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le triple intérêt de la santé, de la moralité et de l'instruction publiques.

C'est à la suite de cette campagne que le gouvernement se décida à présenter un projet de loi qui, voté par les deux Chambres, devint la loi du 22 mars 1841, dont nous résumerons brièvement les dispositions essentielles.

La loi de 1841 n'est applicable qu'aux enfants employés dans les manufactures, usines, ateliers à moteur mécanique ou à feu continu, ainsi qu'aux fabriques occupant plus de vingt ouvriers. La réglementation qu'elle établit ne s'étend ni aux petits ateliers, ni aux professions commerciales.

L'âge d'admission des enfants est fixé à 8 ans. De huit à douze, la journée de travail ne pourra dépasser 8 heures; de 12 à 16 ans, elle est limitée à 12 heures. En outre, la loi supprime le travail de nuit pour les enfants âgés de moins de 13 ans (sauf exception). Les enfants et adolescents de moins de 16 ans, ne pourront être employés les dimanches ni les jours de fêtes légales (art. 4.)

Les enfants âgés de moins de 12 ans ne peuvent être admis qu'autant que leurs parents ou tuteurs justifient qu'ils fréquentent une école publique ou privée existant dans la localité (art. 5).

Un livret obligatoire est délivré au père, à la mère ou au tuteur; il mentionne l'âge, les nom et prénoms, le lieu de naissance, le domicile de l'enfant, le temps pendant lequel il a reçu l'enseignement primaire (art 7.)

Enfin, la loi prévoyait la création d'inspecteurs du travail chargés de surveiller l'exécution de ses prescriptions (art. 10). Toute contravention devait être punie d'une amende de simple police de 1 à 15

francs.

Il semble difficile aujourd'hui, en 1903, de croire qu'une réglementation aussi timide, aussi manifestement insuffisante même puisqu'elle permettait d'enfermer huit heures dans une usine un enfant de 8 ans, ait pu paraître exagérée, injustifiée même à certains esprits. Il en fut pourtant ainsi et quatre ans plus tard un économiste alors célèbre, Dunoyer, se déclarait formellement opposé au principe de la protection légale du travail des enfants et réclamait encore au nom de la liberté de l'industrie l'abrogation de la loi nouvelle (1).

(1) La déclaration mérite d'être citée. « Quoi en apparence de plus >> légitime, de plus simple que de vouloir empêcher qu'on abuse La loi du 22 mars 1841 ne fut pas abrogée, mais ses dispositions demeurèrent à peu près lettre-morte, ainsi que le constatait, en 1847, Charles Dupin, à la tribune de la Chambre des Pairs (1); l'inspection des ateliers fut confiée à des Commissions libres, nommées par les préfets, qui s'acquittèrent mollement de leur tâche et cessèrent même bientôt de fonctionner. En 1847, le gouvernement soumit à la Chambre haute un projet de loi qui eût modifié, en l'améliorant, la loi de 1841, et qui établissait un corps spécial d'inspecteurs du travail. Mais la Révolution de Février empêcha ce projet d'aboutir.

Mentionnons seulement la loi du 22 février 1851 sur l'apprentissage, ainsi que la présentation par le gouvernement impérial, en 1868, d'un projet de loi tendant à compléter le

>> dans les manufactures de la faiblesse des femmes, des enfants, et >> pour y parvenir que de régler, suivant l'âge et le sexe, le nombre >> d'heures que devra durer la journée de travail ? Cependant il n'est >> pas bien sûr que cette mesure inspirée par un mouvement si >> naturel de charité et de philanthropie fût très favorable aux mal>>> heureux en faveur de qui elle aurait été prise. »

