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riche. » (1). La Révolution elle-même passa sans que la situation fût changée, et comme cela arrive malheureusement en toutes choses, il fallait des abus monstrueux, pour que les gouvernements se décidassent enfin, sous la pression de l'opinion publique, à intervenir au nom de l'humanité, de l'hygiène sociale et de la morale méconnues.

(1) Levasseur, Histoire des classes ouvrières après 1789, tome 1, page 90.

CHAPITRE II

De la Révolution Française à nos jours

§ 1er La Révolution, le Consulat et l'Empire. L'Assemblée constituante proclame la liberté du travail et de l'industrie: par la loi des 2-17 mars 1791, elle supprime les corporations. Désormais plus de réglementation, paralysant tout essor industriel; le patron n'a plus de privilèges, plus de monopoles; il est soumis à la seule loi de la concurrence; il est poussé par son intérêt même, à perfectionner son outillage, à améliorer ses procédés de fabrication, à chercher dans son imagination les moyens et inventions qui rendant sa production plus rapide, plus abondante et moins coûteuse ainsi que ses produits meilleurs, le mettront au-dessus de tous ses rivaux.

Malheureusement, la Révolution confondant la corporation avec toute autre espèce d'association se jetait dans l'individualisme à outrance et interdisait aux travailleurs de se coaliser sous prétexte de « prétendus intérêts communs ». Elle refusait ainsi aux classes ouvrières toute garantie contre la concurrence illimitée qui allait se produire, et les livrait plus que jamais à l'arbitraire du patron. Disons pour sa défense qu'elle fut poussée dans cette voie par les violences et les désordres causés par les coalitions nombreuses de l'époque, coalitions qui étaient la résultante de la diminution du travail et de la cherté des vivres. Mais n'oublions pas surtout que la Révolution française fut un mouvement bourgeois qui comme tel se méfia constamment de l'ouvrier, et vit en lui une force toujours prête à entrer en lutte contre l'état de choses existant.

Aussi, les décrets de cette époque relativement à la durée du travail, reproduisent-ils presque textuellement les ordonnances royales. Ils fixent comme elles pour telle industrie, le commencement, la fin de la journée, le moment et la durée des repas. L'esprit qui préside à ces règlements est toujours le même : maintenir la discipline des ateliers; fixer un minimum plutôt qu'un maximum de la durée de la journée; en un mot, assurer la prospérité des métiers par la continuité du travail dans l'intérêt exclusif des maîtres. Ainsi le Directoire, qui devait, dans un arrêté du 23 messidor an V sur la chapellerie, déclarer que les lois qui n'ont pas été nominalement abrogées par la Constitution, doivent avoir leur pleine et entière exécution, édicte entre autres choses dans son arrêté du 16 fructidor an IV (2 septembre 1796) sur la papeterie (1) que « les ouvriers seront tenus de faire le travail de chaque journée, moitié avant midi et l'autre moitié après midi, sans qu'ils puissent forcer leur travail pour quelque cause que ce soit, ni le quitter pendant la journée sans le congé du fabricant ». Défenses sont faites à tous ouvriers de com

(1) Cette industrie avait à ce moment une importance capitale à cause de la fabrication des assignats.

mencer leur travail tant en hiver qu'en été avant 3 heures du matin, et aux fabricants de les y admettre avant cette heure (1). Ce sont textuellement les articles 51 et 59 du règlement royal du 29 janvier 1739.

Sous le Consulat et l'Empire, un pareil état d'esprit ne pouvait que se perpétuer. Poussé par les réclamations des industriels qui voulaient remettre en vigueur les anciens statuts obligeant les ouvriers à se rendre à l'atelier dès 5 ou 6 heures du matin, sous prétexte qu'en diminuant leur temps de travail, les ouvriers « dérobaient à eux-mêmes, à leur famille et à l'État la valeur de ce qu'ils auraient pu produire (2) », et qu'on encourageait ainsi la paresse et l'ignorance, Napoléon Ier, pour satisfaire ses ambitions, vit dans la réglementation des métiers le moyen de maintenir par la force chaque ouvrier dans son atelier; toutes les fois que quelque difficulté s'élève entre patrons et ouvriers, le pouvoir public intervient; c'est ce qui se produisit pour l'industrie du bâtiment. L'ordonnance de police du 26 septembre 1806 fixe pour les maçons, tailleurs de pierres, couvreurs, carreleurs, plombiers, charpentiers, scieurs de long, bardeurs, paveurs, terrassiers et manœuvres, le commencement de la journée à 6 heures du matin et la fin à 7 heures du soir, avec repas de 9 à 10 et de 2 à 3 en été, c'est-à-dire du 1er avril au 30 septembre; en hiver, la journée commence à 7 heures du matin et finit au jour défaillant avec repas de 10 à 11. La journée des menuisiers dure de 6 à 8 toute l'année à la boutique; de 6 à 7 en ville; celle des serruriers de 6 à 8.

(1) Hubert-Valleroux: Le Contrat du Travail, p. 34.

(2) Paroles de R. de Saint-Jean d'Angely au Conseil d'État. (Moniteur de l'an XI, p. 870.

C'est cependant de l'Empire que date le premier essai de réglementation du travail dans l'intérêt de l'ouvrier; je veux parler du décret du 3 janvier 1813. Il était une conséquence de l'article 48 de la loi du 27 avril 1810 sur les mines, ainsi conçu : « Ils (les ingénieurs) observeront la manière dont l'exploitation sera faite pour avertir l'administration des vices, abus ou dangers qui s'y trouveraient ». Rédigé à la suite d'accidents, il défend dans son article 29 de laisser descendre et travailler dans les mines, minières et carrières les enfants au-dessous de 10 ans. Après cet âge, l'enfant n'était plus protégé spécialement; la durée de son travail pouvait donc être excessive : mais dans ce cas ne pouvait-elle pas être considérée comme un « abus » et à ce titre être révélée par les ingénieurs et corrigée par le gouvernement? Quoiqu'il en fût et malgré ses imperfections, ce décret de 1813 était un grand progrès sur les idées économiques du temps et un grand exemple d'interventionnisme pour l'avenir.

En somme, jusqu'en 1815, en France, le besoin d'une intervention de l'État en faveur des travailleurs se faisait peu sentir; les guerres continuelles arrêtaient tout commerce et toute industrie, absorbaient la partie la plus robuste de la population, et, par suite en rendant les ouvriers rares, permettaient à ceux-ci d'imposer des conditions de travail favorables.

§ 2.

La Restauration et le Gouvernement de Juillet. Quoique fondée au xviie siècle et développée au xvIIIe, la grande industrie ne pouvait se manifester avec toutes ses conséquences qu'avec la liberté complète du travail. Nous avons dit comment

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