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cide sans confulter la raison; qu'en amitié on ne donne à fon goût, qu'autant que la raison le permet.

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C'est en la consultant avec attention, qu'ils apprendront ce qui doit être accordé à l'a mitié, ce qui lui doit être refufé. Il n'est pas possible de prévoir toutes les circonstances qui doivent sur cela déterminer, ni de defcendre au détail. On doit se contenter de tracer quelques regles generales, qui puissent être appliquées dans le befoin. Une des principales, c'est de n'oublier jamais que l'on doit servir ses amis, mais non leurs paffions.

Ainsi toutes les fois que l'in terêt de nôtre ami nous appel. lera, il ne faut pas courir, il faut voler; mais fi nous ve

nons à découvrir, qu'il nous em.

S

ploye à des chofes, que l'honneur & la probité ne nous permettroient pas pour nous-mêmes, nous aurons le courage de nous retirer. C'est bien affez que d'aimer ses amis autant que foi. Il faut se défier de nous, quand nous jurons que nous les aimons davantage. Ce sentiment est un defordre dans la nature, & la prudence ne souffre pas que l'on compte sur un defordre.

Nôtre ami a un procès, ce n'est point à nous à le juger. Dès qu'il l'entreprend, nous devons préfumer qu'il est bien fondé ; & dès ce moment, nous sommes obligez de prodiguer biens, conseils, talens, credit pour le soûtenir. Mais si nous apprenons dans la fuite, que ce procès eft une vexation, & que nous en soyons convaincus à

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n'en pouvoir douter; il faut l'avertir avec douceur, le ramener s'il est poffible, avec force; n'épargner rien pour le remettre dans la voye de la justice; & fi nos efforts font inutiles, tout ce qui nous refte à faire, c'est de le plaindre. Nous ne pourrions plus le fervir, fans nous rendre compli ces d'une action que nous condamnons.

Mais si dans ces cruelles conjonctures la vertu nous défend de seconder nôtre ami, l'amitié ne nous permet jamais de déclamer contre sa conduite. Blâmons-la quand nous lui parlons; excusons-la quand nous parlons aux autres; excusons-la auprès de nous-mêmes. Soûtenir un mauvais procès; n'être point touché des raisons qui en découvrent l'injustice; ne vouloir point l'abandonner, quand une fois on l'a commen. cé; c'est un effet de l'humeur ou de la passion. L'une est une foiblesse, l'autre une maladie de l'ame. C'est un defordre, il est vrai; mais c'est un desordre dont il se faut prendre plus encore à la condition humaine, qu'à nôtre ami. Il est foible ou malade aujourd'hui, nous le serons demain. Ne voyons pas comme lui, car il a la vûë trouble; gardons-nous bien de vouloir ce qu'il veut, car il n'a pas la volonté libre. Mais traitonsle doucement, & attendons que le tems, ou que la raison le guerifse. Si nous ne mettons pas entre les mains du frenetique l'épée qu'il nous demande avec les dernieres instances du moins nous ne lui refusons ni les alimens, ni les remedes necessaires pour diffiper la noire vapeur qui le tourmente. Moins nous avons de complaisance pour lui, plus nous avons de tendresse; avec ses accès nos foins redoublent, & plus il paroît extravagant, moins nous l'abandonnons.

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Voilà quelle doit être la re gle de notre conduite, avec un ami que la paffion aveugle ou séduit. Je ne puis approu. ver ces gens, qui confondent la passion avec la personne, & qui ne font pas plus de grace à l'un qu'à l'autre. Ne faites point de quartier aux passions, ce font vos plus dangereux ennemis; vous ne pouvez trop vivement les poursuivre. Mais épargnez les personnes que ces paffions entraînent & fongez que tous les jours vous êtes menacé d'un semblable

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