1 des moyens. Il faut d'abord vivre et faire vivre les troupes, les colons, il faut assurer les transports indispensables, il faut, à tout prix, au besoin par la contrainte, se procurer des porteurs. De même pour les chemins de fer; ils seront à coup sûr, ils sont déjà dans plusieurs pays un élément considérable de prospérité et de sécurité pour les indigènes; mais la main-d'œuvre pour les premiers travaux est souvent difficile à recruter, parfois la mortalité sévit dans des proportions terribles, et il arrive, encore aujourd'hui, que nos administrateurs se voient obligés de recourir à une véritable contrainte, jusqu'à faire garder les chantiers par la troupe. De pareilles pratiques sont toujours condamnables mais elles trouvent une excuse partielle dans la nécessité qui oblige à y recourir. Malheureusement il n'en est pas toujours ainsi. Dans certains cas on a abusé de la main-d'œuvre indigène de la manière la plus lourde pour construire de larges routes, totalement inutiles à l'indigène dans des pays où il 'n'a pas de voitures et où il blesse ses pieds nus sur les chemins empierrés. Ces belles routes, d'ailleurs, bientôt envahies par la végétation tropicale, ravinées par les pluies, coupées par les torrents, n'ont jamais non plus rendu aucun service aux Européens. On a vu pis encore : à Madagascar, par exemple, un engouement trop hatif, ayant entraîné dans l'île beaucoup de colons dès les premiers temps de la conquête, les administrateurs se sont vus dans la nécessité de mettre à leur disposition, dans les plus mauvaises conditions, la main-d'œuvre indigène. En Nouvelle-Calédonie, les abus, sur lesquels nous reviendrons, ont été plus graves encore. Le Comité de défense des indigènes les a signalés avec vigueur et son indignation était parfaitement justifiée. L'internement à l'île des Pins a été maintes fois appliqué par les administrateurs à des indigènes dont le seul crime avait été de se plaindre ou de refuser un travail exigé dans de pareilles conditions. Ainsi, parmi les causes qui ont provoqué des abus, les unes sont passagères, ce sont les difficultés inséparables des premières années d'établissement; les autres tiennent, au contraire, à un vice dans la réglementation du travail ou à une absence de règlementation. Les premières ont déjà été en très grande partie atténuées. Passons rapidement en revue ce qui a été fait. Le régime du travail fut d'abord réglé à Madagascar par l'arrêté du 27 décembre 1896, qui imposait à tous les Malgaches n'appartenant pas aux classes aisées l'obligation de contracter un engagement de travail. De plus, le système des prestations ou corvées donnait lieu à des abus contre lesquels le Comité de protection et de défense des indigènes a souvent protesté. Cet état de choses n'a heureusement pas duré longtemps: l'arrêté de 1896 a été abrogé ou, tout au moins, il n'est plus exécuté; la corvée, ou n'est plus exigée ou est atténuée de telle façon qu'elle ne provoque plus de plaintes. Nous sommes heureux de constater avec quelle rapidité l'administration ferme et prévoyante du général Galliéni a organisé dans une île à population peu dense le travail des indigènes. Comprenant que, dans un pays où l'Européen ne peut pas travailler, la main-d'œuvre indigène est la condition absolue de toute entreprise de colonisation, il encourage par tous les moyens en son pouvoir l'accroissement de la population, d'abord en faisant régner une paix profonde dans tout le pays et en encourageant la natalité par des récompenses aux familles nombreuses. En outre, l'engagement de travailleurs étrangers hindous ou japonais est venu suppléer à la faible densité de la population autochtone. Le tout récent arrêté du 6 mai 1903 (Officiel du 13 mai) a réglé le contrat de travail des engagés immigrants à Madagascar. Aux fles Commores, la situation est moins favorable. La Compagnie de colonisation qui s'y était établie avait passé avec les chefs indigènes des contrats véritablement abusifs. La situation a été signalée d'après le Comité de défense des indigènes d'après la notice publiée à l'occasion de l'Exposition de 1900. D'après l'auteur, M. Emile Vienne, rédacteur au Ministère des Colonies, le minimum de durée de l'engagement est fixé par une annexe du traité conclu avec le Sultan de la Grande Commore, à un an, et aucun maximum n'est stipulé; en fait, la société a établi le maximum de 10 ans; les esclaves libérés signent un contrat de 10 ans. Les conditions de travail sont ainsi fixées; 10 heures de travail par jour - 1 jour de repos hebdomadaire - 3 jours fériés par an; les salaires sont de 4 roupies par mois par engagé libre homme, de 2 roupies pour les femmes de 1 roupie pour les engagés anciens esclaves libérés et de 1/2 pour les femmes. - On comprend comment, dans ces conditions, M. le Dr d'Anfreville a pu écrire dans son rapport au dernier Congrès Colonial français : « Les gens des Commores vivent dans une sorte >> d'esclavage déguisé, et les troubles récents qui agitèrent >> Mohéli ne furent qu'une manifestation de cette situation ». En Indo-Chine une série d'arrêtés pris par M. Doumer et signalés par lui dans son grand rapport officiel (p. 60) ont « donné une réglementation particulière des contrats de >> main-d'œuvre, s'efforçant de concilier les intérêts des >> colons et la liberté des travailleurs ». L'arrêté du 26 août 1899, notamment, fixe à un an la durée du contrat des engagistes; le