par une juste indemnité. Comme le remarque M. le sénateur P. Strauss « les seuls pays qui peuvent en toute certitude s'enorgueillir de leur protection légale de la maternité ouvrière sont ceux qui ont en même temps assuré l'indemnité compensatrice. » La prohibition pure et simple du travail serait injuste et illusoire. Elle serait injuste, car le chômage imposé à la femme dans l'intérêt de la Société au nom de l'intérêt supérieur et évident de la race humaine » (J. Simon) doit être supporté non par la femme dont la situation est généralement si misérable, mais par la société tout entière. Elle serait illusoire, car la femme privée de ses ressources habituelles au moment même où ses charges s'accroissent ne manquerait pas de chercher par tous les moyens possibles à mettre en échec l'application de la loi. Dans les pays où les femmes sont soumises au repos obligatoire sans que ce chômage forcé soit indemnisé, les inspecteurs du travail se plaignent que la loi n'est pas appliquée. En Suisse, le D' Shuler, dit dans son rapport pour les années 1896 et 1897 que la plupart des ouvrières tâchent d'être admises dans les fabriques immédiatement après l'accouchement et si elles ne l'obtiennent pas dans la fabrique où elles sont connues, elles cherchent dans d'autres établissements où elles cachent leur état. M. Shuler ajoute : « Même si on découvre cette infraction à la loi, elle reste impunie et cela parce que le patron ne peut pas, naturellement, être condamné dans des cas pareils; quant à l'ouvrière, la loi ne la touche pas. De pareils abus contre la loi deviennent de plus en plus fréquents. >>> Les inspecteurs de Belgique, d'Angleterre consignent dans leurs rapports les mêmes observations. Il en était de même en Allemagne, tant que les femmes n'ont pas été indemnisées. L'inspecteur du travail du district de Dresde, dans son rapport de 1887, remarque qu'il est très difficile de contrôler l'application de la loi et cela « parce que les femmes et les filles enceintes tâchent de dissimuler leur grossesse le plus longtemps possible pour pouvoir continuer : : : à gagner jusqu'au moment de l'accouchement » et pouvoir ainsi reprendre leur travail immédiatement après les couches. L'Allemagne a depuis comblé à cet égard dans une large mesure les lacunes de sa législation ouvrière. D'après la Loi du 15 juin 1883 et les Lois suivantes de 1886 et 1892, qui ont organisé l'Assurance obligatoire contre la maladie, les femmes en couches sont assimilées à des malades. Elles ont droit pendant toute la durée du chômage légal à une indemnité quotidienne qui ne peut être inférieure à la moitié de leur salaire, et que les Caisses ont le droit d'élever jusqu'au 3/4 du salaire. Dans le cas de suites de couches anormales, l'accouchée a droit, comme malade, aux soins médicaux et pharmaceutiques et l'indemnité continue à lui être versée tant qu'elle n'est pas guérie pendant une période de 3 mois et plus. Les Caisses de maladie sont alimentées par des cotisations fournies pour 1/3 par les patrons et pour 2/3 tiers par les ouvriers et ouvrières. Le taux des cotisations ouvrière et patronale varie de 11/2 à 3 p. 100 du salaire. Le nombre des femmes salariées profitant de l'indemnité en cas d'accouchement était en 1892 de 1,109,110, et le montant des indemnités de 1,544,382 francs. Depuis ces chiffres se sont accrus. Le montant annuel des indemnités aux femmes en couches non malades dépasse maintenant 3 millions de francs. Tel est, exposé très rapidemment, le système d'assurance obligatoire qui a permis à l'Allemagne de rendre efficace la prescription légale du repos des accouchées. Une organisation semblable existe en Autriche et en Hongrie. En Autriche, l'indemnité quotidienne s'élève à 60°%% et même jusqu'à 75% du salaire. En France, bien que la question de l'assurance obligatoire contre la maladie se pose à chaque instant qu'il s'agisse de la lutte contre la tuberculose, de la réparation des maladies professionnelles, ou du groupement préalable des ouvriers en vue de l'organisation des retraites, il ne semble pas qu'elle doive être résolue prochainement. D'ici là, il sera difficile d'obtenir les ressources nécessaires à l'indemnisation du chômage légal des femmes avant et après l'accouchement, si l'on tient à donner à la période de repos une durée suffisante. Au contraire, avec un système général d'assurance, rien ne serait plus facile que d'étendre la durée du repos pour le plus grand bien des femmes et de l'enfance ouvrières, depuis les premiers mois de la grossesse jusqu'à la fin de l'allaitement. Tant que nous n'aurons pas en France d'organisation semblable, nous devrons nous contenter de solutions imparfaites et d'expédients. Nous n'insisterons pas sur l'insuffisance en ces matières de la bienfaisance privée ou de la philanthropie patronale. Nous n'ignorons pas que des institutions intéressantes aient été créées, mais, leur portée nécessairement restreinte, nous oblige à chercher ailleurs la solution générale du problème. La mutualité nous offre-t-elle cette solution? Peut-elle en groupant les femmes leur assurer des secours suffisants au moment de leurs couches? Nous ne le croyons pas. Les Sociétés de secours mutuels ne groupent qu'une faible partie de la classe ouvrière. « Sur 11 millions de travailleurs manuels nous ne comptons guère en France que 500.000 mutualistes » (1). Le nombre des journées de maladie indemnisé en France par les sociétés de secours