créature est bonne, résulte-t-il qu'elle soit parfaite dans le sens de son achèvement, de son accomplissement total? Non; cette vue est fausse même pour la création matérielle. Quand il s'agit de la matière, on peut bien, en théorie, se représenter la nature sortant toute achevée des mains du Créateur dans un ordre définitif et fixe. Mais ce que nous pouvons ainsi concevoir en pure théorie n'est pas conforme aux faits. La nature matérielle n'est pas sortie achevée des mains de Dieu, et la preuve c'est qu'elle se développe au moyen d'un mouvement continu. Le mouvement de la nature n'est pas fixe. La terre, par exemple, se meut autour du soleil. En circulant autour du soleil, notre terre trace-t-elle toujours le même cercle? Non; les astronomes nous enseignent que le soleil se meut dans l'espace avec son cortége de planètes. Le soleil se meut et nous entraîne; et depuis le commencement du monde jusqu'à la consommation des siècles, la terre en parcourant son orbite ne passera peut-être jamais deux fois sur la même ligne. Cette terre mouvante est le théâtre d'un mouvement continuel sur sa propre surface. Elle n'a pas été à son origine ce qu'elle est maintenant; elle ne sera pas dans un certain nombre de siècles ce qu'elle est aujourd'hui. En présence de ce mouvement général de toute la nature, la jeune poésie née de la science moderne demande avec V. Hugo: Seigneur! Seigneur! où va la terre dans le ciel? La poésie chante encore avec Lamartine: Cependant la nuit marche, et sur l'abîme immense Soleils! mondes flottants qui voguez avec nous, Et ce que demande ainsi la poésie, la raison le demande. Croyez-vous que nous puissions contempler le spectacle du mouvement général des mondes, et qu'à la question: où vont-ils? il nous soit possible de répondre: nulle part? Aucun astronome ne le pense. Les astronomes seraient heureux de découvrir quelle est la loi du mouvement de tout le système du ciel, et par conséquent de se rendre compte de la direction de ce mouvement. Il y a donc pour la nature un plan; ce plan n'a pas été réalisé immédiatement, et la nature y tend. Le plan de la nature sera-t-il un jour totalement accompli? Les globes célestes se fixeront-ils un jour dans un mouvement uniforme, où s'arrêteront-ils dans l'immobilité de la perfection? La question dépasse, je le crois, la portée de l'esprit humain. Mais ce qu'il y a de positif, c'est que la nature a été faite et bien faite à son début, mais qu'elle n'a pas été parfaite. A mes amis L. B. et S. B. dans les Feuilles d'automne. * Les Étoiles dans les Méditations poétiques. La même idée devient plus évidente en passant au monde des esprits, parce qu'il est impossible de concevoir, même en théorie, une perfection primitive du monde spirituel. La destination des esprits est le bien, l'ordre dans lequel se trouve le bonheur. Leur constitution même marque leur but; et nous avons à cet égard la garantie de la raison appliquée à l'idée de la création, car, ainsi que j'ai cherché à l'établir dans une autre série de discours', l'amour est le seul mobile que nous puissions concevoir comme ayant poussé la puissance suprême à produire l'univers, et le bien de la créature est le seul objet que nous puissions assigner à l'amour créateur. Pour répondre à sa destination, l'esprit doit renfermer une volonté libre, qui est son fond et son essence même, une conscience claire qui lui marque la loi de sa volonté, enfin un cœur pur, ne recelant aucune prédisposition mauvaise. L'esprit ainsi constitué est mis en présence de la loi dans l'accomplissement de laquelle il doit trouver son bien; mais Le Père céleste. cet état n'est pas la perfection. Concevoir un esprit originellement parfait est une contradiction. Un esprit est une puissance, et sa loi est de se réaliser par son propre acte, de se faire et de se parfaire. Une perfection immédiatement réalisée, que nous ne trouvons pas en fait dans la nature, est inconcevable en théorie dans le monde spirituel, car un esprit parfait dès son origine ne se serait pas fait lui-même, et dès lors il ne serait plus esprit, c'est-àdire puissance. L'état primitif est donc une volonté libre, non dans la perfection mais dans l'innocence. Le paradis de l'innocence doit être non-seulement gardé, mais aussi cultivé par la volonté créée pour devenir le céleste Éden, dont le plan est révélé à la conscience de l'être libre comme la vraie loi de sa destinée. L'âge d'or est le songe doré de l'innocence contemplant dans une vision d'une merveilleuse beauté le but proposé à ses efforts par l'amour éternel. La perfection d'un esprit ne peut être que l'œuvre de sa liberté, et la demander au Créateur, c'est lui demander de ne pas créer des êtres libres. Mais la liberté même qui doit conduire l'esprit à sa perfection peut-elle être parfaite à son origine? Non. La liberté à son début ne peut être conçue que comme une liberté imparfaite. Elle doit passer, par son propre acte, d'une forme inférieure à une forme supérieure. Accordons une attention particulière à cette pensée. Le mot liberté a deux sens. C'est d'abord la fa culté de choisir, qui renferme nécessairement la possibilité du mal. Dans un autre sens, nous proclamons libre l'être qui fait tout ce qu'il veut. Reconnaissez avec soin ces deux idées: elles existent l'une et l'autre dans votre esprit. Vous concevez la liberté comme la possibilité de choisir; et vous avez une idée plus haute de la liberté, celle d'une volonté qui fait tout ce qu'elle veut, sans être enfermée dans un choix. Dans le premier sens, la liberté suppose une loi. Une puissance finie (nous devons réserver le mystère de la liberté de l'Étre absolu), une puissance finie qui ne serait pas en présence d'une loi qu'elle peut suivre ou violer, ne nous est pas intelligible comme puissance morale'; son idée se dissout dans celle d'un insaisissable caprice, ou d'une force aveugle, qui cède à des impulsions du dehors et n'a pas en elle-même le principe de ses déterminations. Il faut une loi, un commandement qui éveille la volonté et lui révèle sa liberté de choix. Dans le second sens, la liberté suppose l'absence de toute loi, car la loi limite l'emploi de la volonté en l'enfermant dans l'alternative de l'obéissance ou de la révolte. Ces deux idées de la liberté semblent contradictoires. Elles ne le sont point cependant; nous trouvons leur conciliation dans le mystère du cœur; et le mystère du cœur nous a été révélé déjà dans des considérations auxquelles il nous faut revenir. |