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LA RÉGLEMENTATION HEBDOMADAIRE

DE LA DURÉE DU TRAVAIL

LE REPOS DU SAMEDI

L'application de la loi du 30 mars 1900 aura pour effet de:

réduire à dix heures, à partir du 1" avril 1904, la durée du travail non seulement des enfants et des femmes, mais aussi des hommes adultes occupés dans les mêmes locaux que ces enfants ou ces femmes.

Un certain nombre d'industriels demandent que, pour faciliter l'introduction du régime nouveau, la loi permette de compter la durée légale du travail par semaine et non pas par jour. Cette proposition a été examinée par l'Association française pour la protection légale des travailleurs dans ses réunions des 27 février et 27 mars 1903. Deux rapports lui ont été présentés : l'un par M. Strohl, l'autre par M. Fagnot.

Rapport de M. Strohl

Pour éviter toute équivoque, je commencerai par une profession de foi: Je suis partisan des lois de protection ouvrière, tout en déplorant que de pareilles lois soient nécessaires, car je prétends que des industriels qui se respectent et comprennent leur rôle social devraient avoir suffisamment à cœur le sort de leurs ouvriers, de leurs collaborateurs, pour rendre l'intervention de l'Etat inutile.

Quelles sont les causes qui ont amené cette intervention? Quels sont ses origines, ses principes, les phases par lesquelles elle a passé?

C'est ce que je vais essayer de résumer en quelques mots. Au Moyen-Age, ce sont les corporations de métiers qui assurent le travail, le débouché, l'existence; elles sont la sauvegarde, aussi bien des intérêts des consommateurs que de ceux des producteurs, car elles garantissent l'excellence des marchandises et en fixent le prix; elles exigent de plus des qualités nombreuses et précises des aspirants-artisans, des compagnons et des maîtres.

C'est la « Gilde » qui a le monopole du métier, qui règle la production et les conditions du travail; la concurrence effrénée entre producteurs n'est pas possible: c'est la corporation qui achète les matières premières et les revend à prix uniforme à ses membres. Il n'y a point de classes, car tous sont travailleurs, et l'ouvrier, aussi bien que celui qui l'emploie, appartiennent à la même condition. En effet, le maître travaille de ses mains avec ses ouvriers, qu'il admet à sa table et même quelquefois sous son toit pendant la nuit; quant à l'apprenti, le patron doit le loger, le nourrir, l'entretenir, le traiter en enfant de la maison, l'instruire dans la pratique professionnelle et ne pas lui imposer un labeur au-dessus de ses forces.

Les officiers de la corporation surveillent les dispositions réglementaires et maintiennent l'honneur du métier, tant pour ce qui a trait à la qualité des produits fabriqués que pour ce qui regarde les conditions d'aptitude, les jours et les heures de travail; ce sont eux qui font passer les examens de maltrise, qui reçoivent le serment du nouveau maître, qui interviennent dans les différends entre patrons et ouvriers, qui placent quelquefois les apprentis et représentent même souvent la corporation dans ses transactions et ses affaires litigieuses.

Sous ce régime, si le travail assurait l'existence, il ne permettait pas d'arriver à la richesse; mais si l'on ne voyait pas de grandes fortunes, on ne rencontrait par contre pas non plus de grandes misères.

Voilà la première phase; mais comme partout, comme toujours l'abus commence à naître : les populations rurales, fuyant peut-être l'arbitraire des seigneurs ou attirées par la prospérité des Gildes, se réfugient dans les cités et viennent offrir aux mattres une foule de bras nouveaux; elles trouvent à se placer, car les voies de communication sont devenues plus nombreuses, des débouchés nouveaux se sont ouverts et des besoins nouveaux se sont créés. Il faut donc produire davantage et pour cela employer un personnel plus nombreux; les maîtres deviennent plus riches et cessent de travailler de leurs mains pour faire travailler, sous leur surveillance, non plus des compagnons, mais des ouvriers. - Le travail, en effet, commence à se décomposer: ce n'est plus, comme autrefois, le même individu qui, comme un artiste, exécute et finit un objet, par lui-même et de toutes pièces: chacun a sa spécialité et ne fait qu'une partie du produit, partie pour laquelle il arrive, par la répétition continuelle du même travail, à une dextérité merveilleuse, à une économie de temps et partant à une productivité plus grande.

