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ce mouvement d'émancipation des populations rurales fut très lent et ne s'acheva pas; même à la veille de 1789 le servage subsiste encore.

Quant aux habitants des villes, ils puisèrent vite dans les conditions de leur existence, l'énergie nécessaire pour repousser le demi-esclavage que voulait leur imposer la féodalité; la commune, en groupant les forces individuelles, fut un merveilleux instrument d'affranchissement. Quel en fut le moteur actif? La corporation de métier qui, apparue dès le xie siècle, se développe rapidement. Les ouvriers habiles y sont reçus à bras ouverts. Elle assure à toute une classe de citoyens une protection efficace, crée une police intérieure, prend soin des veuves, des orphelins et des vieillards, satisfait en un mot à tous les besoins sociaux; elle finit même par absorber la cité toute entière et s'emparer de l'administration de la ville.

Mais peu à peu des dispositions restrictives et rigoureuses s'introduisirent. De là des luttes, des rivalités permanentes, non seulement entre métiers différents, mais aussi dans le même métier. Résultat désastreux pour le commerce et l'industrie. L'industrie qui voudra se développer, trouvera désormais devant elle les autres industries liguées pour sauvegarder leurs privilèges au nom de leurs préjugés. A l'intérieur de la corporation, même esprit d'exclusivisme : tout est réglementé dans l'intérêt du patron; on amoncelle pour ceux qui ne sont pas fils de maître les difficultés d'entrée, si bien qu'au xve siècle le maître doit être considéré comme le seul véritable possesseur de la corporation.

Sous le régime corporatif aucune limite d'âge n'était fixée pour l'entrée en apprentissage: celle-ci variait suivant les métiers; c'est ainsi que, probablement à raison du service pénible, les boulangers ne recevaient pas d'apprentis avant l'âge de 14 ans, les charcutiers avant l'âge de 15 ans. Dans certains métiers, on fixait une limite maxima; ainsi, les orfèvres n'admettaient pas d'apprentis au-dessus de 16 ans : on interdisait ainsi les apprentissages tardifs. Plus tard, quand les corporations devinrent de plus en plus des groupes fermés, on éleva l'âge d'admission. En somme, celui-ci varia de 8 à 21 ans.

Ces règles n'avaient pas assurément pour but l'intérêt de l'enfance; elles n'ont en vue que de protéger les familles d'artisans contre l'intrusion trop facile de nouveaux venus dans la corporation; ce qui le prouve c'est qu'elles ne visaient en aucune façon les fils de maîtres.

L'apprenti une fois admis, les statuts ne mentionnent pour lui aucune réglementation de la durée du travail; à ce sujet, il était soumis comme les compagnons et les maîtres aux règlements de police et des statuts. Aucune idée de protection spéciale ne se fait jour. Comment pouvait-il en être autrement? L'apprenti était sous la domination du patron qui exerçait sur lui une espèce de prolongement de la puissance paternelle; il était soumis à tous ses caprices et à toutes ses exigences. Il y avait bien dans les statuts des dispositions exigeant de la part du maître certaines conditions de moralité; le maître avait des devoirs : il devait veiller à l'éducation morale de l'apprenti tout aussi bien qu'à son instruction professionnelle. Mais en réalité aucune sanction possible. En fait, on ne pouvait compter que sur l'humanité naturelle du patron, chose rare en ce temps-là, puisque le règlement lui-même conseille « Plus argent et plus service peut le maître prendre, si faire se peut. >>

Il n'y eut pas, dans la corporation, de fixation proprement dite de la durée de la journée de travail. Le patron, en vertu du droit du plus fort, pouvait imposer à son valet, à son apprenti, le temps de travail qu'il lui plaisait, à condition toutefois de faire évoluer ce travail dans les limites que lui traçaient certaines règles corporatives et de police. Ces règles étaient interdiction du travail de nuit; repos obligatoire les dimanches et fêtes.

