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posée comporte une exception. D'après le paragraphe 2 de l'article 8: « Le Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, à Paris, et les Préfets dans les départements pourront exceptionnellement autoriser l'emploi d'un ou plusieurs enfants dans les théâtres pour la représentation de pièces déterminées. >>>

M. Paulin-Méry, appuyé par M. de Mun, avait, sans succès, demandé à la Chambre des députés la suppression de ce second paragraphe. Il disait : « L'autorisation donnée au Préfet de permettre l'emploi dans les théâtres de figurants audessous de treize ans est la véritable suppression de l'article lui-même... Nous avons voté, dans une de nos dernières séances, la suppression du travail de nuit dans les ateliers. Pourquoi ne ferait-on pas de même en ce qui concerne les théâtres? Croyez-vous que les enfants qui auront passé une grande partie de la nuit au théâtre iront à l'école le lendemain? Messieurs, vous ne créerez pas, en faveur du théâtre, une exception qui se tournerait contre l'instruction obligatoire... >>> Le rapporteur défendit le texte proposé par la Commission en déclarant qu'il ne pouvait être là question « que de cas tout à fait spéciaux, extrêmement rares » (1).

L'événement a malheureusement justifié les prédictions de M. Paulin-Méry. L'exception a, une fois de plus, tué la règle. La loi du 2 novembre 1892 entrait en vigueur le 1" janvier 1893. Par deux circulaires datées du 26 janvier 1893 le Ministre de l'instruction publique et des Beaux-Arts signalait les dispositions nouvelles aux directeurs des théâtres de Paris et aux Préfets des départements (2). Le Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts écrivait aux Préfets: << La part que vous êtes appelés à prendre à l'exécution de cette prescription législative est considérable et je compte sur tout votre concours pour assurer le succès des mesures édictées par le Parlement dans un but d'hygiène et de moralisation...

(1) Séance de la Chambre des députés, 5 février 1891. (2) V. Bulletin de l'Inspection du travail, 1894, p. 805.

<<< Les directeurs de théâtre devront vous adresser, avant la répétition qui précède la première représentation, une liste nominative des enfants qu'ils désireront employer; cette liste indiquera l'âge de chacun de ces enfants. Vous voudrez bien désigner, pour assister à cette répétition, un fonctionnaire sur le rapport duquel vous statuerez immédiatement sur la demande du directeur... »

Chaque année, depuis 1893, les rapports des inspecteurs divisionnaires placés à la tête des onze circonscriptions d'inspection et le rapport général adressé par le Président de la Commission supérieure du travail au Président de la République sur les résultats de l'inspection nous renseignent sur la façon dont est appliqué l'article 8 de la loi de 1892. Chaque année aussi, le Ministre du Commerce publie, en annexe de ces rapports, un tableau établi à l'aide des chiffres fournis par le Ministre de l'Instruction publique et des BeauxArts et les Préfets des départements, indiquant le nombre des autorisations accordées et le nombre des enfants visés par les autorisations. Ce tableau ne nous fait pas exactement connaître le nombre des enfants de moins de treize ans employés, chaque année, dans les théâtres et cafés-concerts. L'enfant qui a été, dans la même année, l'objet de plusieurs autorisations peut être plusieurs fois compté dans la statistique dont ce tableau nous donne les résultats. Les chiffres qui nous sont ainsi fournis n'en conservent pas moins un véritable intérêt.

En 1893, le nombre des autorisations accordées est de 66 visant 331 enfants (1). En 1894, 87 autorisations visent 285 enfants (2).

Dès 1894, le rapporteur de la Commission supérieure constate que l'autorisation est, en fait, rarement refusée (3).

(1) Rapport sur l'application de la loi du 2 novembre 1892 pendant l'année 1893, p. 241.

(2) Rapports sur l'application, pendant l'année 1894, des lois réglementant le travail, p. 579.

(3) Eod. loc., p. XXXI.

En 1895, 87 autorisations visent 558 enfants (1).
Certains inspecteurs du travail protestent.

L'inspecteur de la 1" circonscription (1" circonscription comprenantles départements dela Seine, Seine-et-Oise, Seineet-Marne), donne le tableau des autorisations accordées, en 1895, dans sa circonscription et ajoute: <<< La lecture de ce tableau produira certainement une impression pénible. N'est-il pas profondément triste que des petits garçons et des petites filles de 4 à 6 ans paraissent sur les planches? Quelles sont les nécessités artistiques ou littéraires qui obligent d'exhiber ces petits êtres sur les tréteaux d'un café-concert ou même sur la scène des grands théâtres? On ne voit pas, par exemple, ce qu'une pièce comme Rip aurait perdu aux yeux du public si les trois petites filles de 4, 5 et 6 ans qui y figuraient avec douze autres camarades un peu plus âgés avaient été remplacées par des enfants moins jeunes. Et ce petit garçon de 5 ans interprétant un rôle dans une pièce jouée dans un caféconcert! ».

