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était sortie tout à coup, et le roi même ne fut pas marri qu'on crût que ç'avait été un présent des dieux. Après, il passa les rivières d'Oche et d'Oxe, et vint à la ville de Marginie, aux environs de laquelle il choisit une assiette propre pour bâtir six villes, deux tournées vers le midi et quatre vers l'orient, assez proches les unes des autres, afin qu'elles pussent plus aisément s'entresecourir. Elles sont toutes élevées sur de hautes collines, et tenaient alors en bride les peuples nouvellement conquis; mais aujourd'hui, ayant oublié leur origine, elles obéissent à ceux à qui elles ont commandé.

XI. Tout était calme : il ne restait plus qu'un grand rocher que tenait Arimaze, Sogdien, avec trente mille hommes de guerre et des munitions | pour deux ans. Ce lieu avait trente stades de hauteur et cent cinquante de tour, et était escarpé de tous côtés, n'ayant qu'un sentier taillé dans le roc, par où l'on pouvait monter. Au milieu de sa pente, il y avait une caverne dont l'entrée était fort étroite et obscure; mais elle venait à s'élargir | peu à peu à mesure qu'elle s'enfonçait plus avant, et au fond c'était encore de grandes grottes, et presque partout il y avait des sources, qui faisaient rouler un fleuve à travers les rochers.

Le roi, ayant reconnu la place, était en délibération de la laisser; après, il se mit dans l'esprit de vaincre même la nature, qui semblait l'avoir fortifiée contre toute la puissance des hommes. Néanmoins, avant que de s'engager à ce siége, il envoya Cophas, fils d'Artabaze, aux Barbares, pour leur persuader de se rendre. Arimaze, se confiant en sa forteresse, répondit plusieurs choses arrogamment, et, pour conclusion, demanda si Alexandre, qui pouvait tout, pouvait aussi voler? » Ce qui étant rapporté au roi le mit dans

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gestis, quæ tantæ multitudini vel per biennium suppeterent. Petra in altitudinem xxx eminet stadia, circumitu cet L complectitur : undique abscissa et abrupta, semita perangusta aditur. In medio altitudinis spatio habet specum, cujus os arctum et obscurum est; paulatim deinde ulteriora panduntur; ultima etiam altos recessus habent; fontes per totum fere specum manant; e quibus collatæ aquæ per prona montis flumen emittunt. Rex, loci difficultate spectata, statuerat inde abire cupido deinde incessit animo, naturam quoque fatigandi. Prius tamen, quam fortunam obsidionis experiretur, Cophan (Artabazi hic filius erat) misit ad Barbaros, qui suaderet, ut dederent rupem. Arimazes, loco fretus, superbe multa respon. dit ad ultimum, an Alexander volare possit, interrogat. Quæ nunciata regi ́ sic accendere animum, ut adhibitis, cum quibus consultare erat solitus, indicaret insolentiam Barbari, eludentis ipsos, quia pennas non haberent: se autem proxima nocte effecturum, ut crederet Macedones etiam volare. << Trecentos, inquit, pernicissimos juvenes, ex suis quisque copiis, perducite ad me, qui per calles et pæne invias rupes domi pecora agere consueverint. » Illi præstantes et levitate corporum et ardore aniinorum strenue adducunt; quos intuens rex : « Vobiscum, inquit, o

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une telle colère, qu'à l'heure même il assembla ses chefs pour leur dire l'insolence du Barbare, qui se moquait d'eux de ce qu'ils n'avaient point d'ailes; « mais qu'il lui ferait bientôt voir que les Macédoniens, quand ils veulent, se transforment en oiseaux. »

