même un mélange de grâces, de noblesse et de décence, bien remarquable au milieu d'un peuple sauvage. C'était d'elle que j'attendais les renseignements les plus précieux, et je ne fus pas trompé dans mon attente. << Elle se rappelait avec beaucoup de satisfaction le passage des vaisseaux de M. d'Entrecasteaux, qu'elle avait visités avec sa mère, veuve du touïtonga Poulaho. Le nom de Tiné, que donne ce navigateur à la sœur aînée du même Poulaho, qui occupait alors le premier rang dans Tonga, s'est trouvé d'abord inconnu, non-seulement de la tamaha, mais encore de tous ceux qui se trouvaient présents à l'entretien. II paraît cependant qu'il aurait eu rapport à Tineï-Takala, qui avait alors le rang de touï-tonga-fafiné. La tamaha ne se souvenait que confusément des vaisseaux de Cook, n'ayant alors que neuf ou dix ans, ce qu'elle m'exprimait en me montrant une jeune fille de cet âge. « Alors je voulus savoir si, entre Cook et d'Entrecasteaux, il n'était pas venu d'autres Européens à Tonga. Apres avoir réfléchi quelques moments, elle m'expliqua très-clairement que peu d'années avant le passage de d'Entrecasteaux, deux grands navires, semblables aux siens, avec des canons et beaucoup d'Européens, avaient mouillé à Namouka où ils étaient restés dix jours. Leur pavillon était tout blanc et non pas semblable à celui des Anglais. Les étrangers étaient fort bien avec les naturels; on leur donna tune maison à terre où se faisaient les échanges. Un naturel, qui avait vendu, moyennant un couteau, un coussinet en bois à un officier, fut tué par celuiei d'un coup de fusil, pour avoir voulu remporter sa marchandise après en avoir reçu le prix. Du reste, cela ne troubla point la paix, parce que le naturel avait tort en cette affaire. Les vaisseaux de la Pérouse furent désignés par les naturels sous le nom de Louadji, de même que ceux de d'Entrecasteaux le furent sous celui de Sénéri (dérivé de général). 58 Livraison. (OCÉANIE.) т. III. << Dès lors, il ne me resta plus de doutes que la Pérouse n'eût mouillé à Namouka, à son retour de Botany-Bay, comme il en avait eu l'intention. >>> Pendant que le capitaine d'Urville utilisait ainsi ses visites à terre, les officiers, les naturalistes, le chirurgien, le dessinateur de l'Astrolabe se livraient, de leur côté, à des recherches spéciales. Ils restaient sur TongaTabou une partie de la journée, et souvent même ils s'arrangeaient pour y passer la nuit chez un de leurs ofas ou amis. Aucun incident fâcheux ne fit d'abord regretter cette confiance; mais bientôt survinrent des embarras d'un autre genre, plus graves et plus généraux. Livrés à leurs seules inspirations, peut-être les naturels seraient-ils demeurés avec les Français dans les termes de bienveillance simulée, et probablement de sourde convoitise, qui les avaient caractérisés jusque-là. Après trois semaines de relâche, l'Astrolabe serait repartie, ayant plutôt à s'en louer qu'à s'en plaindre; mais la trahison s'en mêlant, leur attitude changea; de calme elle devint offensive. Pour expliquer cette réaction, il faut savoir que l'équipage de la corvette, hâtivement rassemblé à Toulon, comptait quelques mauvais sujets tirés des cachots pour finir leur temps dans un voyage de découverte. Pour le malheur et le déshonneur de l'expédition, il y avait là des hommes capables de la trahir au profit des sauvages, sauf à partager avec eux ses dépouilles. Le capitaine d'Urville savait cela; il avait voulu éviter, autant que possible, tout rapport trop familier entre ses marins et les chefs de l'île; il désirait surtout abréger son séjour, pour que le temps manquât à de mauvais desseins; mais l'échouage et les travaux qu'il nécessita, la drague des ancres, le manque de munitions et de vivres trompèrent ses calculs; il fallut s'attarder sur la route de Pangaï-Madou, et les délais furent utilisés par les déserteurs et les traîtres. Un complot se forma; il poussa de telles ramifications dans l'île, que le 8 de Tahofa dans cette surprise. Ayant rencontré l'élève Dudemaine, il