En principe, le travail de nuit est interdit. Les boutiques sont donc obligées de fermer le soir, quand la cloche de Notre-Dame, ou celle de Saint-Merry, ou celle de Sainte-Opportune a sonné l'Angelus, ou le dernier coup de vêpres, ou le couvre-feu. Dans certains métiers l'atelier se ferme à complies, c'est-à-dire à 7 heures, ou à vespres, c'est-à-dire à 4 heures, selon qu'on est en « caresme » ou en « charnage ». On ne peut les rouvrir que lorsque le jour commence à poindre, ou que le soleil se lève, c'est-à-dire quand la cloche de la paroisse retentit de nouveau pour annoncer l'ouverture des églises, ou quand retentit le cor du guet. « Les corfiniers de fil et de soie ne doivent ouvrer en nulle saison, puis l'heure que couvre-feu est sonnée à SaintMerry. » « Les ouvriers de drap de soie ne doivent ouvrer que de la gueite cornant au matin jusqu'à la nuit sans candèle tant seulement. » « Les couteliers ne doivent, ni ne peuvent ouvrer en charnage puis vespres sonans audit métier, ne en caresme puis complies sonans. » « Nul serrurier ne peut ouvrer fors à la vue del jour » ; les boucliers d'archal « hors caresme sitost comme ils voient passer le deuxième crieur par devant soi du soir. » (1).

Les samedis et veilles de fêtes, on cesse plus tôt de travailler, comme pour rendre hommage à la solennité du lendemain et se préparer au dimanche. Les boîtiers, les cordonniers « doivent laisser œuvre le samedi au darnier coup de vespres en la paroisse où ils demeurent ». Les patenôtriers « doivent laisser œuvre tous les samedis et veilles de fêtes que l'on jeûne, au tiez coup de vespres qu'il orrait sonner en la paroisse où il demeurent ». Les corfiniers de fil et de soie « ne peuvent ouvrer au samedi en charnage, puisque le premier coup de vespres est sonné à NotreDame, ni en caresme puisque complie est sonnée à cel même lieu. »

La règle de l'interdiction du travail de nuit subit cependant des exceptions. Les veillées sont permises à raison des nécessités, ou de la facilité du métier ou à raison de circonstances plus ou moins arbitraires : ainsi les boulangers peuvent le lundi travailler à partir de minuit pour rattraper le temps perdu le dimanche. Les veillées sont permises aussi à raison d'une opération qui demande de la continuité et beaucoup de temps, ou à raison de l'urgence, ou s'il s'agit de travailler pour quelque grand personnage: Ainsi << nul tréfilier d'archal ne peut ouvrer de nuit ni aux jours de fêtes si n'est fondre, car moult souvent advient, quand ils commencent à fondre, que il leur convient mettre une semaine ançois qu'ils puissent

(1) Livre des métiers, d'Et. Boileau,

laisser fondre ». « Les orfèvres ne peuvent ouvrer de nuit si ce n'est à l'œuvre le Roy, la Royne, les hoirs de France et l'Evesque de Paris. »

En résumé, la journée moyenne durait donc, comprise qu'elle était entre le lever du jour et le coucher du soleil, seize heures au plus en été, huit heures et demie en hiver, avec une interruption d'une heure ou deux pour le dîner, et demi-heure dans l'après-midi. Quand le travail de nuit était permis, l'ouvrier ne pouvait refuser de veiller, moyennant une augmentation de salaire : en fait il y avait peu de veillées, l'éclairage étant défectueux et l'industrie peu développée.

Le chômage était obligatoire les dimanches et les fêtes que « li commun de la vile foire (1)⟫, et ces dernières étaient très fréquentes. Pour donner une idée de leur nombre, disons qu'en moyenne il y avait vingtsix jours fériés, plus la fête du patron, les fêtes locales de chaque ville, les fêtes de chaque membre de la corporation, les cérémonies religieuses (baptêmes, communions, anniversaires, mariages, enterrements), les fêtes royales, les vesprées des samedis et des veilles de fêtes. On a fait le compte que le total s'élevait à cent quarante jours.

Il y avait toutefois des exceptions: Ainsi, les boulangers qui n'avaient pas écoulé leur marchandise le samedi au marché au gros pain, pouvaient vendre le dimanche au parvis Notre-Dame; les pâtissiers avaient droit de cuire les jours de fêtes; les orfèvres pouvaient travailler les dimanches et fêtes à condition que « la

(1) Célébre,

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