BRUEYS ET PALAPRAT. David Augustin de Brueys naquit à Aix en Provence en 1640. — Jean Palaprat naquit à Toulouse en 1650. Ces deux auteurs ont donné, les premiers, l'exemple des collaborations aujourd'hui passées en usage pour les ouvrages dramatiques. Brueys fut élevé dans la religion protestante. Ses études achevées il se fit recevoir avocat et se maria bientôt après; puis, fatigué du barreau, il abandonna la jurisprudence pour la théologie, et publia une réponse à l'Exposition de la doctrine de l'Eglise, par Bossuet. Le prélat aima mieux convertir son jeune antagoniste que de lui répliquer; il l'entreprit et en vint à bout. Brueys abjura, et, à la mort de sa femme, il prit l'habit ecclésiastique pour travailler par ordre de Louis XIV à l'instruction des autres néophytes. Mais l'abbé Brueys, qui avait toujours eu un goût très-vif pour le théâtre, et qui l'avait beaucoup fréquenté, malgré ses travaux et sa tonsure, voulut devenir auteur comique. L'embarras était d'exercer cette profession peu canonique sans compromettre les bienséances de son état : Palaprat vint à son secours en lui proposant de composer en commun des comédies qu'il se chargerait seul de faire représenter. Palaprat avait fait de bonnes études et s'était aussi destiné au barreau; il fut, à vingt-cinq ans, élevé aux honneurs du capitoulat dans sa ville natale; mais ses dignités n'eurent pas le pouvoir de le retenir dans sa patrie: il voyagea en Italie, et la fameuse reine Christine essaya vainement de le retenir auprès d'elle à Rome. Etant venu à Paris il se lia avec Brueys et contracta l'association dramatique qui le fit connaître. Si Brueys gardait l'anonyme dans les comédies de l'association, en revanche il avait la plus grande part de la besogne. Palaprat se bornait, pour ainsi dire, aux démarches que l'abbé ne pouvait faire; mais auteur et gascon, il trouvait, grâce au mystère, un moyen de dédommager sa vanité; et bientôt le véritable auteur, se trouvant mieux caché qu'il n'aurait voulu l'être, fut obligé de réclamer sa part dans la propriété littéraire. Le Grondeur, le Muet, imitation de l'Eunuque de Térence, et l'Avocat Patelin sont les meilleures productions de la collaboration de Brueys et de Palaprat. Cette dernière pièce avait été faite en 1700, pour être représentée devant le roi dans l'appartement de madame de Maintenon; mais la guerre d'Espagne empêcha l'exécution de ce projet ; elle ne fut représentée que six ans après. Le sujet est tiré d'une ancienne pièce comique qu'on jouait du temps de Charles VIII. Elle est restée au théâtre. Deux autres pièces appartiennent encore à la collaboration des deux auteurs, le Concert ridicule et le Secret révélé; mais l'Important et l'Opiniatre sont entièrement de Brueys, et le Ballet extravagant est de Palaprat seul. Brueys mourut à Montpellier en 1723, âgé de quatre-vingt-trois ans, deux ans après Palaprat. On trouva dans les papiers de Palaprat une pièce intitulée la Force du sang ou le Sot toujours sot. La veuve de Palaprat la fit recevoir à la Comédie française; mais la Comédie Italienne était déjà nantie du manuscrit donné par Brueys. Le lieutenant de police, n'ayant pu concilier les comédiens qui se disputaient l'œuvre posthume, ordonna que l'ouvrage serait joué le même jour sur les deux théâtres, et qu'il resterait à celui qui aurait eu le plus de représentations. Le thétre italien eut l'avantage. TÉRIGNAN, fils de M. Grichard, amant de Clarice. HORTENSE, fille de M. Grichard. ARISTE, frère de M. Grichard. M. MAMURRA, précepteur de Brillon. La scène est chez M. Grichard. ACTE PREMIER. SCÈNE PREMIÈRE. TÉRIGNAN HORTENSE. TÉRIGNAN. Mais, ma sœur, pourquoi ce retardement? HORTENSE. Nous le saurons quand mon père reviendra de la ville. TÉRIGNAN. Il faudrait le savoir plus tôt. HORTENSE. Vous avez envoyé Lolive chez mon oncle, et moi Catau chez Clarice, pour s'en informer; ils seront bientôt ici. TÉRIGNAN. Qu'ils tardent à venir, et que je souffre dans l'incertitude cù je SCENE II. TERIGNAN, HORTENSE, CATAU. TÉRIGNAN. Eh bien! qu'as-tu appris chez Clarice? CATAU. Monsieur de Saint-Alvar son père était sorti, et Clarice n'était pas encore levée. Mais... Quoi ? mais. HORTENSE. CATAU. Ne connaissez-vous pas à mon air que je vous apporte de bonnes nouvelles? Et quelles? HORTENSE. CATAU. Vous serez mariés ce soir l'un et l'autre. La maison de monsieur de Saint-Alvar est toujours remplie de préparatifs qu'on y fait pour vos noces. HORTENSE. Je vous le disais bien, mon frère. TÉRIGNAN. Je ne serai point en repos que je ne sache la raison du retardement d'hier au soir, de la propre bouche de mon père. Va donc voir s'il est revenu. HORTENSE. CATAU. Bon! revenu; et ne l'entendrions-nous pas, s'il était au logis? Cesse-t-il de crier, de gronder, de tempêter, tant qu'il y est? et les voisins eux-mêmes ne s'aperçoivent-ils pas quand il entre ou quand il sort? HORTENSE. Au moins seconde-nous bien aujourd'hui : quoi qu'il fasse, nous avons résolu de le contenter. CATAU. De le contenter? ma foi, il faudrait être bien fin : avouez que c'est un terrible mortel que monsieur votre père. HORTENSE. Nous sommes obligés de le souffrir tel qu'il est. CATAU. Les valets et les servantes qui entrent céans n'y demeurent tout au plus que cinq ou six jours. Quand nous avons besoin d'un domestique, il ne faut pas songer à le trouver dans le quartier, ni même dans la ville; il faut l'envoyer querir en un pays où l'on n'ait point oui parler de monsieur Grichard le médecin. Le petit Brillon votre frère, qu'il aime à la rage, a changé de précepteur trois fois dans ce mois-ci, parce qu'ils ne le châtiaient pas à sa fantaisie. Moi-même je serais déjà bien loin, si l'affection que j'a pour vous... Mais voici Lolive. SCÈNE III. TÉRIGNAN, HORTENSE, LOLIVE, CATAU. TÉRIGNAN. Eh bien! que t'a dit mon oncle? LOLIVE. Monsieur, d'abord il m'a demandé si monsieur votre père, à qui il m'a donné, était bien content de moi. Je lui ai répondu que je n'étais pas trop content de lui, et que depuis deux jours que je le sers il ne m'a pas été possible... TÉRIGNAN. Et laisse tout cela, et me dis seulement s'il n'a point su pourquoi mon mariage avec Clarice a été différé. HORTENSE. Et s'il n'a rien appris de nouveau sur le mien avec Mondor. Dans le moment que je m'informais de vos affaires, le père de Clarice est entré, et il n'a pas eu le temps de me parler. |