cessaire par plusieurs raisons. D'abord il déchara geait une mère d'un rôle odieux; ensuite il sau→ vait ce qu'il y a d'invraisemblable dans le déguisement d'Achille; enfin, il donnait à la passion de ce héros pour Déidamie un caractère digne de la poésie. Ce n'était plus une galanterie obscure et vulgaire, mais un combat entre l'honneur et l'amour, tel qu'il peut s'élever dans un cœur généreux. Ce n'est pas à M. Luce qu'il faudrait appren dre ce qu'une telle passion offrirait à l'art du poète. Tout ce que la jeunesse et la beauté ont de séduction, tout ce que la vertu a d'énergie et de noblesse, pourrait être développé dans cette peinture, jusqu'au moment où l'éloquence d'Ulysse et l'intrépidité de Diomède, enflammant Achille d'une généreuse émulation, achèveraient dans son ame le triomphe de la patrie et de l'honneur. Voilà ce que la première pensée de M. Luce m'a fait concevoir sur ce sujet. J'avoue que je lui proposerais mes observations avec moins de confiance, si elles n'avaient pour fondement le principe que lui-même a posé. Mais qu'on examine avec attention ce qu'il dit : « qu'Achille décou » vert par Ulysse et Diomède devait être, dans » son poëme, le but unique auquel tout concou » rût et aboutit ; » qu'on regarde la suite d'un tel dessein, et on verra que je n'ai fait que tirer les conséquences du principe le plus clair. Il n'a manqué à l'auteur que la hardiesse de suivre ses propres idées, pour inventer un plan noble, régulier, intéressant. Celui qu'il a emprunté de Stace me paraît avoir toutes les qualités contraires, et il suffirait presque de l'exposer pour en donner cette opinion au lecteur. Thétis, comme je l'ai dit, ouvre le poëme, et voici à quelle occasion. Du fond de la mer et de son palais, où elle est enfermée avec ses sœurs, elle s'aperçoit que Pâris emmène Hélène sur son vaisseau; elle reconnait les rames du perfide. Cet enlèvement l'épouvante; elle pré.voit que la guerre va s'allumer, que toute la Grèce courra aux armes, et qu'on cherchera son fils, qu'elle sait devoir périr sous les murs de Troie. Cette crainte, quoique fondée sur une juste connaissance de l'avenir, fait cependant peu d'impres sion, parce que le malheur qui la cause paraît encore éloigné. Mais si l'armement général et la réunion des princes en Aulide eussent fait le sujet du premier chant, comme la nature du poëme l'exigeait, certainement le danger d'Achille eût paru plus pressant, et les craintes de sa mère eussent été plus touchantes. Ce qui ajoute à la terreur de Thétis, c'est que son fils est dans les mains du Centaure Chiron, qui ne manque pas de le former aux exercices de la guerre. Elle se trouve elle-même insensée de lui avoir donné une éducation si contraire à ses vues. Et ce fils, que poursuit la gloire qu'il adore, Vit-on jamais, en effet, une conduite plus inconséquente et un caractère moins sensé? Cette mère si prévoyante se forge à elle-même ses peines et ses alarmes. Elle veut éloigner son fils des combats, et elle lui donne un instituteur guerrier. Elle le fait élever dans les bois, parmi les tigres et les ours; elle le nourrit avec la moelle des bêtes féroces; enfin, lorsqu'elle n'a rien négligé pour le rendre fort et intrépide, et qu'il ne respire plus que la passion des armes, c'est alors qu'elle se décide à cacher ce lion sous des habits de femme parmi les filles d'un roi, et elle fait ce terrible présent à Lycomède, sans même l'avertir du danger. Supposez ce déguisement vraisemblable, et voyez s'il y a quelque sentiment qui puisse justifier l'immoralité de cette action, et la perfidie d'un tel procédé. Vous me direz que cette circonstance appartient à l'histoire et aux mœurs des temps fabuleux; mais je vous répondrai que tous les faits et tous les caractères ne sont pas propres à la poésie. Ils les faut accommoder à sa délicatesse, et un poète qui choisit un sujet, dans les principes de son art, n'est pas moins obligé de le disposer jugement, que de l'orner avec imagination. Stace a violé toutes les bienséances dans le personnage de Thétis. Il va jusqu'à lui faire souhaiter que son fils abuse d'une des filles de son hôte. Ilsemble qu'elle soit contente de le sauver en le corrompant. Je ne sais si une mère peut pousser la faiblesse jusqu'à