de grands cierges, se déroula tout aussitôt la scène qui constituait le principal de l'idée de Carola. D'abord la duègne fut assise dans un fauteuil, tout au fond de l'atelier, entre deux artistes chargés de la faire tenir tranquille et de lui fermer la bouche si elle s'agitait un peu trop et si elle se mettait à crier. Puis, le falsetto, stupide et craintif, fut placé sur l'estrade où d'habitude posaient les modèles. Des orteils aux cheveux, il était nu, sous les regards artistement appréciateurs de tous les assistants. Tourne-toi, mon fils, tourne-toi, lui dit Annibal avec bonté, et ne crains point. Il ne te sera point fait de mal, ou si peu !... Par contre, tu auras belle récompense, à une condition cependant... Mais tourne-toi d'abord, tourne-toi que l'on voie tes fesses, ces fesses chéries par le plus puissant cardinal de la chrétienté, par Son Eminence Monseigneur Caraffa, Grand-Inquisiteur et bras droit du pape. Tournetoi, mon ami, tourne! Obéissant et comment aurait-il pu ne point l'être ? le beau falsetto Baéza tournait doucement sur ses pieds nus et montrait aux spectateurs amusés, adm ratifs et très intrigués, tous les côtés de son joli corps, dont le plus délectable était, sans conteste, le côté dit « postérieur ». Et lorsque Annibal jugea que ses amis avaient suffisamment admiré les fesses du jeune homme, il leva la main et dit : et Immobilise-toi, maintenant, mon bijou, écoute! Tu vas être battu, oh! très légèrement ! C'est à peine si tu sentiras cette flagellaton anodine. De la baguette que voici, je fustigerai tes belles fesses, avec douceur, avec prudence, de manière à ne te point faire souffrir plus qu'il n'est indispensable. Ce que je veux, c'est que tu sois marqué, et horriblement marqué, chose facile si ta mère, en ses confidences à Sérafina, ne s'est point complu à exagérer la finesse de ton épiderme et la soudaineté durable avec laquelle ton sang afflue à fleur de peau. Voilà donc tout le mal que tu vas subir. Voici maintenant le bien qui t'en dédommagera. Je compterai, entre les mains de ta mère, autant de pièces d'or, grand modèle, à l'effigie de notre Saint-Père, pièces neuves, au poids juste, sans alliage faux et non rognées, autant, dis-je, que tes fesses recevront de coups de baguette. Voilà, beau garçon ! Et je t'interroge. Que décides-tu ? Faut-il t'attacher et te faire en quelque sorte violence ? ou bien veux-tu supporter la flagellation anodine comme le brave et fier Espagnol que tu me parais être ? Ah! seigneur! seigneur! fit la duègne avec empressement et avant même que le falsetto eût ouvert la bouche pour répondre, mon Baéza est courageux, et que ne ferait-il point pour augmenter les économies de sa mère, qui d'ailleurs sont à luimême destinées ! Ne frappez point trop fort, de manière que la peau reste intacte et ne soit pas déchirée. Pour les poignets cependant, mieux vaudrait les attacher, car là aussi, les cordes laisseront des traces, et ce sera la preuve que mon Baéza n'a point mis de complaisance à recevoir la fessée, complaisance dont notre cher et grand cardinal, que Dieu bénisse ! pourrait être jaloux et nous savoir, à tous deux, mauvais gré ! L'homélie de l'avisée matrone fut reçue, comme on le pense bien, par des rires et des applaudissements unanimes. Mais elle n'avait pas fini, et lorsque, par des gestes et des supplications, elle eut ramené le calme, elle dit : Monseigneur, vous avez parlé tout à l'heure d'une condition. Laquelle, s'il vous plaît ?... - C'est juste! dit Annibal tout réjoui, et je m'excuse de n'avoir point deviné votre accommodant caractère, madame! Je vous eusse alors simplement convoquée, et vous n'auriez point subi toutes les émotions désagréables d'un enlèvement nocturne. Quant à la condition, la voici demain, vous irez raconter au cardinal Caraffa tout ce qui se sera passé ici, et l'enlèvement qui a précédé la scène, en omettant toutefois la conversation par laquelle vous, votre fils et moi procédons à une entente amiable. Le cardinal accourra, c'est certain, en votre logement, ou tout au moins il enverra sa chaise pour transporter son cher falsetto jusqu'en sa villa cardinalice. Alors Baéza