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heure de soleil couchant, en prenant leurs repas à heures raisonnables » (1).

Au xvie siècle, la corporation devient de plus en plus fermée, car, prétexte-t-on, les fraudes et abus ont pullulé. Les exigences deviennent plus grandes : le commencement de la journée en été est reporté à 5 heures du matin. Les imprimeurs de Lyon commençaient même à 2 heures du matin et travaillaient jusqu'à 8 ou 9 heures du soir. L'édit du 31 août 1539 fixe la journée de 6 heures du matin à 8 heures du soir.

Au xvne siècle, les maîtres demandent des clauses de plus en plus restrictives sous prétexte de surveillance des produits dans l'intérêt du consommateur, en réalité par suite de la concurrence de plus en plus grande causée par le développement de l'industrie. Colbert lui-même, poussé par l'esprit étroit et tyrannique de son temps, étend à tout le royaume, en doublant le nombre des corporations, les prescriptions des statuts sur la police des métiers. A la fin du xvue siècle la journée était généralement de douze heures ; l'ouvrier ne peut pendant ce temps s'absenter de l'atelier, si ce n'est aux heures des repas. Citons les statuts des teinturiers de Bourges : « Les compagnons seront tenus aller en besogne à 5 heures du matin, et plutôt si besoing est, et laisser besogne à 7 heures de vespres, à peine de perdre leur journée ». La police municipale intervient: en 1669 une ordonnance enjoint aux ouvriers d'aller au travail à l'heure accoutumée, sous peine de 75 sous d'amende, et aux

(1) Levasseur (Hist. des classes ouvrières avant 1789, t. 1, p. 690).

patrons de dénoncer au greffe les ouvriers qui tarderaient au delà de 8 heures, sous peine de 10 livres d'amende (1).

Il est vrai que la longueur de la journée est compensée par le nombre considérable des jours de fêtes. Il semble surtout, au xve siècle, que la classe ouvrière ait voulu chercher dans les réjouissances un oubli des maux présents; mais ce correctif devient un abus funeste parce qu'il décourage la pauvreté laborieuse et encourage la fainéantise. Au xviie siècle le nombre des jours de fêtes est de cent trois. La Reynie voulut les réduire à quatre-vingt-six ; mais il dut y renoncer devant la vivacité des réclamations. Colbert fut plus heureux : il obtint de l'Église la suppression de dixsept fêtes et diminua ainsi les chômages inutiles.

C'est en réalité du xviie siècle que date le développement de la grande industrie. Colbert réalise le plan qui consiste à faire de la France un pays industriel en favorisant la création de manufactures et en assurant par des règlements sévères la bonne confection des produits. Pour exécuter ses projets, Colbert ne songea nullement à supprimer les corporations; il préféra élever privilège contre privilège, monopole contre monopole. L'ouvrier de ces fabriques est soumis à un véritable régime de caserne. En aucun cas il ne peut y avoir de veillées le matin, mais l'ouvrier doit être rendu à son travail à la pointe du jour. Durant le travail, il est soumis à une discipline rigoureuse : à midi la cloche sonne pour le dîner ; à 1 heure le travail recommence et dure jusqu'à 6 heures. En hiver,

(1) Levasseur, Hist. des classes ouvrières avant 1789, t. 11, p. 385.

veillées de 7 à 10. On dîne et on soupe dehors ; on déjeune et on goûte dans la fabrique avec demi-heure pour chaque repas. Aucune absence n'est permise, ne fût-ce que d'une demi-journée, sous peine d'amende. L'ouvrier s'engage à aller à la messe les jours de fêtes et à rentrer chez lui avant 10 heures du soir (1). A Lyon il devait communier huit fois par an, rentrer le dimanche à 9 heures du soir dans son logis. Durant le travail il avait une demi-heure de repos pour le déjeuner, une heure pour le dîner, une heure pour le souper.