renouvellement, comme le contrat originaire doit avoir lieu avec intervention du fonctionnaire compétent; les contrats intéressant les mineurs de 18 ans doivent être passés par leurs représentants légaux; enfin d'autres dispositions règlent les sanctions qu'encourent les engagistes en raison de la rupture de leurs engagements et les oblige à être porteurs d'un livret qui équivaut pour eux à un permis de séjour en même temps qu'il facilite la preuve des pénalités prononcées contre eux. Nos colonies africaines, trop récemment conquises et à peine organisées, auraient besoin d'une réglementation très sérieuse du contrat de travail, précédée d'une étude consciencieuse et détaillée des conditions très variables dans lesquelles se présente le problème de la main-d'œuvre. Que des abus se soient produits dans les régions encore absolument sauvages du Congo ou du Soudan, il convient de le regretter plus encore que de s'en étonner. Mais où l'étonnement est permis, c'est au contraire quand on constate que les abus les plus graves peut-être, se sont produits dans une 1 vieille colonie depuis longtemps occupée par la France, la Nouvelle-Calédonie. Le nombre des colons français attirés par une propagande, nous allions dire par une réclame, bien organisée, ayant augmenté dans de fortes proportions en ces dernières années, l'Administration a dû chercher à leur procurer la main-d'œuvre indispensable. Dans beaucoup d'endroits les Canaques ont été soumis à un véritable servage. Le Comité de défense des indigènes a publié le texte d'un contrat daté de septembre 1899, approuvé par l'autorité administrative et relatif à la tribu Nassirah-Ouitchambo, qui n'est pas autre chose qu'un véritable contrat de servage héréditaire et perpétuel, avec cette double aggravation que les hommes qui deviennent serfs le deviennent sans leur consentement par la volonté des chefs de la tribu, et qu'en outre il disposait de leurs enfants nés et à naître qui à partir de l'âge de dix ans sont voués à une domesticité privée de cinq ans pour redevenir simples serfs à quinze ans. Ce contrat contient en outre une stipulation toute spéciale de monopole de maind'œuvre au profit d'un colon. A la suite des démarches du Comité de défense des Indigènes, ce contrat a été modifié et dédoublé au mois de septembre 1899; mais il laisse subsister le fait d'un engagement de travail, à raison de 4 mois par an pour les adultes sans terme défini, liant les enfants nés ou à naître; la date de leur entrée au service du colon a été seulement reculée de 10 à 12 ans. En échange de ces engagements, les Canaques obtiennent: 1o une concession de terre à titre de propriété; mais de propriété révocable au cas où ils quitteraient la concession; 2° une ration de riz pendant la durée des corvées; 3o un salaire déterminé. C'est là le cas le plus saillant de manquement absolu aux principes de notre droit; mais l'histoire de la Nouvelle-Calédonie en ces dernières années est pleine de faits du même genre, sinon aussi graves: Canaques arbitrairement internés, frappés, etc. Les indigènes sont absolument soumis à l'arbitraire de l'administration Dans son rapport au dernier Congrès colonial français, M. Jouannin, secrétaire-général du Comité de l'Asie française, que l'on n'accusera pas d'être un anti-colonial, écrit: « Il ne faut pas se faire d'illusions, le recrutement tel >> qu'il se produit encore aujourd'hui en Océanie ressemble à » s'y méprendre à la traite; c'est de l'esclavage à temps au >> lieu de l'esclavage à perpétuité » (p. 40). Nous sommes convaincus qu'il suffira de signaler un pareil état de choses pour en amener la suppression. Ceux qui excusent de pareils manquements aux principes du droit de tous les peuples civilisés allèguent que les peuples primitifs tels que les Canaques et certaines tribus africaines refusent absolument de travailler et considèrent le travail comme une déchéance. Cela est vrai dans une certaine mesure et il est certain aussi que les obliger à un certain travail est le meilleur moyen d'élever leur niveau moral et de modifier leur situation matérielle. Il est légitime, il est nécessaire de faire naître ou de stimuler chez les primitifs le goût du travail; mais il y a lieu aussi de choisir les moyens et on y peut réussir sans recourir à l'esclavage et aux mauvais traitements. Nous aimons à invoquer sur ce point le témoignage décisif du colonel Thys, le véritable créateur de l'Etat du Congo. Il disait, en 1895, à la session de l'Institut colonial international, à La Haye : « Il est entièrement con>> solant de constater chaque fois que l'on entre dans le » cœur de la question de la main-d'œuvre, que non seule» ment il n'est pas impossible d'entraîner les primitifs, au >> travail, mais que c'est là une œuvre simplement humaine >> qui ne dépasse pas les forces de ceux qui s'y appliquent ». Mais il y faut, comme l'a dit M. Chailley Bert dans un lumineux rapport sur la même question, « de longues années de >> patiente éducation ». Nous ajouterons, qu'il y faudra aussi, en attendant, une intervention protectrice de la Métropole, décidée à faire respecter dans ses colonies les principes fondamentaux de son droit. Au moment où nos colonies sortent de la période de conquête pour entrer dans celle de la mise en valeur et de l'exploitation, il est, avant tout, nécessaire de régler la question de la main-d'œuvre; de réglementer d'une part le travail |