Dunoyer expose ensuite qu'on ne pourrait réduire les heures de travail des femmes et des enfants sans réduire aussi celles de tous les ouvriers car, les enfants et les femmes partis, l'atelier ne pourrait continuer à marcher. En outre cette réduction du travail entraînerait fatalement une réduction des salaires. Il conclut en ces termes : « Ce qu'il faut souhaiter ce n'est donc pas que le législateur inter>> vienne arbitrairement dans les transactions de la classe ouvrière >>> avec les chefs de fabrique et se mette à régler les heures de tra> vail dont il ne lui appartient pas plus de déterminer la durée que » le prix, mais qu'elle (la classe ouvrière) sache se placer par sa >> prévoyance dans une situation où elle n'ait pas besoin d'un si dan>> gereux secours et qui lui permette naturellement de traiter à des >> conditions avantageuses; c'est qu'au besoin elle sache, en limitant » le nombre des naissances, prévenir le trop grand accroissement » de celui des ouvriers et l'avilissement du prix de la main» d'œuvre... Mais décider d'une manière générale que telle classe >> de travailleurs ne pourra être retenue au travail que tant d'heures, >> le législateur ne le peut réellement pas. » (De la liberté du travail.

Paris, Guillaumin, 1845, tome II, p. 369-371).

(1) « Depuis six ans la loi échoue; d'abord exécutée un peu, puis de moins en moins, on a fini par la déclarer inexécutable parce que nous n'avons pas constitué des inspecteurs puissants et indépendants. » (Cité par César CAIRE. - La législation sur le travail industriel des femmes et des enfants. Paris, Rousseau, 1896, p. 47). régime établi en 1841. Ce projet était soumis au Sénat lorsqu'éclata la guerre de 1870.

La revision projetée de la loi de 1841 devait aboutir en 1874. La loi nouvelle (19 mai 1874) était applicable à toutes les manufactures, usines ou ateliers, quels que fussent le moteur et le nombre des ouvriers.

En principé les enfants ne pouvaient être admis avant l'âge de douze ans révolus; par exception, cependant, les enfants âgés de dix ans au moins pourraient être reçus dans certaines industries (une douzaine) déterminées par décret.

Dans les industries de cette dernière catégorie le travail quotidien des enfants âgés de 10 à 12 ans ne pouvait excéder 6 heures; ce travail de 6 heures était dit de demi-temps comme étant egal à la moitié d'une journée d'adulte.

L'enfant de 12 à 16 ans ne devait pas travailler plus de 12 heures coupées par des repos d'une durée non déterminée.

Les enfants âgés de moins de 16 ans et les filles mineures ne pouvaient travailler ni la nuit, ni les dimanches et jours de lètes. Quelques dérogations à la prohibition pouvaient être établies par décret en ce qui concernait les enfants du sexe masculin. Les travaux souterrains étaient interdits aux enfants de moins de 12 ans et n'étaient permis aux enfants de 12 à 16 ans qu'a de certaines conditions.

L'enfant de moins de 12 ans était tenu de fréquenter une école pendant le temps laissé libre par son travail. Avant 15 ans révolus aucun enfant ne pouvait être admis à travailler plus de 6 heures par jour s'il ne justifiait par un certificat de l'instituteur avoir acquis l'instruction primaire.

La loi de 1874 prescrivait l'établissement d'un livret pour les mineurs de 16 ans et instituait un corps d'inspecteurs du travail qui devaient être assistés dans leur mission par des commissions locales nommées par le préfet. Toute contravention aux prescriptions légales était punie d'une amende correctionnelle qui, en cas de récidive, pouvait s'élever à 200 francs.

La loi nouvelle réalisait d'importantes améliorations par rapport à la loi de 1841 qui, nous le savons du reste, n'était pas appliquée. Mais le régime légal créé en 1874 laissait encore beaucoup à désirer. La protection de l'adolescent cessait le jour où il atteignait ses seize ans, c'est-à-dire prématurément; le service de l'inspection du travail n'était encore qu'imparfaitement organisé; enfin le travail de demitemps pour les enfants de dix à douze ans donnait prise à des critiques qui seront exposées par la suite. Aussi dès 1879, la Chambre était saisie de projets tendant à réviser la loi de 1875. Les lenteurs parlementaires prolongèrent pendant treize ans la venue de la loi attendue, qui fut enfin promulguée le 2 novembre 1892.

La loi de 1892 régit le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les usines. manufactures, mines, minières et carrières, chantiers, ateliers et leurs dépendances, publics ou privés, laïques et religieux, à l'exception des travaux effectués en commun par les membres d'une même famille.

