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comme des gens qu'on assiégerait, ne pouvant aller à terre quand ils en avaient la volonté, ni se rafraîchir de vivres et des autres choses nécessaires. C'est pourquoi, après avoir tenu conseil, ils prirent la route de Samos, et, s'y étant fournis de vivres, ils revinrent se présenter en bataille devant le port de

Milet.

gagner des victoires dans les batailles navales; qu'on attribuait beaucoup plus au caprice des flots et des vents, que la science des pilotes et des matelots savait éviter ou convertir à l'avantage de leur parti; qu'il fallait espérer quelque chose et même de grands avantages de la façon des vaisseaux; qu'ainsi les efforts des Macédoniens seraient vains et inutiles, puisque les Barbares pouvaient ou inpunément les éviter, ou s'en rendre victorieux; que cette perte ne serait pas de peu d'importance; que toute l'Asie reprendrait courage, si dès le commencement de la guerre leurs ennemis étaient battus; que la plupart des hommes étaient composés de telle sorte, qu'ils attendraient de toutes choses la fin et l'événement que l'espérance ou la crainte leur avait fait concevoir d'abord. Et, pour ne point douter, dit-il, que ce ne soit là le sentiment de toute l'Asie, qui pourrait m'assurer que les Grecs me garderont leur foi, s'ils se persuadent une fois que nous avons perdu ce bonheur qu'ils respectent seul en nous, si nous voulons dire la vérité? Pour moi, j'estime qu'il est avantageux à ma fortune qu'on

Cependant cinq vaisseaux des Perses ayant aperçu, dans un port qui était entre la petite île dont nous avons naguère parlé et l'endroit où la flotte des Macédoniens était à l'ancre, plusieurs vaisseaux ennemis, y vinrent aussitôt à pleines voiles; car ils avaient conjecturé que la plupart des gens de mer en étaient alors éloignés, comme étant employés ailleurs, et s'imaginaient qu'il ne leur serait pas malaisé de s'emparer de ces vaisseaux vides. Mais le roi, ayant promptement fait entrer dans dix galères ceux qui étaient alors présents, leur commanda d'aller au-devant des ennemis; si bien que les Perses s'épouvantèrent du nombre de ces vaisseaux et d'une chose si imprévue, lorsqu'ils se virent attaqués par ceux qu'ils croyaient surprendre; et en même temps ils prirent la fuite. On ne laissa pasait vu cet aigle derrière ma flotte, et je prends cela toutefois de prendre un de ces vaisseaux où il y avait des lassiens; mais comme les autres étaient plus vites, ils se sauvèrent parmi le reste de la flotte, et se retirèrent de Milet sans avoir rien exécuté de tout ce qu'ils avaient entrepris.

sous notre puissance les villes maritimes, comme nous avons commencé, l'armée navale des Perses se dissipera bientôt d'elle-même, quand elle ne trouvera plus ni de renforts et de vivres, ni enfin de hâvres où elle se puisse retirer. Si vous ôtez ces avantages aux ennemis, plus ils auront de force en mer, et plus tôt elles se dissiperont. Ainsi, nous accomplissons la prédiction de cette lame de cuivre qu'une fontaine de Lydie jeta naguère en se débordant, et sur laquelle nous avons trouvé écrit que la fin de l'empire des Perses approchait. >>