cet excès. Mais je demande si un tel caractère doit trouver place dans un poëme ? M. Luce a substitué l'idée de l'hymen à celle d'un vœu si infàme. Cette correction est aussi heureuse que le sujet le permettait : elle jette du moins un voile d'honnêteté sur une scène si peu convenable; mais qu'il est dangereux de suivre un mo. dèle qui a besoin d'être redressé dans une matière aussi délicate! Achille ne répond que trop bien aux desirs de sa mère; et pour juger du génie de Stace, dans la partie la plus importante du poëme épique, il suffit de dire qu'il rend son héros coupable de la dernière violence envers l'objet de son affection. Vi potitur votis..... C'est là l'imagination d'un satyre, et non pas celle d'un poète. Tous les adoucissemens que M. Luce y appose ne sauvent point l'horreur et le dégoût de cette action; et lorsque je considère ce que les lois de l'hospitalité imposaient de retenue au poète, aussi bien qu'au héros, toutes les circonstances même l'examen. bien Le dénouement que M. Luce a créé est, je l'avoue, aussi parfait qu'il pouvait l'être, après une situation si avilissante. Il relève le caractère de Thétis, en lui faisant légitimer les violences de son fils, idée si naturelle, et que pourtant Stace n'a pas eue. Il ne rehausse pas moins celui d'Achille, en faisant entrer dans sa passion plus de tendresse et de générosité. Il donne même quelqu'idée de ces combats de l'honneur et de l'amour qui nous intéressent si vivement, parce qu'ils nous peignent ce mélange de faiblesse et de vertu qui fait le fonds du cœur humain. Cette partie qui est la plus attachante, et peut-être la mieux écrite de tout le poëme, annonce un talent très distingué qui n'a manqué que de confiance dans ses forces. Elle mériterait d'être exposée avec quelque détail; mais je me borne à l'idée générale que j ai donnée de l'invention et de la disposition du sujet, me réservant d'entrer dans de plus grands développemens, lorsque j'aurai à parler de l'élocution. CH. D. Nouveau Fablier, à l'usage des écoles. Imprimerie de Brasseur, aîné. Un vol. in-12. Prix: 2 fr. 50 cent., et 3 fr. 25 cent. A Paris, chez Capelle et Renand, librairescommissionnaires, rue J. J. Rousseau; et chez le Nor mant, imprimeur-libraire, rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois, n°. 42. L'USAGE de faire apprendre des fables aux enfans re I i monte à la plus haute antiquité. Platon, si sévère à l'égard d'Homère, considère Esope comme un excellent moraliste. Il desire que les enfans sucent les fables avec le lait; il veut que les nourrices les leur répètent sans cesse ; il lui paraît que cette méthode employée pour un âge si avide de narrations, si curieux de petits détails, peut graver pour toujours dans l'esprit et dans le cœur des hommes les principes qui doivent diriger leur conduite. Lafontaine a très-bien expliqué cette vue philosophique sur un art dans lequel il est si supérieur aux anciens, et dont il a marqué le degré de perfection que nul moderne n'a encore pu atteindre. « Plutôt, dit-il, que d'être réduits à corri»ger nos habitudes, il faut travailler à les rendre bonnes » pendant qu'elles sont indifférentes au bien et au mal. » Or, quelle méthode y peut contribuer plus utilement » que les fables? Dites à un enfant que Crassus allant » contre les Parthes, s'engagea dans leur pays sans consi» dérer comment il en sortirait; que cela fit périr lui et » son armée, quelque effort qu'il fit pour se retirer. Dites au même enfant que le renard et le bouc descen» dirent au fond d'un puits pour y éteindre leur soif; que »Te renard en sortit s'étant servi des épaules et des cornes >> de son camarade, comme d'une échelle: au contraire, >> le bouc y demeura pour n'avoir pas eu tant de pré» voyance; et par conséquent, il faut considérer en toute n chose la fin. Je demande lequel de ces deux exemples " fera le plus d'impression sur cet enfant? ne s'arrêtera»t-il pas au dernier comme plus conforme et moins dis» proportionné que l'autre à la petitesse de son esprit ? » Avant Lafontaine, nous n'avions fait dans ce genre que des essais malheureux. Quoique la langue française eût par elle-même, une sorte de naïveté qu'elle perdit lorsqu'elle se perfectionna, aucun poète n'avait réuni au ta |