pleurera, sanglotera, et montrera ses fesses; puis, quand l'émotion du cardinal sera un peu calmée, Baéza répétera très exactement à Son Eminence le petit discours suivant, que je lui donnerai par écrit tout à l'heure et qu'il voudra bien apprendre par cœur. Quel discours ? fit la duègne intéressée, tandis que, immobile et nu sur l'estrade, le falsetto attendait assez piteusement la fin de l'aventure. Celui-ci répondit Annibal. Et imitant, de la manière la plus comique, la voix assez uniforme par laquelle se distinguent les falsetti espagnols, imitant aussi leur accent, il prononça : << Ah! monseigneur! sachez que le cruel Annibal de Carola, tout en me fustigeant, me disait : « Déclare << bien au cardinal, ton protecteur, que si je suis << le moins du monde tourmenté par l'Inquisition, tu << seras enlevé, toi, où que tu te réfugies, par des con<< jurés secrets capables de toutes les ruses et de toutes << les audaces; et ce n'est pas alors à fleur de peau << que seront flagellées tes fesses, mais jusqu'au sang, << jusqu'à laisser des cicatrices qui en détruiront à « jamais toute l'incomparable beauté ! » Sur ces mots, reculant d'un pas, Annibal fit une ironique révérence et conclut : Voilà, madame. Est-ce entendu ? La condition sera-t-elle scrupuleusement observée ? -Ah! monseigneur, dit la duègne, le visage tout épanoui, je ne l'espérais point si facile ! Soyez assuré qu'au cas où mon Baéza se tromperait d'un mot, je ne manquerais point de corriger sa faute et de rétablir avec exactitude le texte de votre petit discours! Bien entendu, reprit Annibal avec force, vous devez donner à toute la scène un ton tragique et terrifiant de manière que le cardinal en soit profondément impressionné. Comptez sur moi, monseigneur, comptez sur moi! dit la duègne. Mais puisque nous sommes bien d'accord, ne frappez que juste ce qu'il faudra, afin que je n'ai point la douleur de voir mon fils bienaimé pleurer sous les coups. Soyez tranquille, excellente mère ! dit Annibal; je vais confier la baguette à ce musicien que vous voyez là et qui est accoutumé à manier l'archet de la viole d'amour avec une légèreté séraphique. C'est lui qui frappera, et c'est moi-même qui, observant les marques de la baguette, arrêterai la flagellation aussitôt que l'effet suffisant sera obtenu ! Et alors fut donné le spectacle le plus savoureux du monde ! L'on attacha l'un à l'autre les poignets de Béaza, croisés sur son ventre, afin qu'il ne pût faire l'instinctif mouvement de garantir ses fesses avec ses mains; et on serra, pour que les cordes s'incrustassent un peu dans la chair. Puis le musicien, ayant pris la baguette, la fit d'abord siffler dans l'air, et ensuite, avec adresse et légèreté, d'un mouvement souple et contenu, il en cingla les fesses rebondies, roses et fermes du falsetto. Aïïe ! Aïïe ! cria le garçon en sautant sur ses pieds. Mais, relevée, la baguette retombait et traçait un second sillon tout de suite apparent. Aïïe ! socorro ! socorro! s'écria Baéza dans sa langue maternelle et se précipitant vers sa maternelle protectrice. Mais celle-ci se leva, indignée : Veux-tu bien rester tranquille! Eh quoi! les soufflets que cent fois je t'ai donnés, sur les joues, il est vrai, étaient certainement bien plus douloureux que cette fustigation des fesses! No! no! mama! gémissait et pleurait le délicat garçon. Mais elle, furieuse, arracha des mains du musicien la baguette de coudrier et elle se mit à battre à tour de bras les fesses de son fils, qui, hurlant, courut à travers l'atelier. Elle le poursuivait, acharnée, comique et monstrueuse, répondant à ses cris de douleur par des imprécations effroyables, et frappant, frappant tant et si dru sur les cuisses, les fesses et le dos, qu'il fallut enfin se jeter sur elle, la maîtriser, la uésarmer et la ramener, toute suante et furieuse, dans son fauteuil. Réfugié au fond de l'atelier, derrière un amoncellement de toiles, le falsetto, tout en geignant, vociérait des insultes à l'adresse de la matrone. Mi-rieuse, mi-apitoyée, comme tout le monde d'ailleurs, Sérafina alla le chercher et le ramena; elle le consola par des caresses, et elle le fit remonter |