Pour cet effet, il leur commanda de lui amener trois cents jeunes hommes des plus dispos et des plus adroits qu'ils pouvaient choisir chacun dans ses troupes; et s'il se pouvait, que ce fussent de ces montagnards qui avaient autrefois mené des troupeaux par les lieux les plus difficiles. Aussitôt ils lui amenèrent une élite de jeunes gens agiles et courageux, auxquels le roi dit, après les avoir tous regardés l'un après l'autre : « Ç'a été avec vous, valeureuse jeunesse, mes compagnons, que j'ai forcé les places qu'on avait crues imprenables, que j'ai franchi les montagnes toujours couvertes de neige, traversé les rivières, percé les détroits de la Cilicie et enduré le froid insupportable des Indes. Vous me connaissez, et je vous connais. Ce roc que vous voyez n'a qu'une avenue que les Barbares gardent, sans songer au reste. Il n'y a ni guet ni sentinelle que du côté qui regarde notre camp. Si vous cherchez bien, il n'est pas que vous ne trouviez quelque sentier qui vous mènera au haut du rocher. La nåture n'a rien fait de si inaccessible où la valeur ne puisse atteindre; et ce n'est que pour avoir entrepris ce dont les autres ont désespéré, que nous sommes maîtres de l'Asie. Faites tant que de gagner le sommet; et quand vous y serez, faitesmoi un signal avec un linge blanc, et je ne manquerai pas avec mes troupes de vous ôter l'ennemi de dessus les bras et de l'attirer à moi. Celui qui montera le premier aura dix talents de récompense, le second en aura un de moins, et ainsi

juvenes, et mei æquales, urbium invictarum ante munimenta superavi; montium juga perenni nive obruta emensus sum; angustias Ciliciæ intravi; Indiæ sine lassitudine vim frigoris sum perpessus; et mei documenta vobis dedi, et vestri habeo. Petra, quam videtis, unum aditum habet, quem Barbari obsident; cetera negligunt: nullæ vigiliæ sunt, nisi quæ castra nostra spectant. Invenietis viam, si solerter rimati fueritis aditus ferentes ad cacumen nihil tam alte natura constituit, quo virtus non possit eniti. Experiendo, quæ ceteri desperaverunt, Asiam habemus in potestate. Evadite in cacumen; quod quum ceperitis, candidis velis signum mihi dabitis : ego copiis admotis hostem in nos a vobis convertam. Præmium erit ei, qui primus occupaverit verticem, talenta x : uno minus accipiet, qui proximus ei venerit; eademque ad decem homines servabitur portio certum autem habeo, vos non tam liberalitatem intueri meam, quam voluntatem. » His animis regem audierunt, ut jam cepisse verticem viderentur: dimissi que ferreos cuneos, quos inter saxa defigerent, validosque funes parabant. Rex circumvectus petram, qua minime asper ac præruptus aditus videbatur, secunda vigilia, quod bene verteret, ingredi jubet. Illi, alimentis in biduum sumptis, gladiis modo atque hastis armati subire cœperunt.

des autres, à proportion jusqu'au dixième. Je m'assure que ce ne sera pas tant l'intérêt qui vous y portera que l'honneur et le désir de me plaire.

Ils écoutèrent le roi d'un si grand courage, qu'ils s'imaginaient d'être déjà au sommet ; et étant congédiés, ils font provision de coins de fer pour ficher entre les pierres, de crampons et de grosses cordes. Le roi fit le tour de la montagne avec eux, et leur commanda d'entrer à la seconde veille de la nuit par l'endroit qui semblait le moins difficile, priant les dieux de les conduire heureusement. Ils se fournirent de vivres pour deux jours, et n'ayant que leurs épées et leurs javelines, commencèrent à monter, marchant quelque temps à pied; puis, quand il fallut grimper, les uns embrassaient les pierres qui avançaient, et se soulevaient eux-mêmes; les autres se guindaient en haut avec des cordes et des nœuds coulants; et les autres, plantant leurs coins, en faisaient des échelons, et passèrent ainsi tout le jour pendus à cette roche avec mille peines et mille dangers. Néanmoins, le plus fort restait à faire, et il leur semblait que le roc croissait toujours en hauteur, outre qu'ils voyaient le spectacle horrible de leurs compagnons qui tombaient dans les précipices, et qu'eux à tout moment couraient la même fortune.

gna la caverne des ennemis; si bien qu'en même temps ils élevèrent le signal dont ils étaient convenus; et la troupe s'étant ralliée, il s'en trouva à dire trente-deux qui s'étaient tués en montant. Le roi, qui n'avait pas plus d'envie d'emporter la place qu'il était en peine de ses hommes, qu'il avait exposés à un si visible danger, fut tout le jour sur pied à regarder ce rocher, et ne se retira pour se reposer que la nuit ne fût fermée. Le lendemain, dès le matin, il fut le premier qui aperçut le signal; néanmoins, il doutait encore si ses yeux ne le trompaient point, à cause de la fausse clarté que fait l'aube à la naissance du jour; mais la lumière venant à croître le mit hors de doute. Ayant donc fait appeler Cophas, par lequel il avait sondé la volonté des Barbares, il l'envoya pour la seconde fois les exhorter de prendre au moins à cette heure un meilleur parti, et s'ils s'opiniâtraient sur la bonté de la place, qu'il leur fit voir à leur dos ceux qui tenaient le sommet.