lui asséna un grand coup de poing. Plus humain vis-à-vis de Cannac, et touché sans doute de son extrême jeunesse, il lui permit de réjoindre l'équipage du grand canot. Le nombre des captifs se reduisait alors à neuf personnes, l'élève Faraguet et huit matelots. capitaine en fut informé par un message des missionnaires; son parti fut prís. Prévenu le 12, il résolut d'avancer son départ, d'appareiller le 13, et non le 14, comme il l'avait annoncé. En même temps il fit redoubler la surveillance de jour et de nuit, afin que personne ne pût quitter le bord. Le 13 donc, vers huit heures du matin, tout était prêt pour l'appareillage. Il restait encore à envoyer la yole a terre pour y prendre le chef de timonerie et quel-çais, si l'on ne se fût aperçu qu'un des ques sacs de sable. On l'y expédia. En même temps, faisant ses adieux aux chefs venus à bord comme de coutume, le capitaine leur distribua quelques derniers présents. On se sépara avec tous les dehors d'une bonne intelligence. Les chefs semblaient regretter les Français; mais rien n'indiquait qu'ils voulussent les retenir par la violence. Les choses en étaient là à neuf heures du matin, quand un bruit confus et subit s'éleva de la plage. Les insulaires attaquaient la yole et cherchaient à entraîner les matelots qui la montaient (voy. pl. 212). Ceux-ci, vaincus par le nombre, cédèrent; alors le capitaine ordonna que le grand canot fût armé; vingt-trois hommes s'y embarquèrent sous les ordres des officiers Gressien et Pâris. Le chirurgien Gaimard voulut se joindre à eux; mais vainement cette petite troupe chercha-t-elle à couper la retraite aux ravisseurs. Les sauvages échappèrent avec leur proie (voy. pl. 213). D'ailleurs le grand canot tirait trop d'eau pour pouvoir accoster la terre. A quelque distance, il fallut que l'équipage se jetât à l'eau et fit de là une guerre de tirailleurs contre les sauvages qui tiraient de la grève. Quand cette petite troupe fut arrivée en terre ferme, tout avait disparu, sauvages et Européens. Tout ce qu'elle put faire, fut de recueillir trois hommes, le chef de timonerie, l'élève de marine Dudemaine qui avait passé la nuit chez son ofa, et un jeune matelot nommé Cannac. Les autres demeuraient prisonniers. Cette scène, rapidement accomplie, fut cependant caractéristique, en ce sens qu'on ne put point douter du concours Cette attaque subite des naturels fût restée une énigme pour les Fran matelots de l'Astrolabe, un mauvais sujet, nommé Simonnet, avait déserté. D'après l'explication que recueillit depuis le capitaine Dillon, Simonnet, dont la fuite était méditée de longue main, se glissa le 12 au matin, dans une des pirogues de Tahofa, et un des canotiers de la yole, nommé Reboul, suivit son exemple à terre. Tahofa allait ainsi avoir deux Européens à son service, avantage rare et fort apprécié dans le pays. La jalousie des autres chefs s'en était émue; ils avaient voulu se ménager une compensation, en enlevant les hommes de la yole. Telle est du moins l'excuse donnée au capitaine anglais. Quant à la complicité de Simonnet, elle était évidente, et il s'en cachait si peu, que l'élève Dudemaine l'aperçut parmi les naturels, armé et habillé, tandis que les autres matelots avaient été dépouillés complétement. 'Après avoir incendié les habitations des îles Pangaï-Modou et Manima, le grand canot revint à bord vers les trois heures et demie, et en repartit presque sur-le-champ, armé d'officiers, de maîtres et d'officiers mariniers, hommes sûrs et éprouvés. Dans l'impossibilité où l'on était d'attaquer Tahofa dans sa forteresse de Béa (voy. pl. 194), la petite troupe de vingt hommes bien armés devait marcher le long du rivage, brûlant les habitations, et les pirogues, tirant sur ce qui résistait, épargnant les vieillards et les femmes. Le but du capitaine d'Urville était alors d'obtenir par la terreur la restitution des prisonniers. L'expédition fut conduite avec intelligence. Les villages de NougouNougou et d'Oléva furent livrés aux flammes (voy. pl. 198); cinq belles