J'ai déjà remarqué que l'histoire d'Alexandre, contenue dans ce livre, renferme espace de douze ans et huit mois. Cet intervalle est court; mais renferme des événemens si considérables et en si grand nombre, qu'on a de la peine à concevoir comment un seul homme a pu faire tant et de si grandes choses dans un si petit nombre d'années. Il avoit formé encore bien d'autres desseins; car c'étoit un prince insatiable de gloire; mais une mort prématurée ne lui permit pas de les exécuter. §. I. Naissance d'Alexandre. Incendie du temple d'Éphèse arrivé ce jour-là même. Heureuses inclinations de ce prince. Il a pour maître Aristote, qui lui inspire un goût merveilleux pour les sciences. Il dompte Bucéphale. Alexandre naquit la première année de la 106e olym- AN. M. 36 (8. piade. Av.J.G. 356. Le même jour précisément qu'il vint au monde, le fa- Plin. l. 36, TOM. IV. HIST. ANG. Ι cav. 14. Plut.in Alex. P. 665. Val. Max.l. 8, cap. 14. meux temple de Diane fut brûlé à Ephèse. On sait que ce temple étoit une des sept merveilles du monde. Il avoit été bâti au nom et aux dépens de toute l'Asie mineure. La construction en avoit duré beaucoup a d'années. Il avoit de longueur quatre cent vingt-cinq pieds sur deux cent vingt de largeur. Il étoit soutenu par cent vingt-sept colonnes hautes de soixante pieds, qu'autant de rois avoient fait construire avec de grands frais, et par les plus habiles ouvriers, tâchant d'enchérir les uns sur les autres. Tout le reste du temple répondoit à cette magnificence. с Hégésias de Magnésie, selon Plutarque, dit qu'il ne falloit pas s'étonner que ce temple eût été brûlé, parce que ce jour-là Diane étoit occupée aux couches d'Olympias pour faciliter la naissance d'Alexandre. Réflexion, ajoute notre auteur, si a froide, qu'elle auroit suffi à éteindre cet embrasement. Ciceron qui attribue ce mot à Timée, le trouve fort bon. Je m'en étonne La pente qu'il avoit à la raillerie le rendait peut-être peu difficile sur ces sortes de traits. Un nommé Erostrate avoit mis le feu exprès à ce temple. Quand on lui donna la torture pour lui faire déclarer ce qui l'avoit porté à faire cette action, il avoua que c'étoit pour se faire connoître dans la postérité, et pour immortaliser son nom en détruisant un si bel ouvrage. Les étatsgénéraux d'Asie crurent empêcher qu'il n'y réussît en faisant un décret qui défendoit de le nommer. Leur dé-fense ne servit qu'à exciter encore davantage la curiosité, presque aucun des historiens de ce temps-là n'ayant manqué à rapporter une extravagance si monstrueuse, en appelant le criminel par son nom. a Pline marque deux cents vingt ans; ce qui a peu de vraisemblance. Dans les anciens temps chaque ville presque avoit son roi. « C'étoit un historien qui vivoit du temps de Ptolémée, fils de Lagus. d Je ne sais si la réfléxion de Plutarque n'est pas encore plus froide. 1 Concinnè, ut multa, Timæus, qui, cùm in historiá dixisset, quá nocte natus Alexander esset, eádem Diana Ephesia templum deflagravisse, adjunxit : minimè id esse mirandum, quòd Diana, cùm in partu Olympiadis adesse voluisset, abfuisset domo. De nat. deor. lib. 2, u. 65. 342. La passion dominante d'Alexandre dès sa plus tendre Plut.in vitá jeunesse, fut l'ambition, et une vive ardeur pour la gloire, Alex. p. 665mais non pour toute sorte de gloire. Philippe se piquoit, Id. de for tuná Alex.p. comme un sophiste, d'éloquence et de beau langage, et il avoit la vanité de faire graver sur ses monnoies les victoires qu'il avoit remportées aux jeux olympiques à la course des chars. Ce n'étoit pas à quoi son fils aspiroit. Ses amis lui demandant un jour s'il ne se présenteroit pas aux mêmes jeux pour y disputer le prix, car il étoit trèsléger à la course, il répondit qu'il s'y