Cophas fit ce qu'il put pour résoudre Arimaze à s'accommoder, lui représentant « qu'il gagnerait les bonnes grâces du roi, ne l'arrêtant pas davantage devant un roc, au préjudice des grands desseins qui l'appelaient ailleurs. »> L'autre lui parla en des termes encore plus fiers et plus superbes qu'auparavant, et lui commanda de se retirer. Mais Cophas, le prenant par la main, le pria de sortir avec lui hors de la caverne; à quoi le Barbare s'étant accordé, il lui montra les Macédoniens logés sur sa tête; et se moquant de son orgueil avec raison, lui dit «< que les soldats d'Alexandre avaient des ailes. » On

Ils continuèrent pourtant, et firent si bien que, nonobstant toutes ces difficultés, ils gagnèrent le haut du roc, mais si fatigués qu'ils n'en pouvaient plus. La nuit et le sommeil les prirent en même temps, et se couchant par-ci par-là dans ces lieux pierreux, sans penser au danger où ils étaient, ils dormirent jusqu'au jour. Enfin ils se réveillèrent de ce profond sommeil ; et regardant de tous côtés, sans pouvoir découvrir l'en-oyait cependant les trompettes sonner de tous droit où était caché un si grand nombre de gens, ils aperçurent monter la fumée, qui leur ensei

Ac primo pedibus ingressi sunt: deinde, ut in prærupta perventum est, alii manibus eminentia saxa complexi levavere semet, alii adjectis funium laqueis evasere, quum cuneos inter saxa defigerent, gradus subinde queis insisterent. Diem inter metum laboremque consumpserunt. Per aspera enixis duriora restabant, et crescere altitudo petræ videbatur: illa vero miserabilis erat facies, quum ii, quos instabilis gradus fefellerat, ex præcipiti devolverentur; mox eadem in se patienda alieni casus ostendebat exemplum. Per has tamen difficultates enituntur in verticem montis: omnes fatigatione continuati laboris affecti ; quidam multati parte membrorum : pariterque eos et nox et somnus oppressit. Stratis passim corporibus in inviis et in asperis saxorum, periculi instantis obliti, in lucem quieverunt: tandemque velut ex alto sopore excitati, occultas subjectasque ipsis valles rimantes, ignari, in qua parte petræ tanta vis hostium condita esset, fumum specus infra se ipsos evolutum notaverunt. Ex quo intellectum est, illam hostium latebram esse : itaque hastis imposuere, quod convenerat signum ; totoque e numero duos et xxx in ascensu interiisse cognoscunt. Rex, non cupidine magis potiundi loci, quam vicem eorum, quos ad tam

côtés dans le camp des Macédoniens, et toute l'armée pousser en l'air des cris d'allégresse et

manifestum periculum miserat, sollicitus, toto die cacu. mina montis intuens restitit; noctu demum, quum obscuritas conspectum oculorum ademisset, ad curandum corpus recessit. Postero die nondum satis clara luce primus vela, signum capti verticis, conspexit: sed ne falleretur acies, dubitare cogebat varietas cœli, nunc internitente lucis fulgore, nunc condito. Verum ut liquidior lux apparuit celo, dubitatio exempta est; vocatumque Cophan, per quem Barbarorum animos tentaverat, mittit ad eos, qui moneret, nunc saltem salubrius consilium inirent: sin autem fiducia loci perseverarent, ostendi a tergo jussit, qui ceperant verticem. Cophas admissus suadere cœpit Arimazi, petram tradere, gratiam regis inituro, si tantas res molientem in unius rupis obsidione hærere non coegisset: ille, ferocius superbiusque, quam antea loquutus, abire Cophan jubet. At is prehensum manu Barbarum rogat, ut secum extra specum prodeat : quo impetrato, juvenes in cacumine ostendit, ejusque superbiæ haud immerito illudens, pennas ait habere milites Alexandri. Jamque e Macedonum castris signorum concentus, et totius exercitus clamor audiebatur. Ea res, sicut pleraque belli vana et inania, Barbaros ad deditionem traxit; quippe