pour le présage d'un bon succès: mais cet augure nous montre que nous vaincrons de la terre les vaisseaux des ennemis. En effet, cet oiseau qui présage la victoire ne s'est pas arrêté sur les vaisseaux, mais sur le rivage, et ne nous a pas plutôt montré Quant à Alexandre, voyant que sa flotte n'était l'événement de la guerre que le lieu où nous depas égale à celle des ennemis, qu'elle lui était inu-vons faire la guerre. D'ailleurs si nous réduisons tile aux autres choses, et qu'il fallait faire de grandes dépenses pour l'entretenir, il résolut de la renvoyer, et de retenir seulement un petit nombre de vaisseaux pour porter les machines dont on se sert aux siéges des villes 2. Néanmoins Parménion n'était pas de ce sentiment, et avait conseillé au roi de donner une bataille navale 3. Il disait que si les Macédoniens étaient vainqueurs, on en tirerait un grand avantage pour toutes les autres entreprises; et que s'ils étaient vaincus, ils ne feraient pas une grande perte, puisque les Perses avaient déjà la domination de la mer; et qu'au reste ceux qui étaient les plus forts par les troupes de terre en défendraient aisément les rivages. Mais, afin que son opinion fût plutôt suivie, il témoigna qu'il était prêt d'exécuter le conseil qu'il avait donné, et qu'avec autant de vaisseaux qu'il plairait au roi de lui donner, il voulait bien aussi lui-même prendre sa part du péril.

D'ailleurs son opinion était confirmée par un présage, car on avait vu les jours précédents un aigle arrêté sur le bord de la mer derrière la flotte du roi. Mais Alexandre disait, au contraire, « que Parménion se trompait, lorsqu'il était d'avis qu'on opposât peu de vaisseaux au grand nombre que les ennemis en avaient, et des gens de mer sans expérience à des gens expérimentés; que véritablement il ne se défiait pas du courage des siens; mais qu'il savait bien que le courage contribuait peu à faire

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Il congédia donc son armée navale, et laissa à ses capitaines la charge de subjuguer le Pont et les contrées voisines du Pont. Quant à lui, suivant son dessein, il passa dans la Carie, où il avait appris qu'un grand nombre des ennemis s'était retiré. Et, à la vérité, Halicarnasse, qui était forte et par sa situation et par deux bonnes citadelles, leur avait fait espérer d'arrêter par ses murailles, comme par une puissante digue, l'impétuosité d'Alexandre, qui venait comme un torrent. Mais surtout on espérait en Memnon, qui préparait avec un grand soin tout ce qui est utile et nécessaire quand on veut soutenir un siége 4; car il n'y avait pas longtemps que Darius lui avait donné le gouvernement de toute la côte de la mer et le commandement de l'armée navale. En effet, lorsque Memnon eut reconnu qu'encore qu'il surpassât dans la science de la guerre tous les ca

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pitaines de la Perse, on lui faisait pourtant moins d'honneurs qu'il ne semblait en mériter, par cette raison seulement qu'il était Grec d'extraction, et qu'autrefois ayant été bien reçu dans la cour de Macédoine, on pouvait le soupçonner d'intelligence. Comme il était avisé, et qu'il savait bien ce qu'il fallait faire selon les diverses conditions des temps, il envoya à Darius et sa femme et ses enfants sous prétexte d'être en peine de leur sûreté, mais, en effet, pour gagner sa confiance en lui donnant ces otages. Au reste, Alexandre étant entré dans la Carie, réduisit en peu de temps toutes les villes entre Milet et Halicarnasse; car la plupart étaient habitées par des Grecs, à qui il avait accoutumé de rendre leurs lois et leurs priviléges, protestant qu'il n'était venu dans l'Asie que pour les mettre en liberté.

Mais bientôt après il ne s'acquit pas moins l'affection des Barbares par le bon accueil qu'il fit à Ada, princesse du sang royal, qui vint le visiter comme il passait par cette contrée, et qui le pria de la prendre en sa protection et de la rétablir dans son royaume. Car Hécatomne, roi de Carie, avait eu trois fils et deux filles, dont l'aîné, appelé Mausole, avait épousé Artémise; et Ada, la plus jeune des filles, avait épousé Hidriée, son frère. Or, Artémise, sœur et femme de Mausole, lui avait succédé au royaume, suivant la coutume du pays, par laquelle il est permis aux sœurs et aux frères de se marier ensemble, afin de régner ensemble. Lorsqu'Artémise fut morte de douleur et de regret d'avoir perdu son mari, Hidriée, qui lui succéda, et qui mourut sans enfants, laissa l'empire à Ada. Mais Pexodare, qui restait seul des trois fils d'Hécatomne, la dépouilla de la puissance; et bien qu'il fût mort aussi, toutefois elle demeurait privée de la couronne, parce que Pexodare avait pris pour gendre Orontobate, grand seigneur de Perse, afin d'en être protégé dans la possession d'un empire qu'il avait usurpé par force; et enfin Orontobate, après la mort de son beau-père, avait retenu le royaume comme l'ayant eu en dot de sa femme.

