On a exagéré l'infidélité des amis de Fouquet. La plupart des littérateurs qu'il avait protégés ne l'abandonnèrent pas dans son infortune. Le médecin Pecquet ne se consola jamais de sa ruine. La Fontaine, pour calmer l'animosité publique et exciter l'intérêt en sa faveur, écrivit une des plus touchantes, des plus harmonieuses et des plus belles élégies de notre langue. Madame de Sévigné suivit avec une vive anxiété toutes les péripéties de son procès, et en rendit compte dans douze lettres qui sont des modèles de clarté et de précision. Pellisson, dans les cachots de la Bastille, s'oublia lui-même pour ne s'occuper que de la défense de son bienfaiteur: privé d'encre et de papier, il écrivit avec le plomb des vitres, sur les marges de ses livres, trois «Discours au roi », qui contiennent tout ce qu'il était possible de dire de plus ingénieux, de plus élégant et même de plus éloquent. Fouquet s'était enrichi avec scandale, et il méritait son sort. Cependant les gens de lettres, dans leur reconnaissance, parvinrent à désarmer l'opinion publique, d'abord fort irritée contre lui, et à exciter en sa faveur la sympathie des contemporains et celle de la postérité. C'est vers 1660 que s'ouvre l'époque communément appelée « le siècle de Louis XIV ». Créateur de la comédie et de la tragédie, Corneille avait déjà donné ses chefs-d'œuvre, qui devaient puissamment contribuer à développer le génie de tous nos écrivains; et Pascal venait de porter la langue à sa perfection dans les « Pensées » et les «Lettres provinciales », deux livres qui ont fait dire à Boileau, avant tout le monde, que leur auteur était le plus parfait prosateur de son siècle. Après ces deux modèles, on voit naître les chefs-d'œuvre dans tous les genres. Avec Molière, un des peintres les plus vrais de la nature humaine, un des moralistes les plus aimables et les plus divertissants, la comédie atteint ses dernières limites. Avec La Fontaine, dont la naïveté est inimitable et le naturel charmant, l'apologue dépasse tout ce que nous devons à l'antiquité dans ce genre. Racine, inférieur à Corncille pour la force et l'élévation, mais plus vrai, plus pur et plus tendre, d'une élégance, d'une grâce et d'une sensibilité exquises, doit être considéré comme le plus parfait de nos poètes. Boileau, défenseur zélé du beau et du vrai, instruit ses contemporains par ses « Satires », ses « Epitres », et son « Art poétique » peut-être supérieur à celui d'Horace. Apôtre de la raison et « législateur du Parnasse», ses préceptes font autorité, tandis que, par la pureté de ses écrits, il prend place à côté de nos grands poètes, et exerce une influence supérieure à la leur. Orateur, historien, controversiste, théologien et politique, Bossuet écrit, sans paraître songer à l'art, ces ouvrages sublimes qui lui assurent le premier rang parmi les écrivains français. Bourdaloue, par une dialectique puissante et une précision vigoureuse, Massillon, par une exquise perfection, disputent à «l'Aigle de Meaux » la palme de l'éloquence sacrée, mais sans pouvoir la lui ravir. Nature gracieuse et mélancolique, Fénelon répand sur tous ses écrits une onction douce et tendre, un coloris vif et pénétrant, qui lui ont valu le charmant surnom de « Cygne de Cambrai ». La Bruyère, observateur fin et sagace, peint les caractères de son époque, et dote notre langue d'un livre encore plus précieux pour la forme que pour le fond 1. Dans des causeries intimes avec sa fille, madame de Sévigné donne des modèles inimitables du style épistolaire. Par le mouvement, la grâce, la variété, la verve, elle conquiert une place éminente au milieu de cette splendide galerie littéraire. Assurément, Louis XIV n'inspira point cette foule de chefs-d'œuvre qui ont immortalisé son règne. Mais ce fut lui qui sut le mieux les apprécier, les encourager et jes récompenser. Grâce à sa munificence intelligente, les gens de lettres furent enlevés au patronage des grands et devinrent les pensionnaires de l'État. Les faveurs du roi s'étendirent sur tous ceux qui s'illustrèrent dans les lettres. Il plaça trois fils de Corneille, deux dans l'armée, La Bruyère, écrivain du premier ordre, mériterait une étude particulière. Malheureusement sa vie est inconnue. et l'autre dans l'Église. Il fit Boileau historiographe de France; il nomma Racine son gentilhomme ordinaire, et il l'adn it dans sa familiarité. Il se déclara hautement le protecteur de Molière, et il répondit toujours par quelque nouveau bienfait aux attaques dont le grand comique fut l'objet de la part de ses ennemis. Il confia l'éducation de son fils et de ses petits-fils aux deux prélats les plus vertueux de son royaume; et il donna à l'un l'évêché de Meaux, à l'autre l'archevêché de Cambrai. La générosité de Louis XIV ne fut point circonscrite aux límites du royaume. Il chargea ses ambassadeurs de lui signaler les hommes de lettres, les savants et les artistes les plus distingués. Les uns furent attirés en France; les autres obtinrent des pensions et des gratifications, accompagnées de lettres flatteuses de la main de Colbert. « Quoique le Roi ne soit pas votre souverain, écrivait ce grand ministre, il veut être votre bienfaiteur; il m'a commandé de vous envoyer la lettre de change ci-jointe, comme un gage de son estime. » Un prince aussi magnifique devait être cher aux littérateurs et aux savants. Aussi était-ce surtout à lui qu'ils cherchaient à plaire. Sans doute, à ce royal patronage, les écrivains perdirent de leur indépendance, de leur franchise et de leur originalité; mais leur style y gagna de la dignité, de la solidité, de la mesure, de l'élégance et de l'urbanité. A l'influence du roi et de sa cour sur la littérature du grand siècle, il convient d'ajouter celle de l'antiquité classique. La pratique assidue et intelligente de ces éternels modèles du beau et du vrai préserva nos écrivains de l'enflure espagnole, de l'affectation italienne et des vagues rêveries des littératures du Nord. Unissant dans de sages mesures la raison et l'imagination, ils se distinguèrent par la précision et la justesse de l'expression, par une grande simplicité dans la forme, et par un goût épuré qu'on ne rencontre pas au même degré dans les autres littératures modernes. La religion aussi marqua de son empreinte cette époque illustre. Elle donna aux productions des poètes et des prosateurs, des historiens et des auteurs dramatiques, un singulier caractère de moralité et d'élévation. Corneille, Racine, Boileau, étaient des hommes profondément religieux. Molière, malgré sa profession de comédien, conserva toujours un grand respect pour la religion; les traits lancés dans le « Tartuffe » contre l'hypocrisie n'atteignent jamais la dévotion sincère. La Bruyère, en scrutant les caractères de son temps, reste un moraliste chrétien. Bossuet, Fénelon, Bourdaloue et Massillon ne sont pas moins admirables par leur piété que par leur éloquence. Enfin cette brillante pléiade de Port-Royal, Pascal, Arnauld, Nicole, Lancelot, Le Maistre de Sacy et leurs disciples, à qui nous devons tant d'excellents livres T. I 5. |