Images de page
PDF
ePub

demande ne doit plus être faite seulement par quelques-uns, par ceux qui possèdent la disposition du revenu net.

Buffet répondit: Le décret du 2 mars est une atteinte au droit du travail, une mesure oppressive à l'égard des ouvriers; on ne doit pas poser des limites à la propriété du travail, la plus sainte de toutes. On a voulu en somme, parle décret du 2 mars, permettre la hausse des salaires en abaissant la durée du travail; mais la loi de l'offre et de la demande vient rétablir forcément l'équilibre et il n'est aucune loi politique qui puisse la violer. Diminuer la longueur de la journée de travail c'est augmenter les frais de production et perdre ainsi le marché extérieur; par suite le débouché intérieur en sera restreint; il faudra alors procurer aux ouvriers les dix heures de travail dont ils manqueront. On peut, il est vrai, diminuer la part du capital et la donner au travail ; mais alors le capital s'enfuiera et ce qui en restera fera payer plus chèrement ses services.

Dupin renchérit : Diminuer d'une heure la journée de travail, dit-il, c'est un dixième de perdu pour la production. Imposer une journée de dix heures à Paris, alors qu'elle est de onze heures dans les départements, c'est accorder une supériorité de 10 o/o sur la capitale aux départements. Le décret du 2 mars a arrêté la concurrence; on ne peut plus vendre, la production s'arrête. Restreindre la journée à dix heures c'est affamer la France, car l'ouvrier des campagnes qui travaille quatorze à quinze heures par jour émigrera désormais vers les villes.

Ces arguments étaient exagérés. Le ministre de l'intérieur, Sénard, remit les choses au point : « Il y a péril, dit-il, à intervenir avec des règles absolues..... mais il y a péril plus grand peut-être à laisser la durée du travail de chaque jour à la discrétion de conditions libres en apparence, mais qui se forment trop souvent sous l'empire d'une nécessité fatale qui pèse sur un des contractants. » Et il résumait ainsi le programme que se proposait le gouvernement : « Respecter les droits de l'industrie et la liberté des conventions, mais fixer, dans un intérêt d'humanité, une limite au delà de laquelle le travail ne puisse pas être étendu; admettre dans des circonstances exceptionnelles que cette limite puisse se trouver dépassée sous la garantie d'une autorité s'interposant entre le patron et l'ouvrier et sous la condition d'une rétribution spéciale pour tout le temps qui excèderait le temps de travail déterminé par la loi.

))

L. Faucher qualifia ces tendances de « socialisme bâtard »; c'est traiter, s'écria-t-il, l'ouvrier d'esclave, voire même de machine.

La loi des 9-14 septembre 1848 fut votée; elle limitait la journée des adultes à douze heures dans les manufactures et usines et permettait certaines exceptions à déterminer dans un règlement d'administration publique. Elle est encore aujourd'hui en vigueur.

Une décision ministérielle du 28 juin 1850 institua une commission chargée d'élaborer le règlement prévu par la loi de 1848. Après enquête préalable devant les Chambres consultatives des arts et manufactures, les Chambres de commerce et les Conseils de prud'hommes, la commission déposa son rapport; elle adoptait pour chaque commune l'installation d'une grosse cloche permettant de commencer et de terminer les travaux en même temps; elle adoptait le repos les dimanches et les quatre grands jours de fêtes du Concordat et créait des inspecteurs spéciaux non locaux; deux heures devaient être prises le samedi en sus des douze heures pour le nettoiement des machines; elle indiquait quatre tableaux d'exceptions à la durée du travail pour certaines industries.