Ainsi Ada ayant fait ses plaintes à Alexandre de l'injure qu'elle avait reçue, et lui ayant donné en même temps la forteresse d'Alindes, obtint de lui qu'elle l'appellerait son fils, et qu'il lui donnerait du secours pour la rétablir dans sa première dignité. Et certes il ne manqua pas à sa parole; car après avoir pris Halicarnasse, il voulut que la Carie obéît à cette princesse et la reconnût pour sa reine. Cependant le bruit qui courut du grand accueil qu'il avait fait à cette princesse, s'étant répandu par cette contrée, conquit seul à Alexandre une infinité de villes; car la plupart étaient occupées ou par les parents ou par les amis d'Ada, qui envoyèrent aussitôt au roi par des ambassadeurs des couronnes d'or, avec des protestations de vouloir demeurer sous sa protection et sous sa puissance, et d'exécuter fidèlement tous ses ordres.

elle-même le soin de faire préparer des viandes délicieuses, des pâtisseries et toutes sortes de conlitures, et les envoya à Alexandre, avec les cuisiniers et ceux qu'elle croyait les plus excellents en tous ces métiers, s'imaginant qu'il lui saurait gré si, en revenant las et fatigué de la guerre, elle le divertis sait par les délices de l'Asie. Mais ce jeune prince, qui savait bien que la bonne chère et les excès de la bouche ne sont pas de saison quand on a de grandes affaires, la remercia de sa bonne volonté ; mais, au reste, il lui répondit « que Léonidas, son gouverneur, lui avait autrefois donné de meilleurs cuisiniers que les siens: qu'il lui avait enseigné que pour dîner agréablement, il fallait se lever matin et se promener; et que pour faire un souper délicieux, il fallait faire un sobre dîner. >>

IX. Ainsi presque toute la Carie s'était rangée sous l'obéissance d'Alexandre; mais Halicarnasse, la capitale du royaume, était cependant occupée par une forte garnison. De sorte que le roi, s'étant persuadé que ce siége durerait longtemps, y fit apporter de ses vaisseaux l'équipage et les machines dont il avait besoin pour l'attaquer, et campa avec son infanterie à cinq stades de la ville. Quelque temps après, comme il faisait battre les murailles auprès de la porte qui mène à Mylasse, les habitants firent sur lui une sortie à l'imprévu; mais les Macédoniens les soutinrent vigoureusement, et après avoir taillé en pièces quelques-uns des ennemis, ils les repoussèrent sans beaucoup de peine.

Depuis, Alexandre, qui espérait prendre Mynde par intelligences, y alla de nuit avec une partie de ses troupes. Mais comme il vit que personne ne favorisait son dessein, et qu'on ne répondait pas à l'espérance qu'on lui avait fait concevoir, il fit approcher ses soldats pesamment armés, et leur commanda de miner le mur; car il n'avait apporté ni échelles ni machines, parce qu'il n'était pas venu avec intention de faire un siége. Véritablement ils firent tomber une tour, mais ils ne se firent point un passage par où ils pussent entrer dans la ville, d'autant que la tour était tombée de telle sorte, qu'elle défendait encore par ses ruines cette partie de la muraille qu'elle couvrait étant debout. D'ailleurs les habitants se défendirent avec beaucoup de courage, et furent en même temps secourus par ceux d'Halicarnasse que Memnon y avait envoyés par mer, ayant su le péril où cette ville était réduite. Ainsi l'entreprise des Macédoniens n'eut point de succès.