pirogues furent détruites; puis le petit corps marcha vers Mafanga. Mais à mesure qu'on approchait du lieu saint, les naturels, qui avaient fui jusque-là, se rassemblaient et résistaient. Un Français du détachement, le caporal Richard, s'étant aventuré dans un taillis, à la poursuite d'un sauvage, se vit assailli par huit d'entre eux, cerné, assommé avec leurs massues et criblé avec leurs baïonnettes. Transporté à bord, ce malheureux mourut dans la nuit et fut enterré le lendemain sur l'île Pangaï-Modou. Cette perte rappela les Francais à des mesures de prudence. Engagés au milieu de halliers, ils recevaient la fusillade ennemie sans pouvoir lui répondre avec avantage. D'ailleurs cette guerre d'embuscades n'aboutissait à rien. L'incendie des villages suffisait pour jeter la terreur dans la contrée. Pour le premier jour, c'était une représaille utile. Le lendemain, il fallait aviser à des moyens décisifs. Le capitaine d'Urville savait que Mafanga était le lieu saint de l'île, et que, si on l'attaquait, Tonga-Tabou tout entière serait intéressée à la querelle. Ainsi les divers chefs interviendraient dans une affaire où Tahofa jusqu'alors s'était trouvé seul mêlé, et les jalousies rivales, autant que le désir de sauver le sanctuaire indigène, pouvaient amener la prompte restitution des prisonniers. Malgré tout le danger d'une côte bordée de récifs, le capitaine résolut de canonner Mafanga. Pendant qu'on se préparait à cette attaque contrariée par les vents du sud-est, une pirogue ramena à bord Telève Faraguet et l'interprète Singleton. L'officier français avait été le captif de Palou, qui, n'ayant pu le dé cider à se fixer auprès auprès de lui, le ren voyait à bord de l'Astrolabe. Aucun doute ne resta alors sur le chef du complot. L'honneur en revenait tout entier à Tahofa et à ses mataboulès. Singleton ajoutait même que les autres chefs avaient censuré sa conduite dans le conseil du matin. Mais Tahofa était le Napoléon, l'Achille de Tonga; il pouvait faire la loi, seul contre tous. Par une sorte de compromis, Singleton se disait autorisé à promettre que tous les hommes qui se refuseraient à rester dans le pays, seraient rendus à l'Astrolabe. Le capitaine d'Urville crut une pareille transaction indigne de lui. On y reconnaissait la main de Simonnet qui demandait presque une capitulation personnelle. « Aucun des hommes que le roi m'a confiés, dit-il à Singleton, ne restera à Tonga-Tabou. Si demain les chefs des insulaires ne sont pas à bord, Mafanga sera canonné. >>> En effet, le 15 la corvette s'embossa comme son capitaine l'avait dit, hissa la grande enseigne et l'appuya d'un coup de canon. Les naturels y répondirent en ajoutant plusieurs pavillons blancs au bout de longues perches. Dans l'espoir que ces pavillons étaient un signal de paix, on envoya le canot à terre; mais un coup de fusil, qui perça le canot de part en part, trahit les véritables dispositions des insulaires. Il fallait que la force coupât court à tant de perfidie. Le canon tonna le lendemain 16, dans la matinée. Trente coups de caronade furent tirés tant à boulet qu'à mitraille (voy. pl. 211). La première décharge coupa en deux une branche d'un grand figuier qui ombrageait le malaï, alors place d'armes de Tahofa. Sa chute fut saluée par des cris aigus et perçants, que suivit un profond silence. Abrités derrière un rempart de sable, ou dans le creux de quelques fossés improvisés, les sauvages ne souffraient pas beaucoup de ce feu, et ils y gagnaient quelques boulets enterrés dans les sables. Dans l'après-midi, la corvette se trouva si près du récif, qu'à la marée basse les naturels pouvaient s'approcher d'elle à une distance de vingt toises. Pendant les trois jours qui suivirent, l'Astrolabe se maintint dans ce poste critique. Le temps, beau jusquelà, était devenu incertain et tempétueux; le vent soufflait par rafales violentes, et menaçait de jeter le navire sur ces récifs où la mer déferlait avec violence. C'était une épreuve non moins périlleuse que celle à laquelle on |