de victoire. Cela, comme plusieurs autres choses vaines qui arrivent à la guerre, fit rendre les Barbares, parce que, saisis de frayeur, ils n'eurent pas le sens de considérer le petit nombre de ceux qui étaient montés; de sorte qu'ils rappelèrent incontinent Cophas, qui les avait laissés dans cette épouvante, et envoyèrent avec lui trente des principaux d'entre eux pour remettre la place, à condition de sortir la vie sauve.

et

Le roi craignait bien que les Barbares, voyant si peu de gens, ne les fissent sauter dans les précipices; néanmoins se fiant en sa fortune, irrité d'ailleurs de l'audace d'Arimaze, il refusa de les recevoir à aucune composition. Arimaze, croyant ses affaires désespérées, quoiqu'elles ne le fussent point, descendit avec ses parents et la principale noblesse du pays dans le camp d'Alexandre, qui les fit tous battre de verges, puis attacher en croix au pied même du rocher. La multitude qui s'était rendue fut donnée aux habitants des nouvelles villes, avec son argent, et Artabaze laissé gouverneur du roc et de toute la province d'alentour.

LIVRE HUITIÈME.

SOMMAIRE.

I. Les Massagètes, les Dahes et ceux de la Sogdiane ayant été subjugués, les Scythes offrent en mariage à Alexandre la fille de leur roi. Alexandre seul tue un lion dans une chasse, et ensuite il tue Clitus dans un festin, parce qu'il parlait trop librement. II. Il se repent trop tard de ce meurtre. Ses expéditions contre Sysimithrès et les

occupati metu, paucitatem eorum, qui a tergo erant, æstimare non poterant. Itaque Cophan (nam trepidantes reliquerat) strenue revocant; et cum eo xxx principes mittunt, qui petram tradant, et, ut incolumibus abire liceat, paciscantur. Ille quanquam verebatur, ne, conspecta juvenum paucitate, deturbarent eos Barbari; tamen, et fortunæ suæ confisus, et Arimazi superbiæ infensus, nullam se conditionem deditionis accipere respondit. Arimazes, desperatis magis quam perditis rebus, cum propinquis nobilissimisque gentis suæ descendit in castra : quos omnes verberibus affectos sub ipsis radicibus petræ crucibus jussit affigi. Multitudo dedititiorum incolis novarum urbium cum pecunia capta dono data est: Artabazus in petræ regionisque, quæ apposita esset ei, tutela relictus.

LIBER OCTAVUS.

ARGUMENTUM.

CAP. I. Massagetis, Dahis, iterumque Sogdianis subactis, Scythæ sui regis filiam Alexandro conjugem adferunt; qui, leone interfecto, et Iv millibus ferarum in venatione dejectis, Clitum solenni convivio adhibitum, liberiusque loquutum hasta transfigit. — II. Sera Alexandri pœnitentia; bellica deinde expeditiones adversus Bactrianos transfugas et Sysimithren. Philippi, strenuissimi juvenis, et Erigyii, clarissimi ducis, obitus. -III. Spitamenis uxorem, interfecti mariti caput adferentem, Alexander castris excedere jubet: provincias quasdam a præfectorum suorum injuriis vindicat. IV. Frigoris nimia vi pæne opprimitur exer.