Lorsqu'Alexandre fut de retour au camp devant Halicarnasse, il résolut premièrement de faire remplir un fossé de trente coudées de large et de quinze de profondeur, que les ennemis avaient fait creuser devant la ville; et, pour en venir à bout, il fit préparer trois tortues, afin que le soldat, couvert de cette défense, pût apporter sans péril et la terre et les autres choses qui pouvaient combler le fossé. Enfin, ayant été rempli, le roi fit aussitôt approcher

Tandis que ces choses se faisaient, Ada prenait les tours et les machines dont on renverse les muPlut. Alex. 40; Apophth. 37, et contr. Epicur. 40. 2 Diod. 1. c.; Vitruv. x, 20,

1 Strab. I. c.; Arrian. I, 23; Diod. XVII, 24.

21.

railles; et quand on eut fait une brèche assez raisonnable, les Macédoniens firent des efforts pour se jeter dans la ville; mais les ennemis, qui se succédaient les uns aux autres à mesure qu'ils étaient las (car ils le pouvaient aisément à cause de la multitude, outre qu'ils étaient animés par la présence de leurs chefs), résistèrent courageusement.

Ainsi le jour ayant été employé en divers combats, Memnon, qui s'imagina que les ennemis fatigués faisaient garde plus négligemment que de coutume, sortit de la ville de nuit avec un bon nombre de ses gens, et mit le feu dans les travaux et dans les machines. Mais comme les Macédoniens accoururent en même temps pour l'éteindre, et que ceux de Memnon faisaient des efforts pour les en empêcher, il y eut encore en cette occasion un combat assez sanglant. En effet, bien que les Macédoniens fussent plus forts que les ennemis par le courage et par l'habitude qu'ils avaient prise❘ dans les dangers, ils étaient néanmoins pressés par le nombre et par l'appareil des Perses; car d'autant qu'on ne combattait pas loin de la ville, ils étaient exposés aux traits et à toutes les autres choses qu'on leur lançait avec des machines disposées sur les murailles, et ne pouvaient se venger des blessures qu'ils recevaient.

Cependant il se faisait de grands cris de part et d'autre les uns animaient leurs gens, les autres disaient des injures à leurs ennemis; et outre cela les gémissements des blessés, et de ceux qui se mouraient, remplissaient toutes choses d'épouvante et de tumulte parmi les ténèbres de la nuit; et ce bruit s'augmentait encore par les voix de la multitude, qui bouchait les brèches tandis que les autres combattaient. Enfin les Macédoniens repoussèrent les ennemis entre leurs murailles, après en avoir tué environ cent soixante et dix, entre lesquels demeura Neoptolème ', qui s'était réfugié auprès de Darius avec Amyntas son frère. Il ne mourut pas plus de seize hommes du côté des Macédoniens; mais il y en eut environ trois cents de blessés, parce qu'on avait combattu de nuit, et qu'on ne pouvait se défendre contre des coups que l'on ne voyait pas venir et qui tombaient au hasard.

Quelques jours après, une chose assez légère donna sujet à un grand combat, qui commença par deux soldats des troupes que Perdiccas avait sous sa charge. Ils logeaient tous deux ensemble; et un jour, après avoir bu, ils commencèrent à parler de leurs belles actions, comme il arrive ordinairement entre gens de guerre, et entrèrent en quelque sorte de dispute à qui des deux l'emportait par-dessus l'autre par la force et par le courage. « Enfin, dit l'un des deux à son compagnon, pourquoi déshonorons-nous par des paroles une si glorieuse dispute? Il s'agit ici de savoir non pas qui a la première langue, mais qui a la meilleure main. Prenons pour juge l'occasion qui se présente, elle décidera mieux que nous notre différend; et si vous avez du courage, suivez-moi. »>

Arrian. 1. c; Diod. xvII, 25, 26. sqq.

- 2 Arrian. 1, 21.