C'est au xviiie siècle que le développement de la concurrence entraîne une prolongation exagérée de la durée du travail. On peut enregistrer des journées de 14, 16, 18 heures même, à peine coupées par un petit repos. « Les ouvriers de Lyon, dit l'abbé Bertholon (cité par Levasseur, t. 11, p. 795), travaillent régulièrement dix-huit heures, même plus chaque jour, sans aucune perte de temps, puisqu'un quart d'heure, quelquefois moins, suffit pour chaque repos ». En vertu d'une ordonnance de Louis XVI, la journée est fixée pour les serruriers, ferblantiers, etc., de 5 heures du matin à 8 heures du soir; pour les taillandiers, maréchaux, de 4 heures du matin à 8 heures du soir, avec trois repos, de 8 heures 1/2 à 9 heures, de midi à 1 heure et de 4 à 4 h. 1/2. A Marseille, la journée des calfats dure de 5 h. 1/2 du matin à 7 heures du soir en été, et de 6 heures du matin à la nuit en hiver, avec une heure et demie pour les repos, (Arrêt

(1) Règlement de la manufacture de drap d'or de Saint-Maur (Levasseur, t. 1, p. 423 à 426).

du Conseil du 14 octobre 1726). Les potiers d'étain ne peuvent travailler du marteau avant 5 heures du matin, ni après 8 heures du soir. Dans la manufacture royale d'acier d'Amboise, si l'ouvrier arrive un quart d'heure après que la cloche a sonné, il perd le tiers de sa journée. Chez les peintres, le patron se réserve le droit de les faire veiller jusqu'à minuit en été, jusqu'à une heure en hiver: ce qui avec leur journée de onze heures fait en tout seize heures de travail et dix-huit heures de présence à l'atelier. En principe, il est défendu d'employer des femmes ; on ne veut pas permettre à une fabrique de produire à meilleur marché par suite d'une main-d'œuvre moins chère; cependant il y a quelques exceptions comme la grande fabrique de Lyon qui admettait ses ouvrières dès l'âge de 10 ans (1).

A la veille de la Révolution, la situation de l'ouvrier avait donc empiré; il est soumis plus que jamais aux caprices de son patron, et ce qui aggrave le mal, c'est en quelque sorte la complicité de la loi en faveur du maître. Au moyen âge, les sociétés de compagnons intervenaient souvent dans la fixation de conditions du travail avant de placer les ouvriers affiliés. Mais ces compagnonnages sont bientôt battus en brèche par le pouvoir public, qui voit dans leur organisation une cause de troubles et aussi de puissance pour les revendications ouvrières. Les ordonnances de la monarchie absolue vont plus loin: elles défendent sévèrement aux ouvriers de se coaliser pour quelque cause que ce soit. Malgré cela, les conflits entre patrons et ouvriers

(1, Nous empruntons ces renseignements à Levasseur, t. 1, p. 795 à 798.

n'en furent pas moins nombreux, mais les patrons soutenus par l'autorité en sortent la plupart du temps victorieux. Ainsi en 1770, les couvreurs-relieurs, au lieu de seize heures de travail demandent quatorze heures comme les relieurs et les papetierscolleurs; aucun succès. En Auvergne, il arrivait souvent que les ouvriers papetiers qui devaient commencer le travail à 4 heures, entraient à 2 ou 3 heures pour être libres plus tôt ; les patrons demandèrent la cessation de cette pratique prétextant que la lumière étant dans ce cas nécessaire, augmentait leurs frais ils eurent gain de cause.

Ainsi donc, à mesure que la civilisation gagnait du terrain, il semblait que la condition sociale des classes inférieures allait s'aggravant. Nous n'exagérons pas; on a peu de documents sur cette question; en 1789, les patrons qui formaient la majorité des électeurs ne font aucune mention dans leurs cahiers de doléances, des plaintes de leurs ouvriers; mais celles-ci n'en existent pas moins. Nous citerons le cahier des ouvriers de la Grande fabrique de Lyon qui déplorent que « la loi les livre totalement à la merci des fabricants; on voit, dit-il, des négociants contraindre l'ouvrier à travailler à moitié prix, et forcer des pères de famille, en travaillant eux, leurs femmes et leurs enfants, dix-sept à dix-huit heures par jour, à ne pouvoir subsister sans recevoir les bienfaits de citoyens par les souscriptions ouvertes en leur faveur ». Citons encore une brochure des ouvriers de Paris en 1789 qui demande entre autres choses que « la conservation de l'homme laborieux et utile, ne soit pas pour la Constitution un objet moins sacré que la propriété du

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