travail en est diminué d'autant. Mais sous l'Empire romain, les mœurs deviennent plus dures et la situation de l'esclave devient intolérable. Quant à l'ouvrier libre, sa condition n'est guère meilleure, son travail étant considéré comme avilissant. Les textes romains sont à peu près muets sur l'objet spécial de notre étude; cependant la loi reconnaissait aux corporations telles règles qu'il leur plaisait d'adopter; il est probable qu'elles furent poussées par la nécessité à établir des règles relatives à leur travail et à leur police professionnelle. En ce qui concerne plus spécialement les collèges chargés d'un service public (alimentation et transports), la volonté et l'intérêt des particuliers sont dominés par la raison d'État : «l'artisan y est condamné aux travaux forcés » Dans les manufactures d'État, ces conditions du travail sont encore plus rigoureuses; là on trouve quelques règlements relatifs à la durée du travail ; mais ce qu'ils imposent c'est un minimum nécessaire de travail. «Ainsi dans la fabrique d'armes de Constantinople, chaque ouvrier était tenu de couvrir en trente jours d'ornements d'or et d'argent, six casques avec leurs mentonnières » (1). « Les armuriers doivent être tellement asservis à leur métier, qu'épuisés par le travail, ils demeurent jusqu'au dernier soupir, eux et leur famille, dans la profession qui les a vus naître (2)». On voit donc par là que s'il y eut réglementation, ce ne fut jamais dans l'idée de protéger la vie et la santé des travailleurs; l'intérêt du patron et de l'État est seul Une règle qui fut universellement pratiquée fut celle du chômage imposé au patron et dont bénéficièrent même les esclaves, pendant les jours de fêtes religieuses ou civiles; celles-ci devinrent si nombreuses sous le Bas-Empire, que l'on peut dire que le peuple de Rome vivait dans l'oisiveté six jours sur sept. en vue. (1) Sozomène, v. 15. (2) Cod. just. lib. x1, titre ix, 1.5, anno 438. Une telle organisation ne pouvait durer; la décadence fut rapide et les invasions des barbares eurent tôt fait de jeter à bas ce système politique plutôt factice. $ 2. Les Barbares. L'invasion des Barbares qui bouleversa le monde antique, modifia cependant peu les conditions du travail; l'esclavage était pratiqué chez toutes les peuplades qui s'établirent dans l'empire romain. Cependant chez elles, les services domestiques sont confiés à des hommes libres, l'esclave est affecté à la culture du sol. Les propriétaires galloromains, en se retirant à la campagne, amenèrent avec eux leurs esclaves qui peu à peu se confondirent avec ceux des Germains. Mais la condition des travailleurs des campagnes n'en est guère améliorée pour cela ; en fait ils gagnèrent un peu d'indépendance, étant donné qu'ils furent attachés à la terre et non plus à la personne même de leurs maîtres. Que devinrent les travailleurs libres ? L'industrie n'existant plus, les corporations romaines d'artisans disparurent. Ce n'est qu'avec Charlemagne que cesse ce désordre de huit siècles. Le premier depuis longtemps, Charlemagne cherche à faire pénétrer dans les lois et les mœurs le sentiment de la justice et le respect de l'évangile méconnu par les membres même de l'Eglise ; il se fait le défenseur des « pauvres 2 hommes libres » contre les grands; il adoucit les rigueurs de la loi pénale envers les esclaves ; il essaie de reconstituer les corporations d'artisans. Les Capitulaires comprennent des dispositions relatives à la durée du travail. « Le temps de travail durait tout le jour : mais dès que le soleil était couché, il fallait fermer ateliers et boutiques. Le marchand n'avait pas le droit de continuer son commerce à la lumière; seuls les aubergistes pouvaient tenir leur maison ouverte à tout heure de nuit. Les dimanches et les jours de grande fête religieuse, le chômage était obligatoire: les labeurs de la campagne cessaient comme ceux de la ville; les femmes ne pouvaient pas même laver leur linge ni faire de la tapisserie. Celui qui contrevenait à ces règlements de travail était puni d'une amende