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transfuges de la Bactriane. La mort de Philippe, jeune homme illustre et courageux, et celle d'Erigyius, capitaine excellent et renommé. - III. Alexandre commande à la femme de Spitamène, qui apportait la tête de son mari qu'elle avait tué, de sortir du camp. Il venge quelques provinces des injures de leurs gouverneurs. IV. Toute l'armée d'Alexandre est presque perdue par le froid, en allant à Gabala. Constance d'Alexandre et son humanité envers les simples soldats. Son mariage avec Roxane. V. Tandis qu'on n'a point d'autres pensées que pour l'expédition des Indes, Alexandre, devenu superbe par la malice des flatteurs, veut qu'on le reconnaisse pour le fils de Jupiter; ce que Callisthène condamne par un discours grave et sévère. — VI. L'on fait une conspiration contre Alexandre, à cause d'une injure qu'Hermolaus en avait reçue. Cette conspiration est découverte ; et bien que Callisthène soit innocent, il est mis néanmoins entre les auteurs de cet attentat. — VII. Hermolaus fait une invective contre l'orgueil et la cruauté d'Alexandre, et soutient que Callisthène est innocent. VIII. Réponse d'Alexandre à l'invective d'Hermolaus. Punition des conjurés et de Callisthène innocent. - IX. Belle description du fleuve Indus, du Gange, du Dyar. dène, de l'Inde, de ses habitants, de ses rois et de ses sages. -X. Alexandre assujettit divers peuples de l'Inde avec un merveilleux bonheur; non pas, néanmoins, sans verser du sang. XI. Aornus, rocher et citadelle inaccessible, est assiégé et pris par Alexandre, ceux de dedans ayant abandonné la place. -XII. Omphis, prince puissant, s'abandonne à Alexandre avec son royaume; mais Alexandre l'y rétablit, et ces deux rois se font des présents l'un à l'autre. — XIII. Alexandre fait la guerre au roi Porus par les persuasions d'Omphis, et les commencements sont douteux. - XIV. Combat mémorable et sanglant des Indiens et des Macédoniens. Grand courage de Porus, prisonnier, à quoi Alexandre répond par une clémence royale.

I. Alexandre s'étant rendu maître de ce roc avec plus de bruit que de gloire, comme il vit les

citus Gabazam aditurus. Alexandri constantia, et erga gregarium militem humanitas; ejusdem, Cohortano in fidem recepto, cum Roxane matrimonium. V. Cogltationibus in bellum Indicum versis, adulatorum fraude nimia superbia elatus Alexander, more Persarum, Macedonas venerabundos ipsum salutare poscit; quod gravi oratione Callisthenes improbat. VI. Ex ignominia Hermolao, nobili puero, illata, nascitur in caput Alexandri conjuratio: qua detecta, cum auctoribus sceleris innocens Callisthenes in vincula conjicitur. VII. In Alexandri superbiam et crudelitatem invehitur, Callisthenem defendit Hermolaus. VIII. Hermolao Alexander respondet, Callisthenem et reliquos conjuratos necari jubet. IX. In Indiam movet Alexander. Disserit Curtius Indiæ situ, de fluminibus, cœli temperie, animalibus, divitiis, de Indorum ingenio, regum luxuria, gymnosophistarum vita ac sapientia. - X. Alexander Indiæ cis Indum regulos nonnullos sibi occurrentes in fidem recipit, varias urbes et regiones deditionem detrectantes expugnat, et, in Mazagarum obsidione vulneratus, se esse hominem fatetur. XI. Urbem Oram, et petram Aornon, ab Hercule frustra olim obsessam, post multos labores tandem in ditionem redigit. · XII. India cis Indum domita, flumen transit Alexander, Omphimque se et sua tradentem restituit: mutua dona regia. — XIII. Abisares se dedit; Barzaentes et Gamaxus vincti in custodiam traduntur. Alexandri castra ad Hydaspen, et bellum cum Poro; cujus copiis varia arte distractis, ripam adversam occupat Alexander. XIV. Indorum et Macedonum insignis et cruenta pugna: Pori captivi magnanimitas, et Alexandri regis clementia.

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I. Alexander, majore fama quam gloria in ditionem redacta petra, quum propter vagum hostem spargendæ ma

ennemis disposés, divisa son armée en trois, dont il donna une partie à Éphestion, l'autre à Conus, et se réserva le reste. Mais les Barbares ne prirent pas tous même parti; car quelques-uns furent domptés par les armes, et la plupart se rendirent sans combat, auxquels il distribua les villes et les terres de ceux qui s'étaient opiniâtrés dans la révolte. Cependant, les bannis de la Bactriane fourrageant le plat pays avec huit cents chevaux massagètes, Attinas, gouverneur de la province, voulut réprimer leur audace, et, ne se défiant point de la partie qu'on lui avait dressée, se mit aux champs avec trois cents chevaux; mais les ennemis se cachèrent dans un bois situé le long d'une campagne, et firent paraître seulement quelque peu de gens qui chassaient des troupeaux, afin que le butin l'attirât dans l'embuscade. Ce capitaine inconsidéré, marchant en désordre, ne songeait qu'à poursuivre sa proie; si bien qu'il n'eut pas plutôt passé la forêt, qu'il fut chargé à l'improviste et taillé en pièces avec toute sa troupe.