mutuels est exactement le dixième du nombre de journées de maladie indemnisé par les caisses de maladies en Allemagne (chiffres comparés pour 1897). Cette infériorité de la mutualité est encore plus manifeste en ce qui concerne les femmes. Les Sociétés n'admettent pas volontiers les femmes dont les risques de morbidité sont plus grands. La faiblesse des salaires féminins empêche d'ailleurs le développement de la prévoyance volontaire. En fait, on ne compte en France qu'une femme sur sept mutualistes (2), Reste l'assistance. Dans ces dernières années, la ville de Paris a fait preuve en faveur des femmes enceintes ou récem (1) Léon Bourgeois. - Discours prononcé au banquet offert à L. Mabilleau, 20 déc. 1901. (2) Voir sur les mutualités maternelles, la note p. 29. ment accouchées d'une très louable sollicitude: distribution de secours de grossesse, d'allaitement, création d'asiles pour les femmes enceintes et les femmes récemment accouchées, développement des maternités hospitalières. Il y a, dans ces diverses créations, les ébauches d'un programme complet d'assistance maternelle. Dans ces dernières années, M. Constant Dulau a repris, sous forme de proposition de loi, un projet d'assistance maternelle élaboré en 1892 par le Conseil supérieur de l'assistance publique. Cette proposition (1) met à la charge de l'Etat et des Départements l'organisation dans chaque département d'un service d'assistance maternelle gratuite pour les femmes enceintes dénuées de ressources, et la création de maternités hospitalières, d'asiles-ouvroirs et de maternités secrètes. Dans le même ordre d'idées, M. P. Strauss a présenté et rapporté une proposition (2) dont l'étude se rattache plus directement à notre sujet. Pour des raisons de tactique parlementaire. M. Strauss abandonne à la bonne volonté des Conseils généraux la réalisation des dispositions obligatoires de la proposition Constant Dulau. Le côté intéressant pour nous de la proposition de M. Strauss c'est qu'elle pose dans son article premier le principe du repos obligatoire pour des femmes employées dans les usines, manufactures et ateliers, pendant six semaines dont deux semaines avant l'accouchement. L'article suivant stipule qu'à défaut de ressources personnelles ou de l'aide qui pourra leur être donnée par les mutualités maternelles et toutes organisations analogues, les femmes devront être efficacement secourues pendant la période de repos par les bureaux de l'assistance médicale gratuite. (1) Proposition de loi sur la protection de la mère et de l'enfant nouveau-né présenté par M. Dulau, député, le 7 mars 1899 (Doc. parlem., no 789; J. O. p. 862). Prise en considération le 12 mai 1899. Rapport Dulau 19 juin 1899 (Doc. parlem., no 1834). (2) Proposition de loi sur la protection et l'assistance des mères et des nourrissons, présentee par M. Strauss, sénateur, le 14 novembre 1899 (Doc. parlem.. n° 235. J. O. p. 449). Prise en considération le 15 mars 1900. Rapport Strauss, 17 janvier 1902 (Doc. parlem., no 4 J. О. р. 2). Au point de vue qui nous occupe, l'adoption de ces deux articles constituerait certainement un progrès important. Cependant nous ferons remarquer non-seulement que la période de repos avant l'accouchement est bien courte, mais surtout que l'art. 2 résoud d'une façon peu satisfaisante la question d'indemnité soulevée par la nature obligatoire du repos prévu à l'article 1. Nous ne pourrions admettre, comme expédient provisoire, le secours d'assistance que si nous étions assurés que les conditions dans lesquelles il sera accordé sauvegarderont la dignité personnelle des femmes secourues (1). L'indemnité de droit nous apparaît comme la contre-partie nécessaire du repos obligatoire, si l'on tient du moins à l'application stricte de la loi. A cet égard, nous regrettons que la solution qui avait obtenu en 1892 l'adhésion de la Chambre, n'ait pas été définitivement adoptée. La proposition rapportée par M. G. Dron peut se résumer de la façon suivante : 1o pour les femmes protégées par l'Inspection du travail : Repos obligatoire et indemnité de droit à la charge de l'État, des départements et des communes. L'exécution de la loi est assurée par le double contrôle des inspecteurs du travail vis-à-vis des patrons, et des autorités municipales chargées de régler les indemnités vis-à-vis des ouvrières ; 2o pour les autres femmes : Pas d'obligation ni d'indemnité de droit, mais repos facultatif, encouragé et rendu possible (1) Le secours d'assistance serait encore moins acceptable s'il avait pour effet, comme dans plusieurs pays étrangers, de créer au détriment de l'assisté certaines incapacités. La loi danoise du 11 avril 1901, qui interdit le travail des femmes pendant les quatre semaines après l'accouchement, stipule que les secours fournis par l'assistance publique pendant la période au cours de laquelle la femme n'a pu être employée « ne seront pas considérés, quant à leurs effets, comme secours d'assistance ». L'Annuaire de la législation du travail (5° année, p. 65) explique cette disposition par la note suivante: « La loi du 9 avril 1891 sur l'Assistance publique porte (art. 39) que toute personne qui a reçu des secours de l'assistance publique est soumise à la surveillance de celle-ci, aussi longtemps que durent les secours. L'administration (art. 41) est même autorisée à surveiller les enfants des personnes assistées et à les enlever à leurs parents, si elle le juge nécessaire, etc. >> |