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LE DROIT DE CITATION DIRECTE

POUR LES ASSOCIATIONS

Séance du 15 Juin 1904

PRÉSIDENCE DE M. CAUWÈS

M. le Président expose que la Ligue française de la Moralité publique a pris l'initiative d'un vœu tendant à faire accorder à certaines Associations, sous des garanties à déterminer, le droit d'exercer directement des poursuites judiciaires. Cette Ligue a tenu le 7 Juin dernier une assemblée à laquelle elle a convoqué des délégués de différentes Associations susceptibles de bénéficier de ce droit; la nôtre y était représentée. Un vœu a été émis, auquel votre adhésion est demandée.

M. Henri Hayem, secrétaire du Comité parisien de la Ligue de la Moralité publique, a bien voulu se charger du rapport et je lui donne la parole:

Rapport de M. Henri HAYEM

Secrétaire du Comité parisien de la Ligue française de la Moralité publique.

La Ligue française de la Moralité publique, d'accord avec la Société centrale de protestation contre la licence des rues, a tenu le 7 Juin dernier une séance, à laquelle avaient été convoquées et s'étaient fait représenter un grand nombre d'Associations dont l'objet est, soit de travailler à l'amélioration de la moralité publique ou privée, soit, d'une façon plus spéciale, d'assurer la protection des enfants, des jeunes filles, des ouvriers, des apprentis, des animaux, ou de lutter contre la pornographie, contre la traite des blanches,

contre l'alcoolisme, contre la tuberculose, etc. La question qu'il s'agissait de traiter en commun était celle du droit de poursuite directe des crimes et des délits par les Associations.

La « Section française de l'Association internationale pour la protection légale des travailleurs » avait été, comme tant d'autres, invitée à cette séance, et elle y était représentée par son secrétaire général, M. Raoul Jay.

Il est donc singulier, pour le moins, que je vienne vous rendre compte de cette séance: mon éminent maître M. Jay est beaucoup plus qualifié que moi à cet égard. Si j'ai accepté cette tâche, c'est parce que j'y vois une occasion de vous signaler certains rapports entre les questions qui vous préoccupent généralement, c'est-à-dire celles qui concernent la protection légale des travailleurs, et d'autres questions moins étudiées aujourd'hui, et qui mériteraient une attention au moins aussi soutenue, j'entends les questions de moralité publique. Vous verrez d'ailleurs que j'aurai à me préoccuper des rapports entre ces deux questions, non pas d'une manière accessoire, mais au contraire d'une manière très directe : ce sera la conclusion à laquelle va me mener tout ce que je vais vous dire du droit de poursuite directe.

Je ne veux pas vous donner un simple compte-rendu analytique de la séance à laquelle je viens de faire allusion. Je crois plus intéressant de procéder selon une tout autre méthode. Je m'en vais tout d'abord poser aussi rapidement que je pourrai les principes généraux qui nous guident (1).

(1) BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE DU SUJET: PAUL NOURRISSON : De la participation des particuliers à la poursuite des crimes et des délits. 1894. - Compte-rendu de M. METTETAL dans la Revue Pénitentiaire de mars 1894. HENRI JOLY: Articles dans la Revue de Paris (1er décembre 1894) et dans la Revue politique et parlementaire (septembre 1895). Rapport de M. PAUL NOURRISSON et discussion des membres de la Société Générale des Prisons (Revue Pénitentiaire d'avril et mai 1896). - HENRI JOLY: Conférence faite au Congrès de la Société d'économie sion devant le Comité de Défense des (Revue Pénitentiaire de mars 1898).

sociale, en 1896. - DiscusEnfants traduits en Justice Travaux préparatoires de Puis j'envisagerai la question avec quelque détail au point de vue spécial de la protection légale des travailleurs. Je crois ainsi répondre mieux à ce que vous pouvez attendre de moi.