Le bruit de cette défaite vint incontinent aux oreilles de Cratère, qui y accourut avec toute sa cavalerie; mais les Massagètes s'étant déjà retirés, il déchargea sa colère sur les Dahes, et leur tua mille hommes; ce qui mit fin à tous les mouvements de la province. Le roi, de son côté, dompta encore une fois les Sogdiens, et retourna à Maracande, où Péridas, qu'il avait dépêché vers les Scythes qui sont sur les rives du Bosphore, le vint rencontrer avec leurs ambassadeurs. Phrataphernes, satrape des Corasmiens, voyant les Massagètes subjugués et ensuite les Dahes ses voisins, lui envoya aussitôt

nus essent, in tres partes divisit exercitum. Hephaestionem uni, Cœnon alteri duces dederat : ipse ceteris præerat. Sed non eadem mens omnibus Barbaris fuit: armis quidam subacti; plures ante certamen imperata fecerunt, quibus corum, qui in defectione perseveraverant, urbes agrosque jussit attribui. At exsules Bactriani cum Dccc equitibus Massagetarum proximos vicos vastaverunt : ad quos coer. cendos Altinas, regionis ejus præfectus, ccc equites, insidiarum, quæ parabantur, ignarus, eduxit. Namque hostis in sylvis, in quæ erant forte campo junctæ, armatum mili. tem condidit; paucis propellentibus pecora, ut improvidum ad insidias præda perduceret. Itaque incomposito agmine, solutisque ordinibus Attinas prædabundus sequebatur; quem prætergressum sylvam, qui in ea consederant, ex improviso adorti, cum omnibus interemerunt. Celeriter ad Craterum hujus cladis fama perlata est ; qui cum omni equitatu supervenit: et Massagetæ quidem jam refugerant; Daha mille oppressi sunt: quorum clade totius regionis finita defectio. Alexander quoque, Sogdianis rursus subactis, Maracanda repetit: ibi Peridas, quem ad Scythas super Bosporum colentes miserat, cum legatis gentis occurrit. Phrataphernes quoque, qui Chorasmiis præerat, Massagetis et Dahis regionum confinio adjunctus, miserat, qui facturum imperata pollicerentur. Scythæ petebant, ut regis sui filiam matrimonio sibi jungeret; si dedignaretur affinitatem, principes Macedonum cum primoribus suæ gentis connubio coire pateretur : ipsum quoque regem ven

faire hommage. Les Scythes demandaient « qu'u épousât la fille de leur roi, et, s'il ne l'estimait pas digne de cet honneur, souffrît pour le moins que les principaux de sa cour fissent alliance avec les grands seigneurs du pays; et promettaient même que leur roi viendrait en personne le trouver. » Il reçut fort civilement l'une et l'autre ambassade, et, après avoir séjourné là quelques jours pour attendre Éphestion et Artabaze, comme ils furent arrivés, il passa dans la Bazarie.

En cette contrée, leur plus grande magnificence ne consiste qu'en des parcs remplis de bêtes fauves, et, pour cet effet, ils choisissent de grandes forêts arrosées d'eaux, et les ferment de murailles, qu'ils garnissent de tours pour la retraite des veneurs. On en fit voir un entre autres où il y avait quatre cents ans qu'on n'avait chassé. Le roi entra dedans avec toute son armée, et fit lancer des bêtes de tous côtés, parmi lesquelles il y eut un lion d'une épouvantable grandeur qui vint droit à lui; et Lysimaque, lequel régna depuis, se trouvant près du roi et présentant l'épieu à la bête, le roi le repoussa, et lui commanda de se retirer, disant