présenteroit, s'il devoit avoir des rois pour antagonistes. Toutes les fois qu'on lui apportoit la nouvelle que son père avoit pris quelque ville, ou gagné quelque grande bataille, loin de s'en réjouir avec tout le royaume, il disoit d'un ton plaintif aux jeunes gens qui étoient élevés avec lui: Mes amis, mon père prendra tout, et ne nous laissera rien à faire. Un jour des ambassadeurs du roi de Perse étant arrivés à la cour pendant l'absence de Philippe, Alexandre les reçut avec tant d'honnêtetés et de politesse, et leur fit si bien les honneurs de la table, qu'ils en furent charmés; mais ce qui les surprit plus que tout le reste, c'est l'esprit et le jugement qu'il fit paroître dans les divers entretiens qu'il eut avec eux. Il ne leur proposa rien de puéril, ni qui ressentît son âge, comme auroit été de savoir ce que c'étoit que ces jardins suspendus en l'air, qui étoient si vantés, ces richesses et ce superbe appareil du palais et de la cour du roi de Perse, qui faisoient l'admiration de tout le monde; ce platane d'or dont on parloit tant, et Athen.l.12, cette vigne d'or dont les grappes étoient faites d'éméraudes, p. 759. d'escarboucles, de rubis, et de toutes sortes de pierres précieuses, sous laquelle on dit que le roi de Perse dornoit souvent ses audiences aux ambassadeurs. Il leur fit des questions toutes différentes quel chemin il falloit tenir pour arriver dans la haute Asie; quelle étoit la distance des lieux; en quoi consistoit la force et la puissance des Perses; quelle place le roi prenoit dans une bataille; comment il se conduisoit à l'égard de ses ennemis, et xerxe Ochus. comment il gouvernoit ses peuples. Ces ambassadeurs nese lassoient point de l'admirer, et sentant dès-lors ce qu'il pouvoit devenir un jour, ils marquèrent en un mot la C'étoit Arta- différence qu'ils mettoient entre Alexandre et Artaxerxe, en se disant les uns aux autres: Ce jeune prince est grand, le nôtre est riche. C'est être réduit à bien peu de chose que de l'être uniquement à ses richesses, sans avoir d'autre mérite. Un jugement si prématuré dans ce jeune prince n'étoit pas moins l'effet de la bonne éducation qu'il avoit reçue, que de son heureux naturel. Il avoit auprès de lui plusieurs maîtres chargés de lui apprendre tout ce qui convient à l'héritier d'un grand royaume, au-dessus desquels étoit Léonidas, parent de la reine, et d'une grande austérité de mœurs. Alexandre lui-même rapportoit dans la suite que ce Léonidas, dans les voyages qu'il faisoit avec lui, alloit souvent visiter les coffres et les malles où l'on serroit ses lits et ses habits, pour voir si sa mère Olympias n'y auroit fait rien mettre de superflu, et qui ne fût que pour la délicatesse et pour le luxe. Le plus grand service que Philippe rendit à son fils fut de lui attacher Aristote, le plus célèbre et le plus savant des philosophes de son temps, à qui il confia pleinement Plut, in apo- le soin de son instruction. Une des raisons qui le portèrent phthegm.p. à lui donner un maître de ce mérite et de cette réputation, fut, disoit-il, pour faire éviter à son fils bien des fautes où lui-même étoit tombé. 178. Philippe connut tout le prix du trésor qu'il avoit dans la personne d'Aristote; il lui établit de gros appointemens, et lui paya un autre salaire de ses peines encore plus *Ville de glorieux; car, ayant ruiné et détruit la ville de Stagire *, Macédoine, qui étoit la patrie de ce philosophe, il la rebâtit pour de la mer. l'amour de lui, y rétablit les habitans qui s'en étoient retirés, ou qui avoient été réduits en servitude, et leur donna, pour le lieu de leurs études et de leurs assemblées, un beau parc au faubourg de Stagire. On y voyoit encore, près du bord · Ο παῖς ἦτος, βασιλεὺς μέγας· ἐδὲ ἡμέτερος, πλέσιος, |