Le décret du 17 mai 1851 n'adopta pas entièrement ces conclusions. Il indiquait seulement deux espèces d'exceptions: les premières étaient absolues (c'est-àdire laissant liberté entière à l'industriel) et s'appliquaient aux travaux qui non seulement ne peuvent se renfermer dans la limite commune, mais dont la nature, en outre, ne comporte pas une durée précise (conduite des fourneaux, étuves et chaudières à débouillir, lessiver ou aviver, travaux des chauffeurs dans les machines à vapeur, fabrication de projectiles de guerre, nettoiement des machines à la fin de la journée, travaux rendus nécessaires par un cas de force majeure, etc...). Les deuxièmes comprenaient les travaux auxquels il est possible d'assigner, au-delà des douze heures, un terme fixe (on pouvait, par exemple, prolonger avec autorisation le travail de deux heures pendant 120 jours par an dans les teintureries et imprimeries sur étoffes). Plusieurs décrets ultérieurs (31 janvier 1866, 3 avril 1889, 10 décembre 1899) ont modifié le décret de 1851 sur quelques points de détail. Enfin, le décret du 28 mars 1902 qui est actuellement en vigueur remanie définitivement la nomenclature des tolérances.

Une question qui fut longtemps agitée fut celle de savoir ce qu'entendait la loi de 1848 par « manufactures et usines ». En 1848 on y comprit les établissements employant au moins dix ouvriers et payant patente. En 1850, l'Administration, après avis du Conseil d'État, déclara qu'on devait se baser sur la nature des opérations et les moyens de production employés; en cas de difficulté les tribunaux statuaient. Le Comité des arts et manufactures, consulté en 1884, ayant donné une définition trop vague et trop arbitraire (les inspecteurs devaient tenir compte du langage usité et de la pratique industrielle), la Commission supérieure du travail, le 12 juin 1885, et l'Administration (circulaire ministérielle du 25 novembre 1885), se sont ralliées à la définition de la loi de 1841; en conséquence, sont considérés comme manufactures et usines: 1o les établissements à moteur mécanique ou à feu continu; 2o toute fabrique occupant plus de vingt ouvriers.

Dans la séance du 9 août 1848, le représentant Peupin souleva la question de l'apprentissage devant la Constituante; il demandait des règles précises et minutieuses; 12 ans d'âge, dix heures de travail, le repos du dimanche. Le Comité du travail (rapport de Parieu du 12 février 1849) adopta le projet, mais celui-ci ne vint pas en discussion. Sous la Législative, le gouvernement présenta un projet le 4 mars 1850 avec prescriptions trop générales; le Comité d'assistance prit un terme moyen et fit adopter la loi du 22 février 1851. Elle avait pour but d'étendre la protection de la loi sur les enfants employés dans la petite industrie. La condition des petits artisans était rendue de plus en plus difficile par les progrès du machinisme et la multiplication des produits manufacturés; ils ne pouvaient vivre qu'en augmentant leur peine et la durée de la journée; les abus y étaient donc fréquents. La loi de 1851 est encore en vigueur quoique d'une application restreinte depuis la loi du 2 novembre 1892.

Quel fut le résultat de ces lois ouvrières? Il fut nul; en fait elles ne furent pas appliquées ; il ne pouvait en être autrement.

Tout d'abord la loi de 1851 eut par suite des mœurs une application très restreinte. Elle ne s'applique qu'aux apprentis se liant par contrat pour un certain temps et gratuitement. Or, le contrat d'apprentissage est de plus en plus inusité : la division du travail poussée à ses extrêmes limites, en rendant les tâches d'une grande simplicité, n'oblige plus l'ouvrier à suivre les leçons et les conseils jadis nécessaires pour apprendre un métier. La plupart du temps, de plus les jeunes ouvriers sont rémunérés et ne sont pas liés pour une longue durée. D'ailleurs, l'absence totale d'inspection enlevait toute sanction aux dispositions tutélaires de la loi.

Il en fut de même pour la loi de 1848. L'interpréta-tion de l'expression « manufactures et usines » n'étant pas étendue aux ateliers de moins de dix personnes, il en résultait que les neuf dixièmes des établissements industriels échappaient à la loi. Les industriels n'étant pas tenus de faire couper leurs travaux par un ou plusieurs repos, organisèrent des équipes qui, en empiétant les unes sur les autres, rendaient par leur complication tout moyen de vérification impossible. La mauvaise volonté des pouvoirs publics rendait

« PrécédentContinuer »