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Je crois donc qu'on pourrait rendre la loi du 30 mars 1900 bien plus pratique en y ajoutant une disposition permettant à l'industriel de choisir, soit le travail de 10 heures pendant les 6 jours ouvrables de la semaine, soit le travail de onze heures par jour pendant 5 jours et de 5 heures le sixième jour, les deux modes donnant le même total de 60 heures de travail par semaine, c'est à-dire le maximum fixé par la loi à partir du 1" avril 1904.

L'industriel serait tenu de déclarer à l'Inspecteur du travail le mode de répartition du travail qu'il aurait adopté, et ce choix une fois fait, il ne pourrait plus le modifier à son gré.

Il est probable que l'industrie métallurgique s'en tiendrait aux 10 heures de travail par jour, mais que l'industrie textile, dans laquelle, ainsi que nous le disions plus haut, la production se trouvera forcément réduite par la diminution des heures de travail, adopterait la distribution des 60 heures par semaine avec un maximum journalier de onze heures pendant 5 jours, car cette distribution lui permettra de rétablir environ l'équilibre de son prix de revient, non pas par une réduction de salaire proportionnée à la réduction des heures de travail, mais par l'économie de combustible et de la maind'œuvre du dimanche qu'il peut réaliser par ce système.

De plus, si cette disposition additionnelle de la loi ménage davantage les intérêts des industriels, elle assure aux ouvriers le même nombre d'heures de loisir, mais des heures de loisir que l'ouvrier et l'ouvrière pourront mieux utiliser en vue du bien-être de leur famille; je crois aussi que cette disposition ferait tomber la plupart des objections que l'application de la loi du 30 mars 1900 a déjà soulevées et menace de soulever encore au 1er avril 1904.

Industriels, si notre devoir est de nous conformer aux lois et de les appliquer dans nos établissements, notre droit est de demander que ces lois soient industriellement pratiques et ne désorganisent pas le travail : il ne faut pas que la protection légale des travailleurs aille à l'encontre des intérêts vitaux de l'industrie, de ceux du pays et de ceux même de la classe ouvrière qu'on veut protéger, et c'est là que notre Association nationale peut utilement intervenir.

Rapport de M. Fagnot

Par la voix autorisée des Chambres de commerce et de l'Union nationale des syndicats patronaux de l'industrie textile, les industriels demandent au législateur de modifier sur un point important les lois des 2 novembre 1892 et 30 mars 1900.

Vous savez que, par application de cette dernière loi, la durée du travail des hommes adultes, des femmes et des enfants, occupés dans les mêmes locaux, est uniformément fixée à 10 heures et demie par jour depuis le 1er avril 1902 et que cette durée sera réduite à 10 heures par jour à partir du 1 avril 1904, époque où la loi de 1900 recevra son plein effet.

Or, les industriels voudraient, pour rendre la réglementation légale moins gênante et plus souple, que les heures de travail fussent comptées par semaine et non plus par jour. Acceptant une durée totale de soixante heures par semaine

point capital sur lequel il nous paraît d'ailleurs impossible que le législateur puisse revenir les industriels proposent le régime de travail suivant: onze heures par jour pendant cinq jours et cing heures seulement le sixième jour.

En d'autres termes, et pour employer une formule plus conforme aux habitudes de l'industrie: journée de onze heures pendant les cinq premiers jours de la semaine civile, journée de cinq heures seulement le samedi et repos complet le dimanche.

La proposition a déjà été soumise au Parlement, à deux époques différentes: en 1892 et 1900.

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Le deuxième paragraphe de l'ancien article 3 de la loi du 2 novembre 1892 était ainsi conçu :

<<« Les jeunes ouvriers ou ouvrières de 16 à 18 ans ne peuvent être employés à un travail effectif de plus de 60 heures par semaine, sans que le travail journalier puisse excéder onze heures. >>

S'appuyant sur ce paragraphe, M. Malartre demanda à la Chambre des Députés (séance du 29 octobre 1892) que la durée du travail des enfants de 13 à 16 ans fût également fixée à 60 heures par semaine et non pas à dix heures par jour. De cette façon, disait M. Malartre, les enfants travailleraient onze heures par jour pendant les 5 premiers jours de la semaine, comme les jeunes gens et les femmes; le samedi, les enfants et les jeunes gens se reposeraient pendant l'après-midi.

Après un très court débat, la proposition de M. Malartre ne fut pas adoptée.

Pendant les travaux parlementaires qui ont préparé la loi de 1900, la proposition fut l'objet d'une discussion moins sommaire. Soumise par M. l'abbé Lemire à la Chambre des Députés (séance du 21 décembre 1899), elle fut combattue par le gouvernement et par la commission. « Son adoption, dit le rapporteur, aurait pour résultat de ruiner complètement l'économie de la loi qui vous est soumise. C'est le principe de la journée de dix heures que nous avons voulu inscrire dans la loi, c'est le terme auquel nous voulons aboutir. Or, si l'on organisait la semaine ouvrière comme vous l'indiquait notre honorable collègue, ce serait l'obligation pour l'enfant de faire toujours des journées de onze heures et c'est ce que nous ne voulons pas. >>>

Mis aux voix, l'amendement de M. l'abbé Lemire fut repoussé par 378 voix contre 138.