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qu'il pouvait aussi bien tuer un lion qu'avait fait Lysimaque; » car un jour, comme ce prince chassait en Syrie, il tua bien tout seul un lion prodigieusement grand; aussi il en eut l'épaule déchirée jusqu'à l'os, et fut en un extrême danger de sa vie. Le roi donc lui reprochant cela, fit encore mieux qu'il n'avait dit, puisque non-seulement il ne manqua pas la bête, mais la tua d'un seul coup; et je suis bien trompé si cette aventure n'a donné lieu au conte qu'on fait mal à propos d'Alexandre, qu'il avait exposé Lysimaque au lion. Du reste, quoique ce combat lui eût réussi,

turum ad eum pollicebantur. Utraque legatione benigne audita, Hephæstionem et Artabazum opperiens, stativa habuit; quibus adjunctis, in regionem, quæ appellatur Bazaria, pervenit. Barbaræ opulentiæ in illis locis haud ulla sunt majora indicia, quam magnis nemoribus saltibusque nobilium ferarum greges clausi. Spatiosas ad hoc eligunt sylvas, crebris perennium aquarum fontibus amœnas: mu. ris nemora cinguntur, turresque habent venantium receptacula. Quatuor continuis ætatibus intactum saltum fuisse constabat; quem Alexander cum toto exercitu ingressus, agitari undique feras jussit; inter quas quum leo magnitudinis raræ ipsum regem invasurus incurreret, forte Lysimachus, qui postea regnavit, proximus Alexandro, venabulum objicere feræ cœperat: quo rex repulso, et abire jusso, adjecit, tam a semet uno quam a Lysimacho leonem interfici posse. Lysimachus enim quondam quum venaretur in Syria, occiderat eximiæ magnitudinis feram solus: sed lævo humero usque ad ossa laceratus ad ultimum periculi pervenerat. Id ipsum exprobrans ei rex, fortius, quam loquutus est, fecit; nam feram non excepit modo, sed etiam uno vulnere occidit. Fabulam, quæ objectum leoni a rege Lysimachum temere vulgavit, ab eo casu, quem supra diximus, ortam esse crediderim. Ceterum Macedones, quanquam prospero eventu defunctus erat Alexander, tamen scivere gentis suæ more, ne pedes venaretur, aut sine delectis principum amicorumque. Ille, w millibus ferarum dejectis, in eodem saltu cum toto exercitu

toutefois les Macédoniens ordonnèrent, selon leur coutume, que le roi n'irait plus à la chasse à pied, et sans avoir quelques-uns des grands et de ses officiers avec lui. Après avoir fait mettre par terre jusqu'à quatre mille bêtes, il fit festin à toute l'armée dans ce même parc.

De là, il revint à Maracande, où ayant agréé la prière d'Artabaze de le décharger de son gouvernement à cause de sa vieillesse, il en pourvut Clitus. C'est celui qui avait couvert le roi de son bouclier, comme il combattait la tête nue à la bataille du Granique, et coupé la main à Rhésacès lorsqu'il l'avait levée pour le tuer; un des vieux soldats de Philippe, et qui s'était signalé en plusieurs belles occasions. Sa sœur Hellanice avait nourri Alexandre, qui ne l'aimait pas moins que sa propre mère; si bien que, pour toutes ces considérations, il lui avait confié une des provinces les plus importantes de son empire.

Ayant ordre de partir le lendemain, il fut convié le soir à un festin, où le roi, après avoir bien bu, se mit à célébrer ses exploits, ne gardant aucune mesure à se louer lui-même, et se rendant importun même à ceux qui savaient qu'il disait la vérité. Les plus anciens néanmoins se turent, jusqu'à ce qu'ayant commencé à ravaler les faits de Philippe, il se vanta « que cette fameuse victoire de Chéronée était son œuvre, et que la gloire d'une si grande action lui avait été ravie par la malignité et la jalousie de son père; qu'en la sédition survenue entre les Macédoniens et les Grecs soudoyés, Philippe, affaibli de la blessure qu'il avait reçue en ce tumulte, s'était couché par terre, et n'avait point trouvé de meilleur expédient pour se sauver que de faire le mort; et qu'alors il l'avait couvert de son bouclier, et tué de sa main ceux qui se vou

