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Brandebourg. Celui-ci a été enlevé aux Wittelsbach par une espèce de trahison en 1373, et le Tyrol était tombé entre les mains des Habsbourg quatre années auparavant. D'autre part, la maison royale possédait au XVIII siècle les trois voix électorales de Bavière, du Palatinat et de Cologne. Elle aurait presque des droits sur la Bohême, puisqu'en 1440 ce pays a été offert par la diète au duc Albert III. Les patriotes les plus exaltés s'enivrent de ces souvenirs, songent que le royaume pourrait bien reprendre un jour son expansion interrompue, établir tout au moins son hégémonie sur l'Allemagne du Sud, mieux encore dominer l'Allemagne du Nord pour supplanter à la fois l'Autriche et la Prusse. La prodigieuse destinée de celle-ci est surtout un permanent objet d'émerveillement et bien plus encore d'envie. Pourquoi détient-elle la couronne impériale? Pourquoi possède-t-elle en fait l'Alsace-Lorraine conquise sur la France? Pourquoi est-elle plus riche et plus peuplée? La Bavière, pense-t-on communément dans le royaume, pourrait avoir la puissance de la Prusse et prendre la tête de l'empire.

Ce mirage s'appuie encore sur d'autres considérations. Les patriotes étroitement nationalistes ne croient pas que leur pays ait perdu toutes ses chances d'accroissement territorial. D'autres États, qui sont moins grands, sont certainement appelés à jouer encore un rôle en Europe. Pourquoi la Bavière devraitelle renoncer à tout avenir? Parmi les nations secondaires, l'Espagne exceptée, elle occupe le troisième rang par le nombre de ses habitants, après la Suède et la Belgique. Elle a le sixième rang quant à la superficie, après la Suède, la Turquie d'Europe, la Roumanie, la Bulgarie et le Portugal. Elle est enfin la seconde puissance en Allemagne, ce dont elle est très fière. Par conséquent, de grands espoirs lui sont permis. Mais, en attendant qu'elle les réalise, que personne au moins ne doute de la place importante que tient le royaume dans le Reich. «Quand l'ancien député au Reichstag de l'Allemagne du Nord Lasker a prétendu, écrit un Bavarois (1), que l'empire allemand aurait également été possible sans que la Bavière en fit partie, cela revient à dire qu'un homme pourrait vivre sans son bras droit ou son pied... La Prusse et la Bavière ensemble,

(1) Fr. Franziss, Bayerns nationale und internationale Stellung (Munich, 1894),

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avec leurs puissantes armées, sont comme les premières. colonnes de l'empire... C'est parce qu'on reconnaissait l'importance de la Bavière et les services qu'elle avait rendus dans la guerre nationale, qu'elle a reçu, en adhérant au nouveau statut, des droits réservés qui lui donnent le pas sur tous les autres États confédérés. Seuls des ignorants peuvent parler d'une vas

salité bavaroise. »

Un amour-propre aussi exaspéré ne va pas sans qu'on envisage la satisfaction des appétits historiques. Le royaume en effet n'a pas renoncé à s'agrandir. Certains regrettent que son entrée dans l'Empire ait pour conséquence qu'il lui soit désormais interdit d'acquérir des territoires. D'autres au contraire ripostent que tous les espoirs sont encore autorisés, comme au temps de l'ancienne Confédération. Jadis les accroissements étaient licites, avec l'assentiment de l'Empereur et du collège des princes. Rien n'a été changé; la constitution de 1871 ne contient aucun paragraphe qui les défende ou les empêche. Il n'y a donc qu'à saisir les occasions lorsqu'elles se présenteront, et au besoin à les provoquer. Tels événements peuvent naître. qui permettront de réaliser le programme national, soit par compensation, soit par voie de conquête.