Comme ils étaient animés par l'ambition et par le vin, ils prennent d'eux-mêmes leurs armes et courent tous deux aux murailles, du côté de la citadelle qui était tournée vers Mylasse. Lorsqu'on eut vu de la ville cette nouvelle témérité, il en sortit aussitôt une troupe d'ennemis; mais ces deux téméraires, au lieu de fuir, demeurèrent fermes, reçurent l'épée à la main ceux qui s'approchèrent d'eux, et lancèrent des javelots sur ceux qui se retiraient. Néanmoins l'audace de deux hommes seulement ne fût pas demeurée longtemps impunie, et n'eût pas résisté longtemps contre le grand nombre et même contre des gens qui combattaient d'un lieu élevé, si d'abord quelques-uns de leurs compagnons qui les virent dans le péril, et ensuite quantité d'autres, n'eussent couru à leur secours. Cependant ceux de la ville faisaient aussi la même chose; car à mesure qu'il en venait du côté des Macédoniens, il en venait aussi du côté des assiégés, au lieu où l'on combattait; de sorte que tantôt les uns et tantôt les autres se rendant victorieux ou par la force ou par le nombre, l'on combattit avec des succès divers jusqu'à ce qu'Alexandre, s'étant avancé avec ceux qui étaient à l'entour de lui, épouvanta les ennemis, qui furent aussitôt repoussés dans la ville: et il s'en fallut peu que les Macédoniens ne s'y jetassent avec eux; car, comme chacun s'amusait à regarder ce qui se faisait devant les murailles, on les gardait plus négligemment; deux tours étaient tombécs à coups de béliers avec les murs qui y tenaient, et la troisième, qui était déjà ébranlée, et qui commençait à se fendre, n'eût pu résister longtemps aux mineurs. Mais, parce que l'on combattit lorsque l'on y songeait le moins et que toute l'armée n'avait pas été mise en bataille, on perdit cette occasion d'entrer dans la ville.

Cependant, encore qu'à l'opinion des Grecs, ce soit avouer sa défaite et que l'on cède la victoire, que d'envoyer demander les morts afin de les faire enterrer', néanmoins Alexandre aima mieux demander les siens et faire trève avec l'ennemi, que de les laisser à l'abandon et sans sépulture. Mais d'autant qu'Ephialte et Thrasybule, Athéniens qui étaient avec les Perses, avaient plus de haine pour les Macédoniens qu'ils n'avaient d'égard à l'humanité commune, ils remontrèrent « qu'il ne fallait point accorder cela aux plus grands ennemis de la Perse. » Toutefois ils ne persuadèrent point Memnon, qui leur dit au contraire «< qu'il était indigne des mœurs et des coutumes des Grecs de refuser la sépulture aux ennemis qu'on avait vaincus ; qu'il fallait employer sa force et les armes contre des ennemis qu'on avait en tête, et qui faisaient résistance; mais qu'il ne fallait point combattre avec des outrages et des injures contre ceux que la mort nous avait ôtés, et qui étaient incapables de nous aider ou de nous nuire. »

Et certes, outre les autres vertus de Memnon, sa modération était signalée; et ce capitaine ne croyait pas qu'il fût honnête de faire injure même à un

1 Justin. VI, 6.

ennemi par une passion aveuglée, mais qu'il fallait le surmonter et lui rabaisser le courage par la force et par la prudence. Ainsi, ayant entendu un jour que quelqu'un de ses troupes parlait injurieusement d'Alexandre, « Je ne t'ai pas pris à ma solde, lui dit-il en le frappant de sa javeline, pour médire d'Alexandre, mais pour combattre contre lui. »

