles, obsignatam annulo, cujus signum haud sane notum erat, tradidit. Nabarzanes prætor Darii miserat eam, hortabaturque Sisinem, ut dignum aliquid nobilitate ac moribus suis ederet magno id ei apud regem honori fore. Has litteras Sisines, utpote innoxius, ad Alexandrum sæpe deferre tentavit; sed quum tot curis apparatuque belli regem videret urgeri, aptius subinde tempus exspectans, suspicionem initi scelesti consilii præbuit. Namque epistola, priusquam ei redderetur, in manus Alexandri pervenerat, lectamque eam, ignoti annuli sigillo impresso, Sisini dari jusserat, ad æstimandam fidem Barbari. Qui, quia per complures dies non adierat regem, scelesto consilio eam visus est suppres | jours sans se faire voir au roi, lui donna sujet de croire qu'il l'avait supprimée à mauvaise intention; et un jour comme il était parmi les troupes, il fut tué par les soldats de Crète, ce qui fut fait sans doute par le commandement du roi. VIII. Déjà les bandes grecques que Thymodès avait reçues de Pharnabaze, qui étaient la principale et presque l'unique espérance de Darius, avaient joint le gros de son armée. Ceuxci faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour lui persuader de retourner sur ses pas, et de regagner les larges et spacieuses campagnes de la Mésopotamie; ou du moins, s'il rejetait ce conseil, qu'il séparât cette multitude innombrable d'hommes, et ne se mît point au hasard de voir toutes ses forces abattues d'un seul revers de fortune. Cet avis ne déplaisait pas tant à Darius qu'aux grands de sa cour, qui disaient que cette infidèle nation et ces âmes vénales ne lui proposaient de diviser ses troupes qu'afin qu'étant écartées des autres, ils pussent plus aisément livrer à Alexandre ce qu'on leur aurait confié; et que le plus sûr était de les investir avec toute l'armée et de les tailler en pièces, pour laisser à la postérité un exemple mémorable que la perfidie ne demeure jamais sans vengeance. Comme Darius était un prince religieux et humain, il protesta qu'il ne lui arriverait jamais de commettre une si lâche et si horrible méchanceté que de faire ainsi massacrer inhumainement des gens qui étaient à sa solde, et qui l'étaient venu servir sur sa foi. Qui seraient désormais les étrangers qui se voudraient plus fier en lui, s'il avait une fois souillé ses mains du sang de tant de braves soldats? Qu'il y aurait de l'injustice à faire mourir un homme pour un conseil impertinent; qu'il ne se trouverait plus personne qui voulût conseiller les grands, s'il y avait du péril à le faire; enfin sisse, et in agmine a Cretensibus, haud dubie jussu regis, occisus est. VIII. Jam Græci milites, quos Thymodes a Pharnabazo acceperat, præcipua spes et propemodum unica, ad Darium pervenerant. Hi magnopere suadebant, ut retro abiret, spatiososque Mesopotamia campos repeteret. Si id consilium damnaret, at ille divideret saltem copias innumerabiles, neu sub unum fortunæ ictum totas vires regni cadere pateretur. Minus hoc regi, quam purpuratis ejus displicebat: ancipitem fidemet mercede venalem proditionem imminere; et dividi non ob aliud copias velle, quam ut ipsi in diversa digressi, si quid commissum esset, traderent Alexandro. Nihil tutius esse, quam circumdatos eos exercitu toto obrui telis, documentum non inultæ perfidiæ futuros. At Darius, ut erat sanctus et mitis, « se vero tantum facinus negat esse facturum, ut suam sequutos fidem, suos milites jubeat trucidari. Quem deinde amplius nationum exterarum salutem suam crediturum sibi, si tot militum sanguine imbuisset manus? Neminem stolidum consilium capite luere debere; defuturos enim qui suaderent, si suasisse periculum esset. qu'eux-mêmes étaient tous les jours appelés au conseil, où étant libre à chacun de dire ses sentiments, les uns étaient d'une opinion, les autres d'une autre; et toutefois ceux dont les avis étaient les moins bons n'étaient pourtant pas estimés les moins fidèles. » Tellement qu'il envoya dire aux Grecs qu'il les remerciait de ce témoignage de leur affection, mais qu'il les priait de considérer que de retourner en arrière c'était proprement livrer son royaume à son ennemi; qu'en matière de guerre la réputation fait tout, et qu'on ne saurait empêcher le monde de croire que celui qui se retire ne s'enfuie; qu'aussi de penser tirer la guerre en longueur, il n'y avait point d'apparence, à cause que la saison étant déjà fort avancée, à peine y aurait-il des vivres pour une si grande armée, même en un pays désert et ravagé par les siens et par les ennemis; qu'encore moins pouvait-il séparer ses troupes sans s'éloigner de la coutume de ses ancêtres, qui avaient toujours exposé leurs forces entières au hasard d'une seule bataille. » Il ajouta que » cet Alexandre qui était naguère la terreur de l'univers, et qui, le sentant éloigné, s'en