L'inspecteur de la 2' circonscription, écrit, dans son rapport pour la même année : « Trois autorisatious ont été accordées, l'une par M. le Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, les deux autres, par M. le Préfet d'Indre-et-Loire.

<<< La première autorisait une fille de 12 ans à jouer dans une comédie intitulée: Maman Sabouleux.

<<« Les deux autres concernaient:

« 1° Deux garçons de 6 à 7 ans dont le travail consistait à interpréter de la voix et du geste les chansons fin de siècle du répertoire de la Scala de Paris;

« 2o Deux enfants qui dansaient sur la scène. Il me sera permis de trouver la chose regrettable; si je comprends jusqu'à un certain point qu'on autorise un enfant à remplir un rôle qu'il est indispensable de confier à un enfant, j'admets difficilement la nécessité de voir et d'entendre ces petits phénomènes qui, sous prétexte de chansons ou de danse, sont

(1) Rapports sur l'application, pendant l'année 1895, des lois réglementant le travail, p. 479.

une révolte flagrante contre la morale, l'hygiène et les bonnes

mœurs.

« Les enfants doivent rester dans les milieux qui conviennent à leur âge et à leur santé: la famille, l'école, l'atelier; en dehors de cela il n'existe rien pour eux que l'école du cabotinage; je suis très vivement désireux que l'accès leur en soit interdit de la façon la plus formelle (1) ».

En 1896, le nombre des autorisations s'élève à 144, le nombre des enfants visés par ces autorisations à 641 (2).

L'inspecteur de la 1" circonscription écrit : « Je faisais remarquer, l'année dernière, qu'un jeune garçon de cinq ans avait été appelé à figurer sur l'estrade d'un café-concert. Il y a mieux cette fois: Le théâtre du Gymnase a fait paraître sur la scène, avec autorisation, dans la pièce : Au bonheur des dames, une petite fillette de trois ans! (3) »

L'autorité responsable s'émeut. Le '7 novembre 1896, le Ministre du Commerce fait connaître aux inspecteurs divisionnaires du travail qu'à la suite des scandales qui lui ont été signalés le Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts a décidé de ne plus autoriser les enfants à interpréter la chansonnette de café-concert.

Le Ministre du Commerce ajoute: Cette décision, dont MM. les Préfets ne manqueront pas de s'inspirer, aura pour conséquence de mettre fin aux abus sur lesquels vous avez appelé mon attention » (4).

Deux mois après, le 25 janvier 1897, le Ministre de l'Instruction publique adresse aux Préfets une circulaire qui débute ainsi : « Monsieur le Préfet, il ressort de la statistique dressée dans son rapport annuel par l'inspection du travail et relative à l'application de la loi du 2 novembre 1892,

(1) Rapports sur l'application, pendant l'année 1895, des lois réglementant le travail, p. 31 et 46.

(2) Rapports sur l'application, pendant l'année 1896, des lois

réglementant le travail, p. 452.

(3) Eod. loc. p. 29.

(4) Bulletin de l'Inspection du travail, 1896, p. 476.

dans les théâtres et cafés-concerts, que les autorisations de jouer données, dans les départements, à des enfants âgés de moins de treize ans, ont été, en général, beaucoup trop nombreuses. Afin d'éviter dans la mesure du possible ces exhibitions le plus souvent inutiles et toujours regrettables, je vous prie, M. le Préfet, de restreindre les autorisations qui vous seront demandées et de ne les concéder que pour des rôles que vous reconnaîtrez absolument indispensables de confier à de tout jeunes enfants » (1).

On ne peut que louer l'inspiration qui dictait au Ministre de l'instruction publique la circulaire du 25 janvier 1897. Cette circulaire ne paraît malheureusement point avoir donné les résultats qu'on en devait attendre.

Il y avait eu, en 1896, 144 autorisations visant 641 enfants. On relève, en 1897, 166 autorisations visant 775 enfants, en 1898, 160 autorisations visant 902 enfants (2)!

Aussi, les inspecteurs du Travail, la Commission supérieure font-ils bientôt entendre de nouvelles protestations.

On lit dans le rapport de lå Commission supérieure pour 1899: « La Commission supérieure estime que l'emploi au théâtre d'enfants qui n'ont quelquefois pas plus de 5 à 6 ans constitue un abus auquel il y a lieu de couper court. M. le Ministre du Commerce a entretenu itérativement de la question son collègue des Beaux-Arts » (3).

En 1900, le rapport de la Commission supérieure constate que « les inspecteurs s'accordent à reconnaître qu'il n'a été tenu que peu de compte de la circulaire du 25 janvier 1897 de M. le Ministre de l'Instruction publique recommandant de n'accorder que des autorisations indispensables.

(1) Bulletin de l'Inspection du Travail, 1897, p. 6.

(2) Rapports 1897, p. 590, 1898, p. 544.

(3) Rapports sur l'application, pendant l'année 1899, des lois régle

mentant le travail, p. LXXXIII.

Cf. Rapports sur l'application, pendant l'année 1898, des lois réglementant le travail, p. 35.

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