Les revendications les plus immédiates de la Bavière se réduisent à deux. La première consisterait à se faire rendre par la Prusse les districts ravis en 1866, districts d'une superficie très réduite, mais dont le retour guérirait une blessure toujours saignante. A côté de cette irredenta, il y en a une seconde, celle-là beaucoup plus considérable, et c'est le Tyrol. La cause de la grande faveur qu'a rencontrée aux temps de Napoléon la politique de Montgelas, c'est que ce ministre a rendu à la Bavière cette province perdue depuis plusieurs siècles. « Montgelas, écrivent Denk et Weiss dans leur histoire du royaume (1), a été l'homme de la situation... Il a fait de l'agrandissement du territoire le but immuable de ses efforts. »>

Aucune erreur n'est possible. C'est bien vers le Tyrol que tendent toutes les aspirations de la nation, et des écrivains très récents ne se sont pas fait faute de le redire, avec plus ou moins d'énergie et de clarté. « L'auteur, déclare Riezler en se désignant lui-même (2), se livrerait à sa tâche avec la plus

(1) Denk et Weiss, Unser Bayerland (1906), p. 471. (2) Riezler, Geschichte Bayerns, t. I, p. 4.

grande joie, car 11 porte dans le cœur une très vive sympathie pour son sujet, si l'histoire de l'État était en même temps celle de la race. Le développement historique de l'Allemagne en a décidé autrement. Si nous, considérons la Bavière, nous rencontrons dans l'Ouest et le Nord des territoires souabes et franconiens qu'elle a attirés à elle, mais qui n'entrent que très tard dans le cercle de nos recherches. En revanche, au Sud et à l'Est, il y a des populations de race bavaroise qui se sont détachées à une époque reculée de la mère-patrie. Elles se sont séparées d'elle de bonne heure, mais pourtant pas avant le cours du XIIe siècle, et peu à peu. Jusque-là, c'est-à-dire pendant près de sept cents ans de son histoire, le peuple bavarois, unifié dans sa langue, son droit et ses coutumes, sauf pour la Carinthie, a formé politiquement un tout, résistant à l'émiettement plus longtemps que les autres peuples germàniques.

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Ces lignes font apparaître un évident regret et dessinent un programme. D'autre part, le professeur Fester, qui enseigne à Erlangen, mais n'est pas originaire du royaume, se fait l'écho en 1899 des revendications nationales (1) quand il constate que la dynastie des Wittelsbach ne règne pas sur toutes les populations qui sont de race bavaroise. Enfin, Franziss s'exprime avec netteté : « La race bavaroise, écrit-il (2), embrasse actuellement 11 millions d'hommes environ, et elle est établie dans tout le bassin du Danube. Il n'y en a qu'une faible partie qui vive dans le royaume, en Haute et Basse-Bavière, dans le Haut-Palatinat et le Sud de la Franconie moyenne. Le plus grand nombre, au cours des siècles, s'est séparé de la mèrepatrie. Les habitants allemands des deux Autriches, au-dessus et en dessous de l'Enns, ceux du Tyrol, de Salzbourg, de la Styrie, de la Carinthie, de la Bohême occidentale, etc..., sont d'origine bavaroise, et, d'après leur langue, leurs coutumes, leur manière de vivre, ne font qu'un avec ceux de la Vieille-Bavière... La mission de nos compatriotes résidant au delà des frontières est magnifique et noble. » Il résulte de tous ces textes que les patriotes bavarois considèrent leur patrie comme encore incomplète et qu'ils en désirent l'agrandissement un peu aux dépens de la Prusse, mais surtout de l'Autriche.

(1) R. Fester, Ein Jahrhundert bayerisch-wittels bachischer Geschichte, dans la Deutsche Rundschau, 1899. (2) Fr. Franziss, op. cit., p. 1.

La haine de la Prusse, si profondément enracinée dans les cœurs, s'est traduite depuis 1871 au cours de nombreux débats parlementaires. Elle se manifeste également dans les indignations, les rancunes, les attaques de l'opinion. Elle n'a pas seulement son origine dans les humiliations subies par la Bavière, ni dans la défaite de 1866. Elle résulte de l'opposition fondamentale de deux tempéraments nationaux complètement différents, d'une incompatibilité d'humeur que rien ne peut réduire. Mais elle est la cause de la relative indulgence que rencontre l'Autriche dans le royaume. Les critiques adressées à cette puissance sont aussi rares que sont fréquentes celles qui vont à la Prusse. Il n'y a pour s'en convaincre qu'à feuilleter la collection du libéral Simplicissimus, et, d'un autre côté, les catholiques la ménagent parce qu'elle forme un boulevard contre le protestantisme.