X. Cependant les assiégés, qui travaillaient à leur assurance autant qu'il leur était possible, firent faire en dedans une autre muraille de brique, non pas en ligne droite, mais en forme de croissant, au lieu de celle qui avait été abattue; et comme on employa beaucoup de monde à cet ouvrage, il fut en peu de temps achevé. Mais Alexandre commença dès le lendemain à battre aussi cette muraille, parce qu'étant nouvelle faite, il y avait apparence de la renverser plus facilement. Pendant que les Macédoniens étaient occupés à ce travail, on fit une autre sortie de la ville, et l'on brûla quelque chose de ce qui les mettait à couvert, et une partie d'une tour de bois. Mais Philotas et Hellanique, qui avaient ce jour-là le soin des machines, empêchèrent que le feu ne passât plus loin; et Alexandre, qui se fit voir aussitôt, donna tant d'épouvante aux ennemis, qu'ayant quitté le feu qu'ils portaient, et quelques-uns leurs armes mêmes, ils s'enfuirent dans la ville d'une course précipitée; et de là ils se défendirent plus facilement, comme étant favorisés de l'avantage du lieu; outre que, comme nous avons déjà dit, le mur était bâti de telle sorte que, de quelque côté que l'ennemi l'attaquât, on pouvait le charger à coups de traits non-seulement de front, mais de flanc de part et d'autre.

Depuis, les capitaines des Perses tinrent conseil, voyant que de jour en jour on les resserrait davantage, et qu'il y avait apparence qu'Alexandre ne se retirerait pas qu'il ne se fût rendu maître de la ville. Ephialte, qui avait peu de semblables soit par la vigueur du corps, soit par la force du courage, parla des maux et des incommodités d'un long siége, et remontra «< qu'ils ne devaient pas attendre qu'après avoir perdu peu à peu leurs forces, ils fussent contraints de se rendre avec la ville à la discrétion du vainqueur; mais que, tandis qu'il leur en restait encore, il fallait faire une sortie avec l'élite des soldats qu'ils avaient alors à leur solde, et en venir aux mains avec l'ennemi; que plus son conseil paraissait hardi en apparence, plus il y aurait de facilité à l'exécuter; que, comme les ennemis se figuraient toute autre chose que cela, et qu'ils n'étaient pas préparés contre une entreprise qu'ils n'attendaient pas, il les déferait sans beaucoup de peine. » Memnon même, qui n'avait pas accoutumé de préférer les conseils hardis aux conseils prudents et assurés, ne fut pas contraire à la proposition d'Éphialte. Car d'autant qu'il ne voyait point d'apparence de secours, et qu'il prévoyait bien que la fin de ce siége serait funeste, il crut que dans un si grand péril il n'était pas hors de propos d'éprouver ce que pouvait faire ce capitaine, qui était comme 1 Plut. Apophth. 12.

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poussé par quelque inspiration à entreprendre les choses extrêmes. Ainsi Éphialte, ayant choisi deux mille hommes entre les soldats mercenaires, fit préparer mille flambeaux, et commanda à ceux qu'il avait choisis de se tenir prêts dès la pointe du jour, et d'attendre en armes son commandement. Cependant, dès que le jour commença, Alexandre fit encore approcher ses machines de ce nouveau mur de brique ; et tandis que les Macédoniens étaient employés à ce travail, Ephialte, ayant fait inopinément ouvrir une porte, fit sortir la moitié des siens avec des flambeaux à la main, et les suivit en même temps avec le reste en bataille, pour empêcher les ennemis d'éteindre le feu des machines.

Lorsqu'Alexandre eut appris comment les choses se passaient, il mit promptement les siens en bataille, fortifia de soldats d'élite le secours qu'il fallait envoyer de part et d'autre, ordonna quelques troupes pour aller éteindre le feu, et alla lui-même contre Éphialte. Mais d'autant qu'Ephialte était fort et robuste de corps, et qu'il tuait tous ceux qui se présentaient devant lui, il animait les siens par sa voix, par ses gestes, et principalement par son exemple. D'ailleurs les assiégés ne donnaient pas peu d'affaires à l'ennemi; car ils avaient élevé sur leurs murailles une tour de cent coudées de haut, et de là ils lançaient sans peine sur les assiégeants et des traits et des pierres, par le moyen de leurs machines.

