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gia, poisons qui, on le sait maintenant, étaient plusieurs acides à base d'arsenic et une sorte d'aquatofana que depuis 1494 ils se faisaient apporter d'Amérique.

On donnait des divers poisons à Florida de cent manières ingénieuses tantôt parfums, ces poisons viciaient l'air de cachot; tantôt sucs incolores et inodores, ils constituaient un bain où l'on plongeait les couteaux émoussés dont le captif se servait pour découper les viandes et les fruits qu'on lui donnait à manger; tantôt élixirs, ils entraient, à raison d'une, de deux ou de trois gouttes, dans la composition de liquides qu'on lui donnait à boire.

César, Alexandre VI et même Lucrèce venaient se rendre compte, presque tous les jours, de l'état où ces essais mettaient leur victime, que ne quittait jamais un alchimiste chargé d'une observation continue.

Enfin arriva ce qui ne pouvait manquer d'arriver. Florida mourut, succombant à la lente usure provoquée par des demi-asphyxies et des quarts d'empoisonnements successifs, et l'on ne sut jamais exactement de quel poison il était mort.

D'ailleurs depuis longtemps l'on ne parlait plus de ce prélat, grâce à qui, en somme, le Portugal bénéficiait des douceurs inquisitoriales.

CHAPITRE V

Savonarole et la double épreuve du feu

Un autre des faits les plus caractéristiques de la manière dont Alexandre VI se servait de l'Inquisition dans l'intérêt temporel du Saint-Siège, est celui qui, dans l'histoire, peut être étiqueté du nom illustre de « Savonarole »>.

Ce Jérôme Savonarole, Italien, était un moine de l'ordre de Saint-Dominique, qui, dès sa vingtième année, manifesta une grande exaltation religieuse. C'est à Florence qu'il se fit connaître. Ses premières prédications, qui eurent lieu dans l'église même de son couvent, n'eurent qu'un succès médiocre. Mais ensuite, entreprenant quelque mission, il se forma, au contact du peuple, une éloquence violente et imagée, bien différente de l'éloquence scolastique dont il avait usé en son couvent.

Prêchant à Sienne, en 1486, à l'âge de trentequatre ans, il prédit, pour la première fois, la prochaine punition des vices de l'Église romaine et il obtint un immense succès; si bien que ses supérieurs en furent effrayés, et qu'on fit de lui, pendant quatre années, un moine errant, uniquement chargé de mendier et que précédait dans toute ville, l'inter

diction formelle au clergé séculier et régulier de le laisser prêcher en public.

Mais en 1490, il secoua la tutelle abbatiale, revint à Florence et se mit à prêcher sur les places publiques. Le succès fut tellement immense et profond, que, pour obéir aux objurgations du peuple et pour éviter une sédition, Laurent de Médicis le Magnifique, espérant gagner ce prédicateur si influent sur les masses, s'arrangea pour que Jérôme Savonarole fût nommé prieur de Saint-Marc.

Loin d'être reconnaissant au prince de cette brusque grandeur officielle, Savonarole se mit à combattre dans tous les sermons qu'il prononçait à la cathédrale, l'amour de la beauté, le goût de l'art et les splendeurs de la richesse: c'était attaquer directement Laurent le Magnifique.

Mais prudent et rusé, le prince laissa faire, car il se rendait compte qu'essayer de fermer la bouche de ce moine fanatique, c'était provoquer la révolte dans le peuple: mieux valait attendre.

- Je suis convaincu, disait le prince, que Savonarole périra beaucoup mieux par ses pairs que par toute la puissance que je pourrais moi-même employer contre lui!

Le Dominicain populaire était de petite taille, nerveux et sec, au visage pâle, au front ridé, au nez d'aigle, au regard perçant, aux cheveux noirs, à la barbe épaisse.

Il se fit très vite un renom de prophète, car, ayant prédit l'arrivée d'un nouveau Cyrus qui traverserait toute l'Italie sans résistance, il vit sa prophétie presque immédiatement réalisée par l'arrivée du roi de France Charles VIII; et cela ne contribua pas peu à l'accroissement de son influence et de sa renommée. Laurent mort, un gouvernement républicain fut

instauré à Florence par la volonté de Savonarole ; on consulta le moine sur toutes choses, et il réformait d'après ses idées la constitution dans un sens démocratique, réorganisait la justice, créait un montde-piété pour réprimer l'usure, proclamait la royauté du Christ. Les sermons de Savonarole sur la réforme des mœurs eurent aussi un grand succès depuis 1495; les femmes renoncèrent à leurs bijoux, les débauches diminuaient, des marchands restituèrent le bien mal acquis, les églises se remplirent.

De plus en plus rigoriste, il réclama la torture pour les joueurs, le supplice de la langue percée pour les blasphémateurs, employa de nombreux enfants à espionner et à dénoncer tout ce qui se passait dans les maisons. Sans condamner entièrement les lettres et les arts, il voulait en exclure le paganisme; les artistes comme Botticelli et Lorenzo di Credi adoptèrent ses idées. Après avoir réformé les mœurs de Florence, le moine voulut réformer celles de Rome, et il attaqua sans relâche la corruption de l'Église.

Alexandre VI demeura longtemps indifférent à cela; mais il vit avec mécontentement Savonarole demeurer le partisan de la France, mettre son espoir dans une nouvelle expédition de Charles VIII; il l'appela à Rome par un bref du 25 juillet 1495, pour rendre compte de ses prophéties; puis le 8 septembre et le 15 octobre, il lui interdit de prêcher.

Savonarole, sans se déclarer formellement rebelle, reprit la parole, surtout quand le chef du gouvernement de Florence, que l'on appelait la « Seigneurie florentine » le lui eut ordonné; pendant le carême de 1496, il déploya une violence inouïe contre les vices de Rome, et bien plus encore l'année suivante.

Alexandre VI, après avoir tergiversé pendant longtemps, l'excommunia le 12 mai 1497. Savonarole

répondit par une épître « contre l'excommunication subrepticement obtenue », célébra la messe à Noël, reparut en chaire en février 1498, attaquant toujours l'Église romaine, affirmant sa propre mission divine, parlant de la convocation d'un concile qui déposerait le pape.

Cependant, les menaces d'Alexandre VI effrayaient la seigneurie; les partisans des Médicis, les adversaires du rigorisme moral, les Franciscains jaloux du moine dominicain, tous les ennemis de Savonarole. se coalisèrent.

Finalement un Franciscain proposa de subir, en même temps qu'un Dominicain, l'épreuve du feu.

On sait en quoi consistait l'épreuve du feu. Un homme de chaque parti contraire se jetait dans un bûcher ardent. Lorsque le feu était éteint, si l'un des deux vivait encore, c'est que Dieu était de son côté, et par conséquent avec son parti.

L'on pense bien que ce ne fut pas de lui-même que le Franciscain s'offrit pour être le répondant de la faveur divine.

Voici comment les choses se passèrent :

Un jour Savonarole, parlant comme Izaïe, avec une éloquence emportée, pleine d'images bibliques, avait défié les prêtres de Belial de faire descendre le feu sur l'autel.

Cette parole, rapportée par écrit au pape Alexandre VI, le fit rire, à l'idée qui lui vint.

Per Bacco fit-il, c'est le moment ou jamais de faire l'épreuve du bûcher!

On alla chercher, dans la Pouille, un de ces prédicateurs de carrefours, qui ont le feu du pays dans le sang, un de ces cordeliers effrontés, éhontés, qui, dans les foires d'Italie, par la force de la poitrine et la vertu d'une gueule retentissante, « font taire, dit

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