>> (voleur d'enfants) se chargeait de vêtir, nourrir et loger ses >> apprentis dans une maison ad hor, tout près de la fabrique. >> Pendant le travail ils étaient sous l'œil des surveillants. >> C'était l'intérêt de ces gardes-chiourmes de faire trimer les >> enfants à outrance, car, selon la quantité de produits qu'ils >> en savaient extraire, leur propre paye diminuait ou aug>>> mentait Les mauvais traitements, telle fut la consé>> quence naturelle.... Dans beaucoup de districts, principale>> ment dans le Lancashire, ces êtres innocents, sans amis ni ▸ soutiens, qu'on avait livrés aux maîtres de fabriques, furent >> soumis aux tortures les plus affreuses. Epuisés par » l'excès de travail, ils furent fouettés, enchaînés, tourmen>> tés avec les raffinements les plus étudiés. - Souvent quand >> la faim les torturait le plus fort, le fouet les maintenait au >> travail. Le désespoir les porta, en quelques cas, au suicide. Les profits énormes réalisés par les fabricants ne firent >> qu'aiguiser les appétits. Ils imaginèrent la pratique du >> travail nocturne, c'est-à-dire qu'après avoir épuisé un >> groupe de travailleurs par la besogne du jour, ils tenaient >> un autre groupe tout prêt pour le travail de nuit. Les >> premiers se jetaient dans les lits que les seconds venaient >> de quitter au moment même et vice-verså. C'est une tradi>> tion populaire dans le Lancashire que les lits ne refroidis> saient jamais. >>> Le rapport de la loi Peel, publié en 1816, constate que très souvent des enfants de 5 à 6 ans travaillaient 15 et 16 heures par jour; un peu plus àgés, il y en a qui travaillent 24 heures de suite. A en croire Marx et Engels, on était simplement revenu au temps de l'esclavage et il existait à Londres un marché d'enfants. Les femmes et les jeunes filles n'étaient pas plus épargnées : on préférait employer celles qui avaient des enfants, qu'on trouvait plus attentives et plus disciplinables, forcées qu'elles étaient de travailler jusqu'à extinction pour se procurer les moyens de subsistance nécessaires. Les hommes, dont le travail est déprécié par cette concurrence des femmes et des enfants, qui diminue leur emploi, cherchent à travailler à tous prix, ce qui a pour conséquence une diminution notable de la valeur de la main-d'œuvre. Si l'on songe encore aux épouvantables conditions de salubrité des ateliers de ce temps, on frémit. Je me souviens toujours de l'apprentissage que j'ai fait, il y a 30 ans, dans une carderie de déchets de soie; l'air y était tellement chargé de poussières que la lumière des becs de gaz, le soir, ne s'apercevait que comme au travers d'un épais brouillard et que le docteur avait ordonné aux ouvriers, hommes et femmes, de fumer la pipe à l'atelier pour faciliter l'expectoration des poussières qui leur tapissaient les bronches. Mais ce n'est pas à comparer avec ce que rapportent les premiers inspecteurs de fabriques anglais et les Commissions d'enquête instituées dans les différents pays. La fièvre industrielle était si forte que les gouvernements, ne voyant que le développement de la richesse manufacturière, ne se préoccupaient pas des moyens par lesquels elle s'édifiait trop souvent. Il fallut que ces abus devinssent tels que ce furent des hygiénistes, doublés d'hommes de cœur, qui jetèrent les premiers cris d'alarme. L'honneur d'avoir éclairé l'opinion publique sur cette plaie sociale appartient aux docteurs Athin et Perceval; ce sont eux en effet qui, en 1796, entreprirent cette étude en Angleterre et mirent à nu toutes ces horreurs; le résultat de leur campagne fut que, dès 1802, Sir Robert Peel fit voter par le Parlement la première des lois protectrices ouvrières modernes « pour conserver le moral et la santé des apprentis employés dans les moulins de coton ou de laine. >>> Nous entrons dans la troisième phase de l'évolution du travail, phase de pitié pour l'enfant, phase d'humanité et de philanthropie bienveillante: c'est celle dans laquelle nous vivons aujourd'hui, et il n'est plus de pays, pour ainsi dire, qui n'ait sa loi du travail. Partout la marche suivie a été la même : au début, le législateur s'est attaché à réprimer les abus les plus criants; après avoir défendu le travail des petits enfants, réglementé celui des enfants plus âgés, mis des entraves à l'exploitation de la femme et au travail de nuit, il imposé les jours de repos, règle la question du paiement des salaires, prend des mesures préventives concernant la salubrité et la sécurité des ateliers, délimite la responsabilité des entrepreneurs, étudie l'assurance obligatoire contre les accidents, la maladie, la vieillesse, et enfin met à l'ordre du jour la question de la réglementation internationale du travail. - Le Congrès de Berlin de 1890 est le premier pas fait dans cette voie et l'honneur de cette initiative appartient aux Suisses. L'intervention des pouvoirs publics est donc pleinement justifiée, selon moi; il ne faut cependant pas qu'elle aille jusqu'à remettre l'ouvrier adulte en tutelle; il ne faut pas qu'elle risque d'attenter à la plus sainte des doctrines de la Révolution française, celle de la liberté individuelle, mais où il faut que l'Etat intervienne, où son devoir est d'être sévère, c'est dans la question du surmenage des enfants, et dans celle de l'hygiène, de la salubrité et de la sécurité