venait rempli d'une vaine confiance et tout bouffi d'orgueil, n'avait pas sitôt eu le vent de sa marche, que, de téméraire devenu sage tout à coup, il s'était allé cacher dans le creux des montagnes, semblable à ces animaux timides qui, au moindre bruit des passants, prennent l'épouvante et se sauvent dans leurs buissons; et qu'encore à cette heure faisant le malade, il abusait de la patience de ses soldats, et les frustrait de leur attente: mais qu'il ne lui souffrirait plus de fuir la lice, qu'il s'en irait le faire sortir de sa tanière et le relancer dans son fort. » " Mais tout cela n'était que paroles jetées en l'air Denique ipsos quotidie ad se vocari in concilium, variasque sententias dicere; nec tamen melioris fidei haberi, qui prudentius suaserit. » Itaque Græcis nunciari jubet, ipsum quidem benevolentiæ illorum gratias agere; ceterum, si retro ire pergat, haud dubie regnum hostibus traditurum fama bella stare, et eum, qui recedat, fugere credi. Trahendi vero belli vix ullam esse rationem ; tantæ enim multitudini, utique quum jam hyems instaret, in regione vasta et invicem a suis atque hoste vexata non suffectura alimenta. Ne dividi quidem copias posse servato more majorum, qui universas vires semper discrimini bellorum obtulerint. Et, hercule, terribilem antea regem, et absentia sua ad vanam fiduciam elatum, posteaquam adventare se senserit, cautum pro temerario factum, delituisse inter angustias saltus, ritu ignobilium ferarum, quæ, strepitu prætereuntium audito, sylvarum latebris se occulerent. Jam etiam valetudinis simulatione frustrari suos milites. Sed non amplius ipsum esse passurum detrectare certamen in illo specu, in quem pavidi recessissent, oppressurum esse cunctantes. » Hæc magnificentius jactata quam verius. Cæterum, pecunia omni rebusque pretiosissimis Damascum Syriæ cum modico præsidio avec plus de pompe que de vérité. Après il envoya à Damas, ville de Syrie, son argent et tout ce qu'il avait de plus précieux, avec une légère escorte, et conduisit le reste de ses troupes en Cilicie. Sa femme et sa mère, selon la coutume de cette nation, marchaient à la suite de l'armée, avec les princesses ses filles et le petit prince son fils. De fortune, il se rencontra qu'en une même nuit Alexandre était arrivé au détroit par où l'on entre dans la Syrie, et Darius à cet autre lieu qu'on appelle les Pyles Amaniques. Les Perses, trouvant la ville d'Isse abandonnée des Macédoniens qui s'en étaient emparés, ne doutèrent point qu'ils n'eussent pris la fuite, et furent d'autant plus confirmés en cette créance, qu'ils trouvèrent sur leur chemin quelques soldats qui, étant blessés ou malades, n'avaient pu suivre l'armée. Ces misérables, à la persuasion des grands qui étaient auprès de Darius, gens barbares et cruels, furent traités avec toute sorte d'inhumanité ; car le roi leur fit couper et brûler les mains, et puis commanda qu'on les promenât par tout le camp, afin qu'ils pussent reconnaître le grand nombre de ses troupes; et qu'après les avoir considérées à loisir, on les renvoyât à leur roi pour lui faire le rapport de tout ce qu'ils auraient vu. Ayant donc décampé, il passa la rivière de Pinare, et crut n'avoir plus rien à faire qu'à poursuivre des fuyards. Cependant ceux à qui l'on avait coupé les mains arrivèrent au camp des Macédoniens, et apprirent les nouvelles que Darius s'avançait en la plus grande diligence qu'il lui était possible. On avait bien de la peine à le croire; tellement que le roi envoya du côté de la mer pour reconnaître si c'était Darius qui venait en personne, ou seulement quelqu'un de militum missis, reliquas copias in Ciliciam duxit, insequentibus more patrio agmen conjuge et matre. Virgines quoque cum parvo filio comitabantur patrem. Forte ea dem nocte et Alexander ad fauces, quibus Syria aditur, et Darius ad eum locum quem Amanicas Pylas vocant, pervenit. Nec dubitavere Persæ, quin, Isso relicta, quam ceperant, Macedones fugerent. Nam etiam saucii quidam et invalidi, qui agmen non poterant persequi, excepti erant. Quos omnes, instinctu purpuratorum, barbara feritate sævientium, præcisis adustisque manibus circum. duci, ut copias suas noscerent, satisque omnibus spectatis, nuntiare, quæ vidissent, regi suo jussit. Motis ergo castris, superat Pinarum amnem, in tergis, ut cre debat, fugientium hæsurus. At illi quorum amputaverat manus, ad castra Macedonum penetrant, Darium, quanto maximo cursu posset, sequi nuntiantes. Vix fides habebatur. Itaque speculatores in maritimas regiones præmissos explorare jubet, ipsene adesset, an præfectorum ali. quis speciem præbuisset universi venientis exercitus. Sed quum speculatores reverterentur, procul ingens multitudo conspecta est. Ignes deinde totis campis collucere cœperunt, omniaque velut continenti incendio ardere |