Pendant toute la durée de l'Empire, la double monarchie des Habsbourg n'est pas considérée comme une ennemie, bien que le royaume cherche à s'approprier, dès la première occasion, certains des territoires qu'elle possède. Et cependant, si l'on va au fond des choses, les sentiments sont tout autres que tendres. « Lieber bayrisch sterben als œsterreichisch verderben: Plutôt mourir Bavarois que de pourrir sous l'Autriche, » dit un proverbe que connaissent tous les sujets des Wittelsbach. On n'a pas oublié dans le peuple les souffrances endurées pendant le xvIII° siècle. On sait que seule la crainte de Frédéric II a empêché Marie-Thérèse d'annexer la Bavière pour se dédommager d'avoir perdu la Silésie. Sous Napoléon, c'est contre l'Autriche qu'on s'est battu; c'est elle que l'on a dépouillée sans le moindre remords, et même avec une joie que l'on n'a pas dissimulée.

Plus tard, sous les règnes de Louis ler et de Maximilien II, sa politique a fait l'objet des pires malédictions. On s'est plaint qu'elle n'obéissait qu'à ses intérêts particuliers et qu'elle trahissait ceux du royaume. Von der Pfordten l'a jugée capable des crimes les plus noirs, et, en 1866, les deux alliés se sont rejeté l'un sur l'autre la responsabilité de la défaite. Cependant l'on s'est battu ensemble, dans un côte à côte fraternel, et depuis l'on n'a rien regretté. Les plus récents historiens ra

content la campagne sans la déplorer comme une erreur. Denk et Weiss relèvent que les Bavarois ont défendu comme il convenait leur honneur militaire, et que, parmi toutes les armées des États secondaires, la leur s'est montrée l'adversaire la plus redoutable de la Prusse, quoiqu'elle fût inférieure au point de vue de l'organisation. Une illustration du livre reproduit même le combat de Rosbrunn, le 26 juillet, où des cuirassiers et des chevau-légers bavarois anéantirent des hussards et des dragons prussiens.

Qu'est-ce à dire? Il faut conclure de tous ces faits que la vieille politique nationale n'a pas renoncé à ses directions traditionnelles. Le 5 novembre 1866, von der Pfordten adressait à ses diplomates une circulaire très caractéristique : « Depuis 1848, écrivait-il, la Bavière a eu comme principe de consentir dans la Confédération aux réformes qu'adopteraient ensemble l'Autriche et la Prusse, mais sans contracter alliance avec l'une ou l'autre de ces puissances agissant pour son propre compte, et cela aussi bien dans l'intérêt du royaume que dans celui de l'Allemagne en général, car alors il y aurait danger de médiatisation de la Bavière et de dissolution de l'Allemagne. >> En d'autres termes, il serait souhaitable que la Prusse et l'Autriche se fissent équilibre, et cela seulement permet à la Bavière de subsister. «< A vrai dire, écrit Franziss en 1894, le mot de politique bavaroise provoque des haussements d'épaules dans certains cercles où on le considère comme incompréhensible. Cela vient de ce qu'on y a une trop insuffisante connaissance de l'histoire et de l'importance du pays... Aucun État moyen en Europe n'a à défendre des intérêts plus élevés et plus considé rables que n'en a la Bavière. >>

Donc, si l'Autriche était trop puissante en Allemagne, le royaume devrait chercher dans la Prusse une alliée contre elle, et c'est ce qui s'est produit à la fin du XVIIIe siècle. Il pourrait tout aussi bien grouper autour de lui d'autres États allemands, ou même faire appel à l'étranger, comme à l'époque de la Confédération du Rhin. Hors des temps de crise, il y a le système de la bascule, qui a été très en faveur entre 1815 et 1866. Que la Prusse, au contraire, tente d'établir son hégémonie, et la Bavière se range du côté de l'Autriche comme on l'a vu au moment de Sadowa. Que cette hégémonie, enfin, soit un fait accompli, comme après 1870, alors le royaume, devenu

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