epulatus est. Inde Maracanda reditum est; acceptaque ætatis excusatione ab Artabazo, provinciam ejus destinat Clito. Hic erat, qui apud Granicum amnem nudo capite regem dimicantem clypeo suo texit, et Rhosacis manum capiti regis imminentem gladio amputavit: vetus Philippi miles, multisque bellicis operibus clarus. Hellanice, quæ Alexandrum educaverat, soror ejus, haud secus quam mater a rege diligebatur: ob has causas validissimam imperii partem fidei ejus tutelæque commisit. Jamque iter parare in posterum jussus, solenni et tempestivo adhibetur convivio: in quo rex, quum multo incaluisset mero, immodicus æstimator sui, celebrare, quæ gesserat, cœpit; gravis etiam eorum auribus, qui sentiebant vera memorari. Silentium tamen habuere seniores, donec Philippi res orsus obterere, « nobilem apud Charoneam victoriam sui operis fuisse jactavit; ademptamque sibi malignitate et invidia patris tantæ rei gloriam. Illum quidem, seditione inter Macedones milites et Græcos mercenarios orta, debilitatum vulnere, quod in ea consternatione acceperat, jacuisse, non alias quam simulatione mortis tutiorem; se corpus ejus protexisse clypeo suo, ruentes. que in illum sua manu occisos. Quæ patrem nunquam aquo animo esse confessum, invitum filio debentem salutem suam: itaque post expeditionem, quam sine eo fecisset

laient jeter sur lui; mais que son père ne l'avait jamais voulu avouer franchement, comme ayant regret de devoir la vie à son fils : qu'au voyage qui s'était fait contre les Illyriens, il en avait seul remporté la victoire, Philippe ne s'y étant point trouvé, ni n'ayant rien su de la défaite des ennemis que par ses lettres; que ceux-là étaient dignes de louange, non pas qui s'allaient faire initier aux mystères des Samothraces lorsqu'il fallait mettre à feu et à sang toute l'Asie, mais qui, par la grandeur de leurs exploits, avaient surpassé la créance des hommes. »

La jeunesse était ravie d'ouïr ces discours et autres semblables; mais les vieux ne les pouvaient souffrir, principalement à cause de Philippe, sous lequel ils avaient longtemps servi. Entre autres, Clitus, qui avait bu aussi, se tournant vers ceux qui étaient assis au-dessous de lui, leur récita un vers d'Euripide, d'une manière que le roi pouvait plutôt en ouïr le son que les paroles, dont la substance était que les Grecs avaient eu grand tort d'ordonner qu'aux inscriptions des trophées on mettrait seulement le nom des rois, parce qu'on dérobait la gloire de ceux qui l'avaient acquise au prix de leur sang. Le roi se douta bien qu'il s'était échappé de parler ; et demandant à ceux qui étaient proches ce qu'il avait dit, comme personne ne répondait, Clitus, haussant la voix peu à peu, se mit à compter les actions et les guerres de Philippe dans la Grèce, les préférant à tout ce qui se faisait alors.

De là, il se forma une dispute entre les jeunes et les vieux ; et bien que le roi fît semblant d'écouter avec patience tout ce que disait Clitus à la diminution de sa gloire, si est-ce qu'il en désespérait en son cœur. Néanmoins, il semblait qu'il ne se serait point encore emporté, si Clitus en fût

ipse in Illyrios, victorem scripsisse se patri, fusos fugatosque hostes; nec adfuisse unquam Philippum. Laude dig nos esse, non qui Samothracum initia viserent, quum Asiam uri vastarique oporteret, sed eos, qui magnitudine rerum fidem antecessissent. » Hæc et his similia læti audiere juvenes; ingrata senioribus erant, maxime propter Philippum, sub quo diutius vixerant. Tum Clitus, ne ipse quidem satis sobrius, ad eos, qui infra ipsum cubabant, conversus, Euripidis retulit carmen, ita ut sonus magis quam sermo exaudiri posset a rege. Quo significabatur, male instituisse Græcos, quod tropæis regnum dumtaxat nomina inscriberentur; alieno enim sanguine partam gloriam intercipi. Itaque rex, quum suspicaretur malignius habitum esse sermonem, percontari proximos cœpit, quid ex Clito audissent. Et illis ad silentium obstinatis, Clitus paulatim majore voce Philippi acta bellaque in Græcia gesta commemorat, omnia præsentibus præferens. Hinc inter juniores senesque orta contentio est : et rex, velut patienter audiret, quis Clitus obterebat laudes ejus, ingentem iram conceperat. Ceterum quum animo videretur imperaturus, si finem procaciter orto sermoni Clitus imponeret, nihil eo remittente, magis exasperabatur. Jamque Clitus etiam Parmenionem defendere audebat, et Philippi de Atheniensibus victoriam Thebarum præferebat excidio;

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