Manufacture.

C'est la

Dans ce régime, un capitaliste, un maître de

corporation enrichi, possède les instruments de travail et fait exécuter pour son compte, quelquefois même plus sous sa surveillance personnelle, mais sous celle d'un délégué payé sur lequel il se décharge de ce soin, les opérations parcellaires que comporte la production d'une marchandise donnée.

Le régime manufacturier devait triompher du régime corporatif par sa productivité plus grande et par l'argent, qui dans toute entreprise est le nerf de la guerre; la lutte entre les deux régimes a cependant été longue et opiniâtre, et si la victoire a fini par rester à la manufacture, c'est bien aussi grâce à la complicité des pouvoirs publics qui, ayant à compter avec sa puissance et son influence, l'ont favorisée dans les marchés non monopolisés et principalement dans les marchés coloniaux.

Cette victoire, elle est définitivement consacrée par l'abolition de tous les privilèges de profession et par la liberté du travail, proclamée en France en 1791, dans les PaysBas en 1794, en Espagne en 1813, en Angleterre en 1802, pour la laine d'abord, et en 1814 pour toutes les autres industries. L'Allemagne et l'Autriche, moins avancées d'ailleurs dans l'industrialisme que les nations voisines, ne suivent que plus tard, à cause de motifs politiques, ce mouvement libéral.

C'est là la seconde étape, la seconde phase dans l'histoire du travail.

Le régime de la manufacture a-t-il été libre? Non, du reste on ne pouvait s'y attendre après la sévérité des statuts qui régissaient les corporations. Aussi voyons-nous, dès les commencements du XVIIIe siècle, c'est-à-dire dès l'extension un peu marquée du régime manufacturier, les gouvernements le placer sous le contrôle d'inspecteurs : en Russie ce sont des commissaires, en Autriche des inspecteurs royaux et impériaux de fabriques, en France des inspecteurs de Manufactures, qui doivent faire des tournées régulières d'inspection dans leurs districts, encourager les entreprises nouvelles, surveiller les différentes branches de l'industrie et

du commerce, rassembler les matériaux statistiques, proposer les améliorations requises dans le domaine économique, tenir la main à ce que les règlements de police concernant les maîtres, les ouvriers et les apprentis, soient exactement exécutés, employer les moyens les plus propres à concilier les parties en cas de procès entre elles, etc., etc.

Mais ces inspecteurs furent partout impuissants à remplir la tâche qui leur était dévolue, les grands employeurs trompant leur surveillance; aussi l'institution fut-elle bientôt abolie: leurs fonctions, du reste, étaient plutôt celles de conseil en vue de l'extension du commerce et de l'industrie, que de protection des travailleurs.

Sous le régime de la manufacture, le nombre des heures de travail augmente, le montant des salaires diminue ; l'habileté créatrice du compagnon, de l'artisan, est remplacée par l'habileté mécanique de l'ouvrier dont le travail est spécialisé; les femmes et les enfants commencent à entrer dans les ateliers, en petit nombre d'abord, mais au fur et à mesure que les progrès scientifiques s'introduisent dans l'industrie, que l'emploi des moteurs se généralise, que l'outillage se perfectionne et demande de la dextérité plutôt que de la vigueur de la part de l'ouvrier, l'emploi des femmes et des enfants augmente dans de notables proportions.

Les gouvernements ou bien ferment les yeux, ou bien poussent même à cet état de choses: témoin Pitt, qui, à la fin du XVIII siècle. disait sans le moindre scrupule aux industriels qui se plaignaient que la guerre enlevåt des adultes aux fabriques : « Mais prenez donc des enfants ».

Les conséquences se devinent. Pour vous en donner une idée, je ne puis mieux faire que de citer ce qu'en dit John Fielden dans son ouvrage «The Curse of Factory system ».

« La machine réclame des doigts petits et agiles. Aus>> sitôt naquit cette coutume de se procurer de soi-disant apprentis des Workhouses appartenant aux diverses >> paroisses de Londres, de Birmingham et d'ailleurs. Des >> milliers de ces pauvres petits abandonnés, de 7 à 13 et >> 14 ans, furent ainsi expédiés vers le Nord. Le maître

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