de quinze sous s'il était franc, de sept sous et demi s'il était romain ; pour les serfs elle était réduite à trois sous. » (1). L'incapacité des successeurs de Charlemagne devait amener le déchirement de son empire. Les invasions des Northmans et des Sarrazins, les guerres civiles et la disette qu'elles entraînaient, forçaient plus que jamais les hommes à se mettre sous la protection d'un homme puissant et permettaient ainsi à la féodalité de triompher. $ 3. Le moyen âge. - Le moyen âge se caractérise par la domination de deux puissances, l'église et la féodalité. Dans les premiers siècles de son apparition, le (1) Levasseur, Histoire des classes ouvrières avant 1789, tome 1, p. 180 et 181. christianisme, imbu des pures doctrines du Christ, fut considéré par les masses comme un moyen de sortir de leur situation misérable; au pauvre, à l'esclave, il vint apporter une espérance, le sentiment de la fraternité: aussi les puissants y virent-ils une espèce de révolution sociale; c'est ce qui explique les persécutions et les martyres de cette époque. Mais ces temps héroïques disparurent. Les empereurs romains en adoptant le christianisme, en font une religion d'État. Les idées d'égalité et de fraternité si souvent exprimées par le Christ subissent une déviation : égalité, fraternité, oui ! mais en Dieu après la résurrection; le christianisme devient une doctrine ascétique, enseignant aux hommes la patience, la résignation, le renoncement aux choses d'ici-bas. L'Eglise grandit et devient une puissance politique. Les conditions de travail subirent peu de transformation; le principe de l'esclavage ne reçut aucune atteinte de la part de l'Eglise; celle-ci s'en accommoda fort bien; elle chercha même à le justifier. Le mépris du travail reste toujours le caractère de la civilisation chrétienne. Cependant nous devons dire l'influence bienfaisante, bien que momentanée qu'eut, sur la réhabilitation du travail, l'établissement des monastères en Occident. Dans ce temps de désordre qu'est l'invasion des barbares les hommes comprirent qu'ils seraient plus forts en se groupant sous la protection de la religion. Le monastère fut un excellent asile. Là, l'emploi du temps est réglementé minutieusement : à 2 heures du matin la cloche appelle les moines à vigile : il se rendent à l'Eglise. A la pointe du jour on chante matines puis on se rend au travail. A 10 heures, le travail cesse: puis deux heures de lecture. Dans l'aprèsmidi il y a autant de travail que dans la matinée : sept heures par jour en tout (1). Il est probable que cette règle n'était pas invariable, et qu'à certains jours de hâte le travail se prolongeait davantage. De plus, bien souvent le monastère est une compagnie industrielle et agricole : la plus célèbre est celle des frères pontifes. Malheureusement dans ces entreprises, les moines gagnèrent des sommes immenses ; ils se corrompirent, abandonnèrent le travail et ne pensèrent plus qu'à jouir de leurs richesses. Une deuxième conséquence heureuse de la domination de l'Eglise fut l'observation du repos dominical et du chômage pendant les jours de grandes fêtes religieuses : ces repos furent un allègement notable aux labeurs pénibles des classes inférieures. La féodalité, elle, consomme la division de la société en trois classes : les seigneurs, les vassaux et les serfs. Les serfs de la glèbe sont à l'entière discrétion de leurs seigneurs. Il est vrai que le servage primitif disparut assez vite : au serf succéda le vilain. La condition du rôturier n'en fut pas améliorée : le vilain a un contrat, une propriété : mais ses droits sont plutôt théoriques; il doit au seigneur la plus grande partie de ce qu'il gagne. Il est vrai que les guerres continuelles forcèrent les paysans à s'unir plus étroitement; les croisades leur furent d'un puissant secours; ils achetèrent la liberté à leurs seigneurs besogneux. Mais (1) Règle de Saint-Benoit de Nursie : celui-ci vit surtout dans le travail un moyen de dompter le corps par la fatigue et de prévenir ainsi les rébellions de la chair. |