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tence; et trois mille prisonniers qu'on avait faits furent précipités dans la mer, par ordre de Philippe, comme des sacriléges et des ennemis de la religion. Lycophron livra la ville de Phères, et, par sa retraite, laissa la Thessalie en liberté. Par l'heureux succès de cette expédition, Philippe se concilia pour jamais l'affection des Thessaliens, dont l'excellente cavalerie, jointe à la phalange 'macédonienne, eut depuis tant de part à ses victoires et à celles de son fils.

Phaylle, qui avait succédé à son frère Onomarque, trouvant les mêmes ressources que lui dans les richesses immenses du temple, leva une armée nombreuse; et, soutenu par les troupes des Lacédémoniens, des Athéniens, et des autres alliés, qu'il payait grassement, il passa dans la Béotie, et attaqua les Thébains. Les avantages et les pertes furent longtemps balancés de part et d'autre; mais enfin Phaylle, saisi d'une maladie subite et violente, après avoir souffert de cruels tourments, finit sa vie d'une manière digne de ses impiétés et de ses sacriléges. On mit à sa place Phalécus, fils d'Onomarque, encore tout jeune ; et on lui donna pour conseil Mnaséas, qui avait beaucoup d'expérience, et était fort attaché à sa famille.

Le nouveau chef, marchant sur les traces de ses prédécesseurs, pilla comme eux le temple, et enrichit tous ses amis. Les Phocéens ouvrirent enfin les yeux, et nommèrent des commissaires pour faire rendre compte à tous ceux qui avaient touché les deniers publics. Phalécus fut déposé; et il se trouva, par l'enquête exacte que l'on fit, que depuis le commencement de la guerre on avait tiré du temple plus de dix mille talents, c'està-dire plus de trente millions de notre monnaie.

Philippe, après avoir délivré la Thessalie 2, songea à porter ses armes dans la Phocide. Voici la première tentative qu'il fait pour mettre le pied dans la Grèce, et pour entrer dans les affaires générales des Grecs, dont les rois de Macédoine avaient toujours été exclus, comme étrangers. Dans ce dessein, sous prétexte de passer en Phocide et d'y aller punir les Phocéens sacriléges, il marche vers les Thermopyles, pour s'emparer d'un passage qui lui donnait une entrée libre dans la Grèce, et sur

1 Environ 55,000,000 francs, L.

2 ΑΝ. Μ. 3652, Av. J. C. 352.

tout dans l'attique. Les Athéniens, au bruit de cette marche, qui pouvait avoir d'étranges suites et pour eux et pour toute la Grèce, accoururent aux Thermopyles, et se saisirent à propos de ce passage important, que Philippe n'osa pas même entreprendre de forcer; ainsi il fut obligé de retourner en Macédoine.

§ III. Démosthène, à l'occasion de l'entreprise de Philippe sur les Thermopyles, harangue les Athéniens et les anime contre ce prince. Il est peu écouté. Olynthe, à la veille d'être assiégée par Philippe, implore le secours des Athéniens. Démosthène tâche, par ses harangues, de les tirer de leur assoupissement. Ils n'envoient que de faibles secours. Philippe enfin se rend maître de la place.

Comme la suite va nous montrer Philippe aux prises avec les Athéniens, et que, par les vives exhortations et les sages conseils de Démosthène, ils deviendront ses plus grands ennemis et les plus puissants obstacles à ses desseins ambitieux, il ne paraît pas hors de propos, avant que d'entrer en matière, de tracer un portrait abrégé de l'état présent d'Athènes et de la disposition actuelle de ses citoyens.

Il ne faut pas juger du caractère des Athéniens dans le temps dont nous parlons, par celui de leurs ancêtres du temps des batailles de Marathon et de Salamine, de la vertu desquels ils avaient extrêmement dégénéré. Ce n'étaient plus les mêmes hommes, ni les mêmes maximes, ni les mêmes mœurs. On n'y voyait plus le même zèle pour le bien public, la même application aux affaires, le même courage pour essuyer les fatigues de la guerre sur terre et sur mer, le même soin de ménager les finances, la même docilité pour les conseils salutaires, le même discernement dans le choix des généraux d'armée et des magistrats à qui ils confiaient l'administration de l'État. A ces dispositions si utiles et si glorieuses avaient succédé l'amour du repos, la nonchalance pour les affaires publiques, l'aversion des travaux militaires, dont ils se déchargeaient sur des troupes mercenaires, la dissipation du trésor public en jeux et en spectacles, le goût pour les flatteries de leurs orateurs, et la malheureuse facilité d'accorder les charges à la brigue et à la cabale, tous avant-coureurs ordinaires de la ruine des États. Voilà ce qu'était Athènes lorsque le roi de Macédoine commença à attaquer la Grèce.

Nous avons vu que Philippe, après plusieurs conquêtes, avait fait une tentative inutile pour s'avancer jusque dans la Phocide, parce que les Athéniens, justement alarmés du péril qui les menaçait, lui avaient fermé le passage des Thermopyles. Démosthène2, profitant d'une si favorable disposition, monte sur la tribune aux harangues pour tracer à leurs yeux une vive image du danger prochain dont les menace l'ambition démesurée de Philippe, et pour les convaincre de l'absolue nécessité qu'elle leur impose d'user des plus promptes précautions. Or, comme le succès de ses armes et la rapidité de ses progrès répandaient dans Athènes une espèce de terreur fort approchante du désespoir, l'orateur, par un artifice merveilleux, s'attache d'abord à relever les courages abattus, et rejette uniquement sur leur mollesse et sur leur nonchalance la cause de leurs désastres; car si jusque-là ils s'étaient acquittés exactement de leur devoir, et que, malgré toute leur activité et tous leurs efforts, Philippe l'eût emporté sur eux, il ne leur resterait plus en effet de ressource ni d'espérance. Mais, et dans ce discoursci et dans ceux qui suivront, Démosthène insiste fortement sur cette réflexion, que la négligence des Athéniens est l'unique cause de l'agrandissement de Philippe, et que c'est elle qui le rend hardi, entreprenant, et plein d'une insolente fierté, qui va jusqu'à insulter aux Athéniens.

