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hommes, il n'en faut pas moins éviter l'avidité, l'injustice, le libertinage et la débauche (1).

Au surplus, le même danger se retrouve dans toutes les apologies. Autrefois les empereurs Constantin et Théodose le jeune avoient fait brûler et détruire les ouvrages de CELSE et de PORPHIRE contre le christianisme; mais on en retrouvoit la substance dans ORIGÈNE et dans EUSÉBE; et la foiblesse humaine fit quelquefois plus d'attention à la malignité des objections qu'à la force et à l'étalage des réponses.

Les adversaires de la religion ont pris aussi, dans les derniers temps, un moyen d'échapper aux réfutations les plus solides; c'est de dénaturer l'état de ces questions sérieuses, et de tourner tout en plaisanterie. BACON sembloit avoir prévu le danger attaché à ce genre d'esprit dérisoire et moqueur. Voyez ses observations sur ⚫ cette maxime de SALOMON: LES RAILLEURS PERDENT LA CITÉ (2). On peut s'étonner, dit BACON, qu'en

(1) Satis enim nobis, si modo aliquid in philosophiâ profecimus, persuasum esse debet, si omnes deos hominesque celare possimus, nihil tamen avarè, nihil injustè, nihil libidinosè, nihil incontinenter esse faciendum. Of. l. 3.

(2) Homines derisores Civitatem perdunt. Pr. xxxiv, 8. PASCAL a prononcé dans le même sens: «Diseur de «bons mots, mauvais caractère. »

voulant décrire les hommes formés par la nature pour ébranler et perdre les états, SALOMON ait choisi le caractère, non pas de l'orgueil et de l'insolence; non pas de la tyrannie et de la cruauté; non pas de la témérité et de la violence; non pas de l'impiété et de la scélératesse; non pas de l'injustice et de l'oppression; non pas de la sédition et de la turbulence; non pas du libertinage et de la volupté; non pas de la sottise et de l'incapacité; mais uniquement celui de la raillerie. Rien n'est plus digne que cette remarque de la sagesse de ce grand roi, qui connoissoit bien ce qui conserve et ce qui perd les empires; il savoit qu'il n'y a point de peste pareille dans le monde à l'esprit de ces gens qui se moquent de tout, qui plaisantent de tout, et ne peuvent souffrir qu'on raisonne șur rien, etc. (')..

Comment parer à tous ces dangers? Comment prévenir tous ces inconvénients? Par un moyen simple et unique, par l'instruction.

On peut observer que l'Angleterre, qui a produit dans ces derniers temps beaucoup de livres contre la religion, a vu naître aussi une foule d'ouvrages profonds pour sa défense. Nous nous bornerons à citer les TILLOTSON et les WISCHART,

(1) BACON, de Verulam. De augmentis scientiar. L. VIII.

:

dont les sermons sont une suite de discours sur les preuves du christianisme. Les cent vingt sermons de WISCHART forment une théologie compléte et estimée, qu'on dit être écrite sans déclamation et sans intolérance. Notre chaire, qui a de si si grands orateurs, ne nous offre rien dans ce genre.

En attendant que cette lacune soit remplie, relisons et faisons lire à nos enfants les ouvrages des PASCAL, des BOSSUET, des FÉNÉLON, des ABBADIE, des JAQUELOT, des DANGEAU, en même temps que les Sermons des MASSILLON, des BOSSUET, des BOURDALOUE. Ce sont là les livres qu'il faut réimprimer et répandre. Estimonsnous heureux d'avoir dans notre langue de si bons préservatifs contre l'abandon de la morale et l'oubli des maximes de l'Évangile.

L'on ne sait pas assez quelle influence un bon livre peut avoir sur les jeunes esprits. Il y a encore des gens qui demandent à quoi sert la lecture. Les exemples de son utilité ne sont-ils donc pas assez célébres? Je ne puis m'empêcher de rappeler celui de la conversion de saint AuGUSTIN, opérée autrefois par la lecture d'un ouvrage de CICÉRON, que nous n'avons plus. Saint AUGUSTIN avoit dix-neuf ans lorsqu'il eut occasion de lire l'HORTENSIus. C'étoit un livre où CICÉRON exhortoit la jeunesse romaine à embrasser l'étude de la philosophie.

« J'étois tombé, dit le saint dans ses Confes« sions; j'étois tombé sur un certain livre de Cr« CÉRON, dont on admire assez généralement le « style, mais dont l'ame n'est pas aussi bien ap« préciée. Ce livre contient une exhortation à « la philosophie, sous le titre d'Hortensius. Ce « livre changea toutes les affections de mon « cœur. Il tourna mes prières vers vous, ô mon «Dieu, et rendit mes vœux et mes desirs tout << autres qu'ils n'étoient. Les vaines espérances « s'évanouirent pour moi; je m'enflammois d'une << ardeur incroyable pour l'immortalité de la sa« gesse, et je me relevois de la fange pour m'éle« ver et retourner à vous.... Comme je brûlois, ô « mon Dieu, comme je brûlois de quitter la terre « pour vous! Oh! je ne pouvois concevoir ce que « vous opériez en moi; car c'est en vous seul « qu'est la sagesse. Et cet amour de la sagesse, « nommé en grec philosophie, étoit la passion « que ce livre allumoit en moi (1). »

(1) Perveneram in librum quemdam Ciceronis cujus linguam ferè omnes miramur, pectus non item. Sed liber ille ipsius exhortationem continet ad philosophiam, et vocatur Hortensius. Hic verò liber mutavit affectum meum, et ad te ipsum, Domine, mutavit preces meas, On voit par ce passage quel beau livre c'étoit que cet Hortensius; et qu'il est malheureux qu'il ne soit pas venu jusqu'à nous!

Nous pouvons déplorer aussi la mort prématurée qui enleva PASCAL avant qu'il eût rempli son sublime projet de rendre DIEU SENSIBLE AU COEUR. Quel beau tableau il eût tracé! Nous n'en avons rien qu'une ébauche; mais c'est une ébauche d'Apelle.

Relisons donc, reméditons les Pensées de PasCAL et les bons livres de ce genre, que l'on ne quitte pas sans former le dessein de devenir meilleur. Enfin, il vient un âge où l'homme se dit, comme HORACE:

Nimirùm sapere est abjectis utile nugis,
Et tempestivum pueris concedere ludum (1);

ou bien comme VOLTAIRE, qui a rendu la même

et vota ac desideria fecit alia. Viluit repentè mihi omnis vana spes, et immortalitatem sapientiæ concupiscebam æstu cordis incredibili, et surgere jam cœperam, ut ad te redirem.... Quomodò ardebam, Deus mi, quomodò ardebam evolare à terrenis ad te, et nesciebam quid ageres mecum! apud te enim est sapientia. Amor autem sapientiæ nomen græcum habet philosophiam, quo me accendebat ille liber. August., lib. 3, Confess., cар. 4. (1) HORAT., Epist. L. 2, 2, v. 141, 142.

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