Le lion tint conseil, et dit : « Mes chers amis, Pour nos péchés cette infortune. Que le plus coupable de nous Se sacrifie aux traits du céleste courroux : Ne nous flattons donc point; voyons sans indulgence Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons, Que m'avaient-ils fait? Nulle offense; Je me dévouerai donc, s'il le faut; mais je pense Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi; Car on doit souhaiter, selon toute justice, Que le plus coupable périsse. Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi; Vos scrupules font voir trop de délicatesse. Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce, Est-ce un péché? Non, non. Vous leur fites, Seigneur, En les croquant, beaucoup d'honneur; Et quant au berger, l'on peut dire Qu'il était digne de tous maux, Étant de ces gens-là qui sur les animaux Se font un chimérique empire. >> Ainsi dit le renard; et flatteurs d'applaudir. On n'osa trop approfondir Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins, La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense, Je tondis de ce pré la largeur de ma langue; Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal. D'expier son forfait. On le lui fit bien voir. LA MORT ET LE MOURANT La mort ne surprend point le sage : S'étant su lui-même avertir Du temps où l'on se doit résoudre à ce passage. Ce temps, hélas! embrasse tous les temps: Qu'on le partage en jours, en heures, en moments, Dans le fatal tribut; tous sont de son domaine; Est celui qui vient quelquefois Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse : Un jour, le monde entier accroîtra sa richesse. Et, puisqu'il faut que je le die, Un mourant, qui comptait plus de cent ans de vie, Sans qu'il eût fait son testament, Sans l'avertir au moins. « Est-il juste qu'on meure Vieillard, lui dit la Mort, je ne t'ai point surpris; Tu te plains sans raison de mon impatience : Eh! n'as-tu pas cent ans? Trouve-moi dans Paris Deux mortels aussi vieux; trouve-m'en dix en France. Je devais, ce dis-tu, te donner quelque avis J'aurais trouvé ton testament tout fait, Quand les esprits, le sentiment, Quand tout faillit en toi? Plus de goût, plus d'ouïe; Ou morts, ou mourants, ou malades : Il importe à la République Que tu fasses ton testament. » La mort avait raison. Je voudrais qu'à cet âge A des morts, il est vrai, glorieuses et belles, LE CHÊNE ET LE ROSEAU Le chêne un jour dit au roseau : << Vous avez bien sujet d'accuser la Nature; Un roitelet pour vous est un pesant fardeau; Le moindre vent qui d'aventure Fait rider la face de l'eau Vous oblige à baisser la tête, Cependant que mon front, au Caucase pareil, Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr. Vous n'auriez pas tant à souffrir : Mais vous naissez le plus souvent Sur les humides bords des royaumes du vent. - Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci : Les vents me sont moins qu'à vous redoutables : Je plie et ne romps pas. Vous avez, jusqu'ici, Contre leurs coups épouvantables Résisté sans courber le dos; Mais attendons la fin. » Comme il disait ces mots, Du bout de l'horizon accourt avec furie Le plus terrible des enfants |