des ateliers. Et sous ce rapport, je trouve même que l'on n'est pas allé assez loin et je souhaiterais que la durée du travail journalier fût mesurée davantage aux conditions d'hygiène et de salubrité des ateliers. Ces lois ouvrières demandent à être très sérieusement étudiées, car elles touchent à des intérêts graves et qu'il s'agit de concilier: ceux de la classe ouvrière et ceux de l'industrie elle-même. Si l'ouvrier ne doit pas voir diminuer son salaire, il ne faut pas non plus, par des mesures vexatoires ou des charges nouvelles trop fortes, entraver ou risquer d'arrêter même l'industrie dans son essor, car l'industrie est une des richesses nationales, et si elle périclite, où l'ouvrier trouvera-t-il son salaire? Il faut aussi que ces lois soient pratiques, d'une application facile et ne prêtant à aucune équivoque. Les lois actuelles remplissent-elles ces conditions? - C'est ce que nous allons étudier. La loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels, avait fixé des journées de travail de durées différentes suivant les différentes catégories d'ouvriers protégés, et l'inconvénient de cette mesure, inspirée cependant d'un sentiment d'humanité très louable, s'est fait immédiatement sentir lorsqu'on voulut l'appliquer. En effet, dans toutes les industries mixtes, c'est-à-dire dans celles qui, comme les industries textiles en général, emploient concurremment des hommes, des femmes, des filles mineures et des enfants, le travail des uns, mesuré aux forces et aux aptitudes de chacun, est solidaire du travail des autres, et toute réduction de la durée de travail d'une partie du personnel entraîne forcément la désorganisation, voire même le chômage d'une fabrication où tout se tient. C'est à cet inconvénient que le législateur a voulu remédier par la loi du 30 mars 1900, et la modification qu'il a apportée à la loi du 2 novembre 1892 et, par une conséquence fatale, au décret-loi des 9/14 septembre 1848, a consisté à unifier la durée journalière de travail de toutes les catégories d'ouvriers employés dans les industries mixtes, passant de 11 heures pendant 2 ans, à 10 heures 1/2 pendant 2 nouvelles années, pour arriver ainsi progressivement à 10 h. au bout de 4 ans, c'est-à-dire à l'unification de toutes les catégories d'ouvriers au nombre d'heures de travail prévu par la loi du 2 novembre 1892 pour les enfants et les jeunes gens des deux sexes âgés de moins de 18 ans. Au point de vue de son application, cette réduction, qui devient générale pour tout le personnel des industries mixtes, ne peut donc plus ètre accusée, comme la loi du 2 novembre 1892, de désorganiser le travail; elle a le mérite d'être pratique, de remplir par conséquent une des conditions dont nous parlions plus haut, mais elle peut soulever de la part des industriels l'objection d'augmenter leur prix de revient, par suite de la diminution de production qui doit en résulter, et de compromettre ainsi l'avenir de leur industrie en la mettant dans un état d'infériorité vis-à-vis de la concurrence étrangère, jouissant encore dans d'autres pays 'd'une latitude plus grande comme durée de la journée de travail. Si cette objection était fondée, l'industriel pourrait être tenté de réduire le salaire de ses ouvriers proportionnellement à la réduction de production qui résulterait pour lui de l'application de la loi du 30 mars 1900. Mais alors la protection dont on a voulu faire bénéficier l'ouvrier serait illusoire et irait à l'encontre même des intérêts de cet ouvrier: le législateur admettait donc, en principe, que la réduction des heures de travail ne devait pas entraîner de diminution de salaire et ne pouvait pas compromettre le budget de la famille ouvrière. Implicitement il réglementait donc les salaires. D'un autre côté, au point de vue du pays mème, tomber d'une journée de 12 heures qu'on avait avant la loi du 2 novembre 1892, à la journée de 10 heures, que nous allons avoir le 1 avril 1904 en vertu de la loi du 30 mars 1900, sans pouvoir compenser cette réduction des heures de travail par une intensité plus grande de production, cela équivaudrait à laisser improductif, pendant 2 mois par an, le capital formidable que représente le matériel industriel de tout le pays, et à ne pas faire rendre ainsi, à un des éléments de la richesse nationale, tout ce qu'il peut et doit rendre. La question qui se pose à nous est donc la suivante : Peut-on arriver à produire pratiquement en dix heures heures autant qu'on produisait autrefois en douze ? Nous avons à tenir compte ici des deux facteurs principaux qui régissent la production industrielle; l'ouvrier et le mécanisme, c'est-à-dire l'outil, et si nous examinons le rôle de chacun d'eux, nous voyons que chacun est la caractéristique d'une industrie bien distincte: l'ouvrier, de l'industrie métallurgique; la machine, de l'industrie textile. Dans l'industrie métallurgique, dans les ateliers de construction par exemple, la production n'est pas en rapport direct avec le nombre d'heures de marche du moteur, mais avec la somme de travail même de l'ouvrier. La machine n'est donc plus que l'auxiliaire de l'ouvrier pour certains travaux spéciaux, et ce qui produit, c'est l'effort physique et intellectuel de l'homme. - Si vous le surmenez par une présence trop longue à l'atelier, par un trop grand nombre |