I

Que pouvons-nous faire aujourd'hui pour la répression des atteintes à la moralité publique ? Une seule chose : Dénoncer au Parquet les délits que nous avons constatés. Une fois cette dénonciation opérée, nous sommes désarmés. Le magistrat qui a reçu notre dénonciation a pleins pouvoirs pour y donner telle suite qu'il lui plast, c'est-à-dire pour intenter une action publique, ou, au contraire, pour laisser impunies les infractions que nous lui avons signalées.

Il n'en est pas de même dans tous les pays et il importe de citer l'exemple de l'Angleterre et des États-Unis où les simples citoyens ont le droit d'agir au nom de la société tout entière, et de mettre eux-mêmes en mouvement les actions qui sanctionnent les atteintes à la chose publique.

Chez nous, ce droit n'existe qu'à l'égard des actes attentatoires à notre personne ou à nos biens. Si un individu nous frappe, s'il nous prend notre montre, notre porte-monnaie, nous pouvons le poursuivre. Mais s'il expose à nos regards

). - PAUL NOURRISSON: Séances et travaux de

la loi du 10 avril 1898 (Journal officiel L'Association contre le crime. 1901. l'Académie des Sciences morales et politiques, compte-rendu, 1902, 1er semestre, pp. 705 et suiv. Rapport de M. PAUL NOURRISSON et discussion par les membres de la Société de législation comparée (1902-1903, tome 32, pp. 132, 142, etc.). Rapport de M. PAUL NOURRISSON et discussion par les membres de la Ligue française de la Moraliié Publique, de la Société centrale de protestation contre la Licence des Rues et des diverses Associations représentées à la réunion du 7 juin 1904 (Bulletin Parisien de la Ligue française de la Moralité publique, juillet et novembre 1901). - PAUL GEMÄHLING : Le Droit de poursuite directe des crimes et délits par les Associations (L'Enfant, juin 1904). HENRI JOLY: Un Droit à conquérir (Journal des Débats, 5 juillet 1904).

ou à ceux de nos enfants des images obscènes, s'il nous scandalise par son état d'ébriété, s'il contribue à démoraliser ceux qui le fréquentent par l'exemple de sa brutalité à l'égard de ses enfants, ou des animaux confiés à ses soins, nous ne pouvons que le dénoncer. Je dis « nous ne pouvons.....», il faut entendre par là que non seulement les simples particuliers sont impuissants à poursuivre de tels faits en leur propre nom, mais encore que les associations, constituées expressément pour lutter contre l'immoralité publique, ou contre la licence des rues, etc., doivent, dans l'état actuel de notre législation, se contenter du droit de dénonciation.

Or, ce droit est tout à fait insuffisant.

Toutes les associations qui ont pour objet de lutter contre les diverses manifestations de l'immoralité publique sont d'accord pour réclamer une répression plus énergique des faits qu'elles dénoncent inlassablement. et, la plupart du temps, en vain. Les sanctions inscrites dans nos lois sont inefficaces, faute d'être appliquées.

Il n'en est pas de même dans les pays de langue anglaise, où, grâce au droit de poursuite directe, les mœurs publiques sont très supérieures à ce qu'elles sont en France.

Mais il importe de pousser plus loin l'analyse. Pourquoi nos Parquets, seuls armés du droit de poursuivre directement les actes contraires à la moralité publique, n'usent-ils pas plus fréquemment de ce privilège ? Ce serait pourtant la meilleure manière de le justifier.

Faut-il dire que les magistrats sont eux-mêmes des êtres d'une moralité douteuse et qu'ils ne sauraient blâmer chez autrui des fautes qu'ils ne craignent pas de commettre journellement ?

Loin d'approuver un pareil langage, je m'élève avec indignation contre de pareilles accusations. Sans doute, les magistrats ne sont pas tous parfaits. Quel est le corps constitué, quel est le métier, quelle est la profession dont aucun membre ne puisse prêter à la critique, ou même au blâme ?

Si la magistrature n'assure pas suffisamment la répres

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