Et mon trouble secret décèle Le feu dont je suis consumé. Tunc nec men's mihi, nec color Quam lentis penitus macerer ignibus. Ce dernier vers est d'une énergie admirable. Rien de plus commun, au contraire, que le feu dont je suis consumé : on le trouve dans tous les romans. Horace, par ces trois mots, lentis macerer ignibus, « le feu lent qui me fait maigrir, » Horace peint d'un seul trait les ravages de cette passion terrible qui, lorsqu'elle est malheureuse et dédaignée, finit souvent par jeter dans le marasme et dans la consomption. Je frémis de penser qu'il ose Uror, seu tibi candidos Impressit memorem dente labris notam. Je frémis de penser ne rend certainement point l'énergie d'uror; charmes ravissans est une de ces expressions vagues qui ne peignent rien. Le mot d'Horace est d'un amant bouillant de desir plus encore que de jalousie, candidos humeros ; mais il est possible que cette expression ait paru trop libre au traducteur. Nous sommes loin de lui faire un reproche de sa retenue. C'est sans doute pour la même raison qu'il a substitué avec goût à l'image trop licen cieuse que présente le vers latin Impressit memorem dente labris notam; celle-ci qui n'est pas moins voluptueuse : Et sur une bouche de rose On sait que la langue latine a des mots d'une luxure excessive. Un traducteur français ne peut ni ne doit chercher à les rendre. Le respect pour le goût, et le respect pour les mœurs, le dispensent également d'être fidèle. Ne crois pas fixer, ô Lydie! Cet amant qui, dans sa fureur, Dont il s'enivre sur ton cœur. Non, si me salis audias, Lædentem oscula, quæ Venus Il y a une antithèse de fort bon effet dans dulcia barbare.,..Si me satis audias, si toutefois vous daignez m'en croire... Lydie!.. est un trait qu'on aurait dû conserver. Ce doute est tout-à-fait naturel à un homme qui ne se croit plus aimé de sa maîtresse. Quant au dernier vers, il est intraduisible. Oscula que Venus Quintá parte sui nectaris imbuit. << Des baisers que Venus a imbus de la quintessence de son nectar. >> Heureux qui, dans sa douce ivresse, Exempt de tout jaloux transport, Sans y penser attend la mort ! Felices ter et amplius Quos irrupta tenet copula, nec malis Supremá citius solvet amor die. Qui ne sent ce que celte stance d'Horace a de tendre et de delicat? elle semble d'abord n'être pas liée à celles qui précèdent. L'amour-propre du poète offensé ne lui permet pas de dire « Ah! Lydie, je t'en conjure, laisse» là cet amant barbare qui, dans sa fureur sacrilége, » ose outrager tes. charmes délicats: tu trouveras en >> moi un amant exempt de jalousie, et qui ne cessera » de t'adorer qu'en cessant de vivre. Est-il en effet rien » de plus heureux qu'une union toujours paisible?» Voilà quelle est l'intention du poète, mais un amant dont l'orgueil est blessé ne descend pas tout de suite à la prière. Ne pouvant résister à sa tendresse, il s'exprime d'une manière vague et générale qui ne le compromet point. Felices ter et amplius, Quos irrupta tenet copula, nec malis Supremd citius solvet amor die. Heureux, dit-il, deux amants, ........... .felices au pluriel, et non pas felix, comme traduit M. Daru. L'application aurait été trop directe, et Horace évite de s'expliquer p、 sitivement, dans la crainte de se voir dédaigné. Le dernier vers semble avoir été pris à Tibulle lui-même : « supremá » citius solvet amor die. » Le lecteur a dû voir que nous né nous sommes pas dissimulé les taches des vers de M. Daru; mais de quelque faiblesse que soit cette traduction comparée à l'original, toujours est-il vrai que l'harmonie du mètre, le retour des stances, le mêlange des rimes, lui donnent un bien grand avantage sur les versions en prose, et c'est ce que nous voulions principalement prouver. S'il ne s'était agi que du mérite de M. Daru comme traducteur, nous aurions pu citer plusieurs odes qui nous ont paru assez heureusement imitées. L'ode d'Horace à sa bouteille, par exemple, mérite d'être connue. O nata mecum consule Manlio! Sors après quarante printemps. Bouteille long-temps délaissée, Sous ton étiquette effacée Il sait que Caton, ce vieux sage, Ces deux strophes ont un air d'aisance et de facilité qui, ne se ressent point du tout du travail qu'exigent les tra-, ductions. Cette expression d'Horace: Socraticis madet. sermonibus, est d'une beauté remarquable, Il est naturel, que le poète, faisant des vers à sa bouteille, se serve de métaphores qui rappellent la table et le vin: madet aurait. mérité d'être conservé. Quant à ces vers; Narratur et prisci Catonis Sæpe mero caluisse virtus, M. Daru les a aussi bien rendus qu'on pouvait le faire, sans copier ceux de J. B. Rousseau. La vertu du vieux Caton De Falerne enluminée. L'image de Rousseau est encore plus hardie que celle d'Horace. Nous pourrions citer plus d'un exemple comme celui-là, pour consoler un peu ceux qui ne cessent de se plaindre de la timidité de notre langue. Je reviens à la traduction de M. Daru : Par une douce violence, De nos sages les plus discrets, L'image qu'offrent ces mots: addis cornua pauperi, serait Cent flambeaux nous rendent le jour, Avec les trois sœurs de l'Amour, Te Liber, et si læta aderit Venus, Dum rediens fugat astra Phæbus. Comment rendre ce vers plein de gracé et de volupté : Segnesque nodum solvere Gratiæ ? Voilà de ces traits qu'on rencontre à chaque page dans Horace, et qui feront toujours le désespoir des traducteurs. On peut faire passer d'une langue dans une autre, une image forte, une expression sublime, mais la grace est intraduisible. Au reste, cette ode de M. Daru n'est pas la seule que l'on puisse citer avec éloge. Sa traduction est |