Cependant il sortit d'un autre côté de la ville, que l'on appelait Tripylon, et par où l'on s'en fût le moins douté, une autre troupe d'habitants, sous la conduite de Memnon; et l'alarme en fut si grande dans le camp des Macédoniens, que le roi même fut en doute de ce qu'il devait faire, mais il surmontait toutes sortes de périls par la grandeur de son courage et par les commandements qu'il savait donner à propos, et la fortune parut pour lui quand il en était besoin. Ainsi ceux qui avaient mis le feu dans les machines furent repoussés avec un grand carnage par les gens qui les gardaient, et par ceux que le roi avait envoyés au secours. D'un autre côté, Ptolémée, fils de Philippe, capitaine des gardes du corps, accompagné des cohortes de Timandre et d'Adée, outre qu'il avait avec lui sa compagnie, soutint les efforts de Memnon. De sorte que les Macédoniens vainquirent glorieusement de ce côté-là, bien qu'ils eussent perdu Ptolémée, Adée et Cléarque, capitaine des archers, avec environ quarante hommes de leurs gens. Au reste, les ennemis se retirèrent avec tant de peur et d'épouvante, que le pont qu'ils avaient fait pour passer le fossé se rompit sous le grand nombre qui se hâtaient de se sauver. Ceux qui étaient demeurés dessus se précipitèrent dans le fossé; quelques-uns y furent étouffés par leurs gens mêmes, d'autres furent tués par les Macédoniens qui leur lançaient des traits d'en haut, et plusieurs, qui s'étaient sauvés de ce tumulte, trouvèrent la mort aux portes de la ville. Car, comme on était épouvanté et que l'on appré1 Arrian. 1, 22.

hendait que les assiégeants n'entrassent pêle-mêle avec les assiégés, on ferma les portes à la hâte, et on laissa à l'abandon une grande partie des habitants.

Cependant Éphialte, que le désespoir animait aussi bien que l'espérance, et qui était redoutable autant par l'un que par l'autre, combattait courageusement contre les troupes du roi, et eût fait douter de la victoire, si les vieux soldats des Macédoniens ne fussent venus au secours de leurs gens, qui étaient alors en péril 1. Ils se tenaient dans le camp comme soldats privilégiés, et n'étaient point obligés aux charges et aux fonctions de la guerre que dans l'extrême nécessité, bien qu'ils ne laissassent pas de recevoir comme les autres et la solde et les récompenses et les autres avantages de la milice, ayant mérité cet honneur par leurs belles actions, et par les services qu'ils avaient rendus aux rois précédents et à Alexandre même. Lorsqu'ils eurent donc appris que leurs gens, épouvantés du péril, reculaient déjà et qu'ils cherchaient un lieu de retraite, ils coururent en même temps à la tête du bataillon, sous la conduite d'un certain Atharius, rétablirent le combat, et firent reprendre courage aux autres par les reproches de leur lâcheté.

Ainsi chacun fit des efforts comme à l'envi l'un de l'autre, et par cette émulation on fit bientôt changer la fortune. Éphialte fut tué avec les plus braves des siens, et les autres furent repoussés dans la ville. Plusieurs Macédoniens y entrèrent avec eux, et on la prenait déjà de force; mais le roi fit aussitôt sonner la retraite, soit qu'il voulût la conserver, soit que, comme le jour finissait, il appréhendât la nuit et les embûches dans des lieux cachés et que l'on ne connaissait pas. Ce combat épuisa les meilleures forces des assiégés: c'est pourquoi Memnon ayant tenu conseil avec Orontobate et les autres capitaines 3, ils firent brûler pendant la nuit la tour de bois et l'arsenal où étaient les armes, et mirent le feu aux maisons les plus proches de la muraille; de sorte que comme il y prit bientôt, et que les flammes de l'arsenal et de la tour étaient poussées par le vent, l'embrasement passa plus loin et se répandit de tous côtés.

