Améliorer les conditions physiques de l'enfance, c'est d'ailleurs assurer à l'État des générations vigoureuses. C'est assurer la prospérité industrielle du pays en ménageant à l'industrie une grande réserve des forces ouvrières; c'est, en permettant une instruction sérieuse, préparer à l'industrie une jeunesse intelligente à qui elle puisse confier la réalisation des progrès de l'avenir. » Le projet de la Commission demandait l'extension de la loi de 1841 aux petits ateliers ; c'est en effet dans l'atelier, la mansarde ou l'échoppe obscure que se commettent loin de tous regards les plus regrettables abus. Dans les petits ateliers il n'y a pas de force motrice, de sorte qu'on demande aux jeunes enfants un développement de forces au-dessus de leur âge. Ces petits établissements sont en général dans des locaux qui manquent d'aération; tout s'y passe suivant les caprices du maître et les besoins du moment. Après une courte délibération le 25 novembre 1872, une deuxième délibération occupa les séances de la fin de janvier et du commencement de février 1873. L'Assemblée nationale, après avoir adopté la nomenclature d'établissements proposée par la Commission et refusé d'étendre aux femmes les dispositions de la loi, fixait à six heures le travail des personnes du sexe féminin de 10 à 14 ans, et celui des garçons de 10 à 13 ans. Elle interdisait en principe le travail de nuit et le travail des dimanches et fêtes aux enfants de moins de 16 ans et aux filles et femmes, ainsi que les travaux souterrains aux enfants de moins de 13 ans et aux filles et femmes. Dans une troisième délibération, le 18 et 19 mai 1874, l'Assemblée amendait le texte déjà voté qui devenait la loi du 19 mai 1874. Les enfants et les filles mineures ne pouvaient être employés à un travail industriel dans les manufactures, usines, mines, chantiers et ateliers avant l'âge de 12 ans (art. 1); toutefois ils pouvaient être employés dès l'âge de 10 ans dans les industries spécialement désignées par un règlement d'administration publique (1) (art. 2). De 10 à 12 ans, le travail ne pouvait excéder six heures; de 12 à 16 ans, douze heures ; dans tous les cas un repos devait être assuré (art. 3). Le travail de nuit de 9 heures du soir à 5 heures du matin était interdit pour les enfants de moins de 16 ans dans tout travail industriel et aux filles de 16 à 21 ans dans les usines et manufactures. Cependant, en cas de chômage résultant d'une interruption accidentelle ou de force majeure, l'interdiction pouvait être levée temporairement par la commission locale ou l'inspecteur pour les enfants de plus de 12 ans (art. 4). Le repos des dimanches et fêtes était obligatoire pour les enfants de moins de 16 ans et les filles de moins de 21 ans (art. 5). Cependant dans les usines à feu continu, le travail des enfants de plus de 12 ans était possible la nuit et les dimanches pour les travaux indispensables; un règlement d'administration publique devait déterminer ces travaux et fixer le laps de temps accordé (2) (art. 6). Les travaux souterrains étaient interdits avant 12 ans (1) Règlements des 27 mars 1875 et 1er mars 1877. (2) Le règlement du 12 mai 1875 fixe ce laps de temps à huit heures par 24 heures. 1 et aux filles et femmes de tout âge; les conditions spéciales du travail des enfants mâles de 12 à 16 ans dans les galeries souterraines devaient être déterminées par un règlement d'administration publique. Quel fut le sort de la loi de 1874? Elle rencontra une vive opposition de la part des industriels. C'est ainsi que certains propriétaires de verreries affirmant que l'interruption du travail le dimanche causerait un préjudice sérieux à la production, déclarèrent ne pouvoir s'y soumettre. Certaines compagnies houillères refusèrent de faire travailler les enfants moins de dix heures, prétextant que les équipes étant de dix heures, le travail des enfants ne coïnciderait plus avec celui des adultes. Le gouvernement poussa la partialité jusqu'à leur accorder des délais qui, constamment renouvelés, finissaient par constituer une violation de la loi. Et le président de