8. PORTRAITS. I PORTRAIT DE MME LA MARQUISE DE PAR MADAME LA COMTESSE DE LA FAYETTE SOUS OUS ceux qui se mêlent de peindre des belles se tuent de les embellir pour leur plaire, et n'oseroient leur dire un seul de leurs défauts: mais pour moi, madame, grâce au privilége d'inconnu 5 que je suis auprès de vous, je m'en vais vous peindre hardiment, et vous dire toutes vos vérités tout à mon aise, sans crainte de m'attirer votre colère je suis au désespoir de n'en avoir que d'agréables à vous conter, car ce me seroit un 10 grand déplaisir si, après vous avoir reproché mille défauts, je voyois cet inconnu aussi bien reçu de vous que mille gens qui n'ont fait toute leur vie que vous louer. Je ne veux point vous accabler de louanges, et m'amuser à vous dire que votre 15 taille est admirable, que votre teint a une beauté et une fleur qui assurent que vous n'avez que vingt ans, que votre bouche, vos dents, et vos cheveux sont incomparables; je ne veux point vous dire toutes ces choses, votre miroir vous les dit assez : 5 mais comme vous ne vous amusez pas à lui parler, il ne peut vous dire combien vous êtes aimable et charmante quand vous parlez, et c'est ce que je vous veux apprendre. Sachez donc, madame, si par hasard vous ne le Io savez pas, que votre esprit pare et embellit si fort votre personne, qu'il n'y en a point au monde de si agréable. Lorsque vous êtes animée dans une conversation dont la contrainte est bannie, tout ce que vous dites a tel charme et vous sied si bien, 15 que vos paroles attirent les Ris et les Grâces autour de vous; et le brillant de votre esprit donne un si grand éclat à votre teint et à vos yeux, que quoiqu'il semble que l'esprit ne dût toucher que les oreilles, il est pourtant certain que le votre éblouit 20 les yeux, et que lorsqu'on vous écoute, l'on ne voit plus qu'il manque quelque chose à la régularité de vos traits, et l'on vous croit la beauté du monde la plus achevée. Vous pouvez juger par ce que je viens de vous dire, que si je vous suis incon nu, vous ne m'êtes pas inconnue, et qu'il faut que j'aie eu plus d'une fois l'honneur de vous voir et de vous entretenir, pour avoir démêlé ce qui fait en vous cet agrément dont tout le monde est surpris ; 5 mais je veux encore vous faire voir, madame, que je ne connois pas moins les qualités solides qui sont en vous que je sais les agréables dont on est touché. Votre âme est grand, noble, propre à dispenser des trésors, et incapable de s'abaisser au Io soin d'en amasser. Vous êtes sensible à la gloire et à l'ambition, et vous ne l'êtes pas moins au plaisir. Vous paroissez née pour eux, et il semble qu'ils soient faits pour vous. Votre présence augmente les divertissements, et les divertisse15 ments augmentent votre beauté, lorsqu'ils vous environnent: enfin la joie est l'état véritable de votre âme, et le chagrin vous est plus contraire qu'à personne du monde. Vous êtes naturellement tendre et passionnée; mais, à la honte de notre sexe, 20 cette tendresse nous a été inutile, et vous l'avez ren fermée dans le vôtre, en la donnant à madame de la Fayette. Ha! madame, s'il y avoit quelqu'un au monde assez heureux pour que vous ne l'eussiez pas trouvé indigne de ce trésor dont elle jouit, et qu'il n'eût pas tout mis en usage pour le posséder, il mériteroit toutes les disgrâces dont l'amour peut accabler ceux qui vivent sous son empire. Quel bonheur d'être le maître d'un cœur comme le vôtre, 5 dont les sentiments fussent expliqués par cet esprit galant et agréable que les dieux vous ont donné! et votre cœur, madame, est sans doute un bien qui ne se peut mériter; jamais il n'y en eut un si généreux, si bien bien fait et si fidèle. Il y a des gens qui Io vous soupçonnent de ne le montrer pas toujours tel qu'il est ; mais au contraire vous êtes si accoutumée à n'y rien sentir qui ne vous soit honorable de montrer, que même vous y laissez voir quelquefois ce que la prudence du siècle vous obligeoit de 15 cacher. Vous êtes née la plus civile et la plus ob ligeante personne qui ait jamais été ; et par un air libre et qui est doux dans toutes vos actions, les plus simples compliments de bienséance paroissent en votre bouche des protestations d'amitié, et tous 20 ceux qui sortent d'auprès de vous s'en vont persuadés de votre estime et de votre bienveillance, sans qu'ils se puissent dire à eux-mêmes quelle marque vous leur avez donnée de l'un et de l'autre. Enfin vous avez reçu des grâces du ciel, qui n'ont jamais été données qu'à vous, et le monde vous est obligé de lui être venu montrer mille agréables qualités, qui jusqu'ici lui avoient été inconnues. Je ne veux point m'embarquer à vous vous les dépeindre 5 toutes, car je romprois le dessein que j'ai de ne vous pas accabler de louanges, et de plus, madame, pour vous en donner qui fussent dignes de vous et dignes de paroître, ΙΟ 15 P Il faudroit être votre amant, Et je n'ai pas l'honneur de l'être. II. PORTRAIT DE MADEMOISELLE FAIT PAR ELLE-MÊME. UISQUE l'on veut que je fasse mon portrait, je tâcherai de m'en acquitter le mieux que je pourrai. Je souhaiterois qu'en ma personne la nature prévalût sur l'art; car je sens bien que je n'en ai aucun pour corriger mes défauts; mais la vérité et la sincérité avec laquelle je vais dire ce qu'il y a de bien et de mal en moi, attireront assurément la bonté de mes amis pour les excuser. Je ne demande point de la pitié, car je n'aime point |