Elle ne permet pas d'employer dans ces établissements des enfants âgés de moins de 13 ans. Toutefois, les enfants âgés de 12 ans et munis du double certificat d'aptitude physique et d'enseignement primaire peuvent être admis (art. 2.)

Les enfants âgés de moins de 16 ans ne peuvent être employés à un travail effectif de plus de 10 heures par jour. Les jeunes ouvriers de 16 à 18 ans ne peuvent être employés à un travail effectif de plus de 60 heures par semaine; leur travail journalier ne peut excéder 11 heures. Les filles au-dessus de 18 ans et les femmes ne doivent pas travailler plus de 11 heures par jour. Un repos de 1 heure est prescrit pour tout le personnel protégé (art. 3.)

L'article 4 interdit de faire travailler la nuit les enfants âgés de moins de 18 ans, les filles mineures et les femmes. Un jour de repos par semaine est obligatoire (art. 5.)

La loi de 1874 réorganisait enfin le personnel de l'inspection du travail, les commissions supérieure et départementales; elle édictait diverses mesures pénales, des amendes plus ou moins fortes, contre les délinquants.

Mais l'expérience révélait bientôt la difficulté d'appliquer strictement la loi nouvelle dans les usines et manufactures.

Entre le travail des ouvriers adultes qui pouvait se prolonger douze heures (limite fixée par le décret du 9 septembre 1848), celui des femmes qui ne devait pas, d'après la loi nouvelle, dépasser 11 heures, celui des jeunes ouvriers et ouvrières de 16 à 18 ans dont la durée maxima était de 60 heures par semaine et de 11 heures par jour, enfin, celui des enfants mineurs de 16 ans (10 heures par jour) il existait en fait une corrélation étroite dont la loi avait eu tort de ne tenir aucun compte. Obliger un chef d'industrie à renvoyer au bout de 10 heures de travail les mineurs de 16 ans, c'était, en fait, le forcer à interrompre le travail de tout l'atelier. Des réclamations s'élevèrent. Certains patrons congédièrent tous les enfants. Ailleurs on tenta, mais avec un succès variable, d'organiser le travail par équipes.

La révision des articles de la loi de 1892 relatifs à la durée du travail parut une fois de plus s'imposer. Le résultat de ces délibérations parlementaires fut le vote de la loi du 30 mars 1900, qui est encore actuellement en vigueur. C'est sur le régime créé par cette loi que porteront en conséquence notre examen et notre discussion.

La loi du 30 mars 1900 s'applique à tous les jeunes ouvriers et ouvrières àgés de moins de 18 ans et aux femmes employées dans des établissements industriels. Elle ne modifie en rien les dispositions de la loi de 1892, autres que celles ayant trait à la durée du travail quotidien. Ainsi, par exemple, les dispositions de la loi de 1892, relatives à l'âge d'admission (12 ou 13 ans selon les cas), demeurent en vigueur.

L'économie de la loi de 1900, est fort simple. Elle unifie toutes les prescriptions concernant la journée de travail des enfants, des adolescents mineurs de 18 ans, des filles mineures, des femmes ainsi que des ouvriers adultes employés dans les mêmes locaux où travaillent des personnes appartenant à l'une ou à l'autre des catégories précédentes. Dans tout atelier où sont employés des mineurs de 18 ans, des filles mineures de 21 ans, ou des femmes, le travail est uniformément fixé ainsi qu'il suit :

jusqu'au 30 mars 1902
jusqu'au 30 mars 1904
à partir du 1 avril 1904

11 heures par jour 10 h. 1/2 par jour 10 heures par jour

La loi nouvelle réalise donc un véritable compromis entre les intérêts en cause. Elle laisse aux industriels un délai de quelques années pendant lesquelles la journée de travail des enfants sera même augmentée par rapport au régime antérieur (11 h. ou 10 h. 1/2 contre 10 h. auparavant). Mais, à partir du 1er avril 1904, la journée sera ramenée à 10 heures non seulement pour l'enfant qui, en somme, n'a tiré aucun bénéfice de la loi de 1900 et a même été momentané

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