la Commission supérieure était obligé, en 1878, de convenir qu' « une plus longue tolérance créerait en leur faveur un privilège que rien ne justifiait, au détriment de leurs concurrents qui ont su concilier avec intelligence et humanité le soin de leurs intérêts et le respect de la loi. » D'ailleurs la loi de 1874 était défectueuse dans ses prescriptions : le système du demi-temps était abandonné par les industriels comme présentant plus d'inconvénients que d'avantages. En outre, les enfants ainsi libres pendant une demi-journée vagabondaient la plupart du temps, les écoles ne pouvant suffire à les recevoir. En tous cas, ce travail manuel et ce travail intellectuel de six heures chacun étaient trop lourds pour eux. « Ces pauvres gamins de 10 ans ne sont ni bons écoliers à l'école, ni bons travailleurs à l'atelier ; leur esprit ne se développe pas mieux que leur corps ; ils forment une population misérable, chétive, sans espoir pour l'avenir. » (Economiste français du 7 mars 1885.) La loi du 28 mars 1882 en établissant l'obligation scolaire jusqu'à l'âge de 13 ans, créait, avec l'âge d'admission de 12 ans de la loi de 1874, une antinomie qui ne pouvait subsister. Les règlements d'administration publique restaient inexécutés ; les commissions locales chargées du contrôle ne fonctionnaient pas ou étaient dépourvues de moyens d'information efficaces; le nombre des inspecteurs était insuffisant. Les organes locaux tels que les Conseils généraux s'émurent, il est vrai, d'une pareille situation ; mais la question allait être portée devant le Parlement : ce n'était plus le moyen d'assurer l'exécution de la loi qui allait entrer en discussion, mais son abrogation pure et simple. § 5. La loi du 2 novembre 1892. A la fin de 1879, le Parlement fut saisi par MM. Nadaud et Villain de propositions tendant à la réduction des heures de travail; elles furent renvoyées à l'étude d'une commission. R. Waddington déposa son rapport le 11 juin 1880. Voté sans difficulté en première lecture le 30 novembre 1880, la discussion en deuxième lecture fut longue et sérieuse ; elle prit fin en mars 1881. A l'article 1er de la commission qui adoptait la journée de dix heures pour tous les ouvriers, la Chambre substitua un amendement limitant la durée du travail à onze heures, et ne l'étendant qu'aux mineurs de 18 ans et aux femmes. Le Sénat l'adopta en première lecture, mais le rejeta définitivement le 24 février 1882. Reprise après l'expiration des délais légaux, la proposition de loi fut l'objet de la part de la commission d'un rapport favorable (10 mars 1884), mais elle ne put venir en discussion avant la fin de la législature. Pendant ce temps le gouvernement faisait faire une minutieuse enquête par la Commission supérieure du travail, auprès des inspecteurs, Chambres de commerce, Chambres consultatives, Syndicats, Conseils de prud'hommes, Conseils généraux et Commissions locales. Ces groupes, en grande majorité, réclamèrent une réglementation plus stricte des conditions du travail. En conséquence, les ministres compétents soumirent à la Chambre un projet de revision de la loi de 1874 (13 novembre 1886). La commission présenta son rapport le 13 décembre 1887; la discussion ne se termina qu'en février 1889. Un amendement réglementant le travail des employés de commerce fut repoussé. La Chambre adopta la réglementation du travail des femmes majeures, porta à 18 ans la limite de l'enfance, réduisit à dix heures la journée des mineurs de 18 ans, et à onze heures celle des femmes de plus de 18 ans. Le Sénat rejeta toutes ces mesures. En décembre 1889, la Chambre fut saisie du nouveau projet amendé par le Sénat. La question se compliquait du travail des adultes que les projets de Mun et Ferroul voulaient voir réglementer. Entre temps, la conférence internationale de Berlin se réunissait au mois de mars 1890. Après s'être prononcée en faveur d'une réglementation uniforme du travail des enfants et des femmes dans les travaux souterrains et en faveur du repos du dimanche pour tous les ouvriers, elle souhaitait que les enfants des deux sexes ne |