Reprise au Sénat (séance du 26 mars 1900) par M. le comte de Blois, la proposition, combattue par le Ministre du Commerce, fut repoussée à mains levées.

Le Parlement était donc, en 1900, comme en 1902, hostile à une limitation hebdomadaire de la durée du travail. Mais notons-le bien, le régime proposé devait s'appliquer à tout le

personnel protégé et imposer à celui-ci la journée de onze heures en échange d'un repos pendant l'après-midi du samedi.

Pourtant, cette limitation hebdomadaire, réclamée avec insistance par les patrons, surtout depuis l'année dernière, n'est pas une innovation. Pour défendre leur proposition, les patrons peuvent, en effet, s'appuyer sur deux faits: 1° la limitation hebdomadaire est inscrite dans la loi anglaise ; 2o dans la plupart des industries textiles du centre et du sud-est de la France, le personnel ne travaille pas pendant l'après-midi du samedi.

En Angleterre, la loi du 17 août 1901 (qui n'est qu'une codification des lois antérieures en ce qui touche la durée du travail) établit le régime de travail suivant pour les femmes et les adolescents :

a) dans les fabriques textiles, la journée est de 10 heures pendant les cinq premiers jours de la semaine et de cinq heures le samedi, soit 55 heures de travail par semaine (art. 24 de la loi):

b) Dans les fabriques non textiles et dans les ateliers, la journée est de dix heures et demie pendant les cinq premiers jours de la semaine et de sept heures et demie le samedi, soit 60 heures de travail par semaine (art. 26 de la loi).

La limitation hebdomadaire et le repos de l'après-midi du samedi sont donc une règle légale dans l'un des principaux pays de l'Europe.

A ce propos, quelques brèves observations s'imposent. L'obligation du repos le samedi après-midi, inscrite dans, la loi anglaise, est une conséquence des croyances d'après lesquelles, en Angleterre, le dimanche doit être consacré aux pratiques religieuses.

En France, la situation est tout autre. Depuis longtemps, la grande majorité des citoyens exige que la loi ne serve plus d'aucune manière les intérêts religieux; et toute proposition cherchant à favoriser ces intérêts sera, pour ce motif même, repoussée par le législateur. Qu'on l'approuve ou qu'on le regrette, c'est un fait. Cependant, à l'heure actuelle, beaucoup de libres-penseurs estiment, pour des raisons d'ordre social, que la loi peut interdire tout travail le dimanche. Le vœu émis sur ce point par le Conseil supérieur du Travail, en 1901, en est une preuve.

D'autre part, et pour répondre d'un seul mot aux arguments tirés de la concurrence étrangère, argument dont on abuse vraiment, il faut constater qu'en Angleterre la durée du travail est beaucoup moins longue que dans notre pays. La loi anglaise fixe la durée du travail des femmes et des adolescents à 55 heures par semaine, à raison de 10 heures par jour, dans les industries textiles et à 60 heures par semaine, à raison de 10 heures et demie par jour, dans les autres industries. Mais la loi, en Angleterre comme partout, est en retard sur les mœurs sociales. Dans la pratique, la journée de neuf heures, ou plus exactement la semaine de 54 heures est un fait général non seulement pour les femmes et les adolescents, mais aussi pour les hommes; on pourrait même citer de nombreuses professions où la durée du travail n'est que de 50 heures par semaine. En réalité, la France, à cet égard, est en retard d'un demi-siècle sur l'Angleterre.

Quoi qu'il en soit, la loi anglaise pour ne citer que ce seul pays industriel prescrit la limitation hebdomadaire du travail et le repos de l'après-midi du samedi. C'est un argument favorable à la proposition des industriels français et ce n'est pas nous qui chercherons à en diminuer la portée.

1

Les industriels appuient leur proposition sur un second fait de réelle importance. Le repos de l'après-midi du samedi est en usage, depuis de longues années, dans les industries textiles du Centre et du Sud-est du pays. Dans les filatures et moulinages de soie des quatre départements de l'Ardèche, Drôme, Gard et Vaucluse, 14.000 ouvriers (500 hommes, 8.500 femmes et 5.000 enfants de moins de 18 ans), occupés dans plus de 300 établissements, ne travaillent pas le samedi aprèsmidi.

Or, la loi du 30 mars 1900, il faut le reconnaître, menace de faire disparaître cette coutume. Voici les déclarations de la Chambre de Commerce d'Aubenas (Ardèche) à ce sujet :

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