<< Voyez, leur dit Démosthène en parlant de Philippe, à « quel point monte l'arrogance du personnage, qui ne vous << donne point le choix ou de l'action, ou du repos, mais qui « use de menaces, et, selon le bruit commun, tient les dis<< cours les plus insolents; et, non content de ses premières << conquêtes, incapables de le satisfaire, il se porte chaque « jour à quelque nouvelle entreprise. Vous attendez peut-être « que quelque nécessité vous force d'agir. En est-il une plus << grande pour des hommes libres que la honte et l'infamie? « Voulez-vous donc vous promener éternellement dans la place

1:

ΑΝ. Μ. 3652. Av. J. C. 352.

2 Demosth. 1 Philipp.

« publique en vous demandant les uns aux autres, Dit-on " quelque chose de nouveau? Eh! quoi de plus nouveau qu'un << homme de Macédoine, vainqueur des Athéniens, et souve« rain arbitre de la Grèce ? Philippe est mort, dit l'un. Non, « il n'est que malade, répond l'autre. Mort ou malade, que « vous importe, Athéniens? A peine le ciel vous en aurait-il « délivrés, qu'à vous comporter de la sorte vous vous feriez « bien vite vous-mêmes un autre Philippe, puisque celui-ci << doit ses accroissements bien moins à sa force qu'à votre in<< dolence. >>>

Démosthène ne s'en tint pas à de simples remontrances, ni à des avis généraux; il proposa un projet qui lui paraissait propre à arrêter les entreprises de Philippe. Il demande aux Athéniens, en premier lieu, qu'ils arment une flotte de cinquante galères, et qu'ils prennent une ferme résolution de les monter eux-mêmes. Il veut qu'on y ajoute dix galères légèrement armées, pour servir d'escorte aux convois de la flotte et aux vaisseaux de transport. Quant à ce qui regarde les troupes, au lieu que de son temps le général élu par la faction la plus puissante ne formait l'armée que d'un assemblage confus d'étrangers et de mercenaires, qui servaient mal, il demande qu'on lève seulement deux mille hommes de troupes choisies, dont il y en aura cinq cents Athéniens, et le reste tiré des alliés; avec deux cents cavaliers, dont cinquante aussi seront Athéniens.

L'entretien de ce petit corps d'armée pour ce qui regarde seulement les munitions de bouche et la subsistance des troupes, indépendamment de leur solde, ne devait coûter par an guère plus de quatre-vingt-dix talents 2 (quatre-vingt-dix mille écus 3), savoir: quarante talents pour dix galères d'escorte, à raison de vingt mines (mille livres 4) par mois pour chaque galère: autres

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quarante talents pour les deux mille hommes de pied, à dix drachmes (cinq livres1) par mois pour chaque fantassin; lesquelles cinq livres par mois font un peu plus de trois sous et un liard par jour : enfin douze talents pour les deux cents chevaux, à trente drachmes (quinze livres 3) par mois pour chaque homme de cheval; lesquelles quinze livres par mois font dix sous par jour 4. J'entre dans ce détail exprès pour faire connaître sur quel pied pour lors on faisait la dépense de la guerre. Démosthène ajoute que si quelqu'un s'imagine que les seules munitions de bouche ne soient pas une grande avance, il n'en juge pas sainement; caril est persuadé que pourvu que les troupes ne manquent point de provisions la guerre leur fournira tout le reste; et que sans faire le moindre tort ni aux Grecs ni aux alliés elles trouveront à se payer de leur solde entière.

Comme on pouvait s'étonner qu'il se restreignît à un si petit nombre de troupes, il en rend raison: c'est que l'état présent de la république ne permet pas aux Athéniens d'opposer à Philippe des forces capables de l'attaquer en rase campagne, mais qu'ils doivent nécessairement se réduire à de simples courses. Ainsi son dessein est que ce petit corps d'armée voltige sans relâche vers les frontières de la Macédoine, et y tienne en respect l'ennemi, l'ob⚫serve, le harcèle, et le serre de près, afin qu'il ne concerte pas librement ses entreprises, et n'exécute pas à son aise tout ce qu'il voudra tenter.

On ne sait pas quel fut le succès de cette harangue. Il ya beaucoup d'apparence que les Athéniens, qui n'étaient point attaqués personnellement, s'endormirent, par la nonchalance qui leur était naturelle, sur les progrès de Philippe. Les divisions de la Grèce lui étaient fort favorables. Athènes et Lacédémone, d'un côté, ne songeaient qu'à humilier Thèbes, leur rivale; de l'autre, les Thessaliens pour se délivrer de leurs tyrans, les Thébains pour se maintenir la supériorité que les batailles de Leuctres et de Mantinée leur avaient acquise, se dévouaient absolument à Philippe, et, sans le vouloir, l'aidaient à forger leurs chaînes.

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