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dire, il eft grand, il eft petit, s'il a déjà imaginé des noms adjectifs ?

Au refte je ne prétends pas que les hommes au moment qu'ils commençoient à prononcer des propofitions, fuffent déjà en état de démêler toutes les idées qu'elles renfermoient: ce feroit leur fuppofer bien gratuitement une fagacité, que nos philofophes mêmes n'ont pas toujours. La propofition je fuis, par exemple, comprend d'un côté toutes les impreffions & toutes les actions dont un corps vivant & organifé eft capable ; & de l'autre toutes les fenfations & toutes les opérations qui appartiennent à l'ame, & qui n'appartiennent qu'à elle. Car je ne fuis ou n'exifte, qu'autant que tout cela, ou une partie de tout cela eft en moi. Cependant la plupart de ceux qui font cette propofition, font bien éloignés de démêler toutes ces chofes ; & ils ne les voient que d'une maniere confufe, parce qu'ils font incapables de faire l'analyse des mots dont ils fe fervent. Mais enfin cette propofition a toujours la même fignification, foit qu'on en faffe l'analyse ou qu'on ne la faffe pas; &, d'une bouche à l'autre, elle ne differe que parce qu'elle offre aux uns des idées dif tinctes, tandis qu'aux autres elle n'offre qu'une maffe confufe d'idées.

Sans doute, dans l'origine des langues, cette propofition n'offroit aufli qu'une maffe confufe dans laquelle on diftinguoit peu d'idées ; & il a fallu bien des observations avant que les hommes, qui la prononçoient, puffent comprendre euxmêmes tout ce qu'ils difoient. Ils parloient comme nous parlons fouvant, & nous leur reffemblons plus qu'on ne pense.

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Il faut encore remarquer qu'on a été longtems avant de pouvoir exprimer, dans des propofitions, toutes les vues de l'efprit, & que, par conféquent, les langues n'ont pu fe perfectionner que bien lentement. Il falloit créer des mots pour les idées acceffoires, comme pour les idées principales: il falloit apprendre à les employer d'une maniere propre à développer une penfée, & à la montrer fucceffivement dans tous fes détails. Il falloit donc déterminer l'ordre qu'ils devoient fuivre dans le difcours & convenir des variations qu'on leur feroit prendre pour en marquer plus fenfiblement les rapports. Tout cela demandoit beaucoup d'obfervations & des analyses bien faites. J'ai fait voir comment on a commencé, c'eft tout ce que je me propofois. Si on pouvoit obferver une langue dans fes progrès fucceffifs, on verroit les regles s'établir peu-à-peu. Cela eft impoffible. Il ne nous refte qu'à obferver notre langue, telle qu'elle eft aujourd'hui, & à chercher les loix qu'elle fuit dans l'analyse de la pensée,

CHAPITRE IX.

Comment se fait l'analyse de la pensée dans les langues formées & perfectionnées.

PRENONS une penfée développée dans un long difcours, & obfervons-en l'analyse. Je trouve un exemple, très-propre à mon deffein, dans le difcours que Racine prononça lorfque Thomas Corneille, qui fùccédoit à Pierre, fut reçu à Pacadémie française.

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Vous favez, dit Racine, en quel état fe » trouvoit la fcene françoife, lorfqu'il (Pierre Corneille) commença à travailler : quel défordre quelle irrégularité! nul goût, nulle connoiffance des véritables beautés du théatre: les auteurs, auffi ignorans que les fpectateurs; la plupart des fujets extravagans & dénués de vrai,, femblance: point de mœurs, point de caracteres : la diction encore plus vicieufe que l'action, & dont les pointes & de miférables jeux de mots faifoient le principal ornement: en un mot, » toutes les regles de l'art, celles mèmes de l'hon,, nêteté & de la bienféance, partout violées. Dans cette enfance, ou, pour mieux dire, dans ce chaos du poëme dramatique parmi » nous, votre illuftre frere, après avoir quel» que tems cherché le bon chemin, & lutté, fi » je l'ofe dire ainfi, contre le mauvais goût de fon fiecle, enfin, infpiré d'un génie extraor

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», dinaire, & aidé de la lecture des anciens, fit ,, voir fur la fcene la raifon, mais la raifon » accompagnée de toute la pompe, de tous les » ornemens dont notre langue eft capable, accor,, dant heureufement la vraisemblance & le mer,, veilleux, & laiffant bien loin derriere lui tout » ce qu'il avoit de rivaux, dont la plupart, défespérant de l'atteindre, & n'ofant plus entreprendre de lui difputer le prix, fe bornerent à combattre la voix publique déclarée pour lui, » & effayerent envain, par leurs difcours & par leurs frivoles critiques, de rabaiffer un mérite qu'ils ne pouvoient égaler.

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La fcène retentit encore des acclamations ,, qu'exciterent à leur naiffance le Cid, Horace, ,, Cinna, Pompée, tous ces chefs-d'oeuvres, re» présentés depuis fur tant de théatres, traduits en tant de langues, & qui vivront à jamais dans la bouche des hommes. A dire le vrai où trouvera-t-on un poëte qui ait poffédé à », la fois tant de grands talens, tant d'excellentes parties, l'art, la force, le jugement, l'ef» prit? Quelle nobleffe! quelle économie dans » les fujets! quelle véhémence dans les paffions! », quelle gravité dans les fentimens! quelle dignité, & en même tems, quelle prodigieufe variété dans les caracteres! Combien de rois, de prin,, ces, de héros de toute nation nous a-t-il ,, représentés, toujours tels qu'ils doivent être, ,, toujours uniformes avec eux-mêmes, & jamais ,, ne fe reffemblant les uns aux autres. Parmi » tout cela une magnificence d'expreffion proportionnée aux maîtres du monde qu'il faifoit fouvent parler, capable néanmoins de s'abaifTome I. Grammaire. E

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» fer, quand il veut, & de defcendre jusqu'aux » plus fimples naïvetés du comique, où il eft ,, encore inimitable, Enfin, ce qui eft fur-tout particulier, une certaine force, une certaine élévation qui furprend, qui enlève, & qui rend jufqu'à fes défauts, fi on peut lui en reprocher quelques-uns, plus eftimables que » les vertus des autres : perfonnage véritablement né pour la gloire de fon pays, comparable, je ne dis pas à tout ce que l'ancienne Rome » a eu d'excellens poetes tragiques, puisqu'elle confeffe elle-même qu'en ce genre elle n'a pas été fort heureufe, mais aux Efchyles, aux » Sophocles, aux Euripides, dont la fameufe Athè» nes ne s'honore pas moins que des Thémifto»cles, des Périclès, des Alcibiades qui vivoient » en même tems qu'eux

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C'est ainsi, Monfeigneur, que Racine parle de Corneille Racine, qui a contribué luimême aux progrès de la poéfie dramatique, qui a enrichi notre langue, & lui a donné toute l'élégance dont elle étoit fufceptible. Lorfque ce grand maître s'exprimoit de la forte fur des chofes qui lui étoient familieres, & qu'il avoit méditées jufques dans les moindres détails, je puis fans rien hafarder, fuppofer que fa penfée lui offroit tout-à-la-fois ce que fon difcours n'offre que fucceffivement.

Le théatre doit beaucoup à Corneille : voilà le fond de fa penfée. Il ne peut développer ce fond qu'autant qu'il en apperçoit toutes les parties.

Ce développement fuppofe qu'il voit l'état où étoit le théatre avant Corneille, l'état où Cors

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