Alors la meilleure partie des habitants et des gens de guerre s'allèrent jeter dans une forteresse située dans une île, et les autres se retirèrent dans une autre citadelle appelée Salmacie 4, à qui l'on avait donné ce nom d'une fontaine célèbre qui n'en était pas éloignée. Quant au reste de la multitude, les capitaines la firent passer dans l'île de Cos, avec ce qu'il y avait de plus précieux dans la ville. Cependant Alexandre, ayant appris par les transfuges, et par les choses mêmes qu'il voyait, ce qu'on avait fait dans Halicarnasse, commanda à ses gens de s'y jeter, bien qu'il fût encore nuit; de tuer tous ceux qu'ils surprendraient en mettant le feu quelque part, et d'épargner tous les autres qui ne feraient point de

Diod. XVII, 27.2 Q. Curt. v, 2; vi, 1. - 3 Arrian. 1, 23; Diod. 1. c. Vitruv. 11, 8.

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résistance. Le lendemain, il considéra les deux forteresses dont les Perses et les soldats mercenaires s'étaient emparés; et jugeant que le siége en serait long, et qu'après avoir pris la capitale de ce peuple, elles ne méritaient pas de l'arrêter, ni de lui faire perdre le temps qu'il devait employer ailleurs, il fit raser la ville, donna ordre à Ptolémée d'avoir l'œil sur ces forteresses, qui étaient environnées de fossés et de murailles, et le laissa dans la Carie pour la défense de cette contrée, avec trois mille hommes étrangers et douze cents chevaux '.

Depuis, Ptolémée ayant joint ses troupes avec Asander, gouverneur de la Lydie, défit Orontobate en bataille ; et enfin les deux forteresses furent prises par les Macédoniens, qui s'obstinèrent dans ce siége, de colère et de dépit d'y être si longtemps arrêtés. Cependant le roi, qui avait dessein sur la Phrygie et sur les provinces qui la touchent3, envoya Parménion à Sardes avec les cornettes de ses favoris, les gens de cheval auxiliaires et les Thessaliens, dont Alexandre Lyncestes avait la conduite, afin qu'ils se jetassent dans la Phrygie, et qu'ils tinssent des vivres prêts dans le pays ennemi pour l'armée qui les devait suivre, et fit aller avec eux des charrettes et toutes sortes d'autres voitures. Ensuite ayant reconnu que quantité de Macédoniens qui s'étaient mariés un peu devant cette expédition avaient de l'impatience de revoir leurs femmes, il les mit sous la conduite de Ptolémée, fils de Séleucus, l'un des gardes du corps, et lui commanda de les mener dans leurs maisons, pour passer l'hiver avec leurs femmes.

Deux de ses capitaines, Célon et Méléagre, partirent avec eux, attirés aussi par l'amour de leurs nouvelles mariées; et au reste cela servit beaucoup au roi à augmenter l'affection des gens de guerre, et les rendit plus prompts à le suivre dans les guerres les plus éloignées, parce qu'ils reconnaissaient qu'ils en étaient considérés, et qu'ils pouvaient espére d'avoir quelquefois congé d'aller revoir leur patrie Il donna ordre aux chefs de faire des levées, tandis qu'ils seraient dans la Macédoine, d'autant de gens de pied et de cheval qu'il leur serait possible, et de les amener au commencement du printemps avec ceux qui s'en retourneraient en ce temps-là. Mais, après avoir remarqué que son armée commençait déjà à se corrompre par les mœurs et par les délices de l'Asie, et qu'il y avait dans son camp un grand nombre d'impudiques, il fit chercher avec soin tous ceux à qui l'on pouvait faire justement des reproches si honteux; et pour les séparer des autres, il les fit mener dans une petite île du golfe de Cérasme. Le lieu où ils furent transportés a eu part à leur infamie; car en mémoire qu'ils y furent relégués, on l'appelle Cinédopolis 4.

XI. Ainsi ces choses ayant été exécutées, comme il persévérait dans le dessein de réduire sous sa puissance toute la côte de la mer, afin de faire en sorte

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