M. Brua. La voici : Paris, le 31 octobre 1791. "Parmi les tableaux de la situation actuelle du royaume que je mets, Messieurs, sous les yeux du roi, Sa Majesté a paru désirer que je lui en présente un sur l'état du clergé. Comme les lois qui ont eu lieu pour la circonscription des paroisses et le remplacement, sont depuis longtemps en vigueur, les opérations qui en résultent doivent être presque entièrement terminées, et je crois que vous pourrez me donner des éclaircissements précis sur le nombre des paroisses et succursales conservées et des églises supprimées, sur celui des curés constitutionnels, et de ceux qui n'ont pas été remplacés. Je vous prierais aussi d'y ajouter quelques détails sur ce qu'il existe maintenant de communautés religieuses et sur celles où l'on a usé du bénéfice de la loi; mais ce dont il importe particulièrement à Sa Majesté, c'est d'être informée des dispositions des esprits pour tout ce qui est relatif à la constitution civile du clergé et de la fayeur ou de l'opposition que trouve dans le royaume le libre exercice du culte. «Je pense que vous voudrez bien, Messieurs, seconder le désir que j'ai de satisfaire, le plus promptement possible, aux volontés du roi sur cet objet. Signé DELESSART. » (L'Assemblée passe à l'ordre du jour.) L'Assemblée lève sa séance à trois heures et demie et se sépare dans les bureaux pour procéder au second tour de scrutin pour la nomination des deux grands procurateurs de la nation. ANNEXE A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE DU MARDI 22 NOVEMBRE 1791, AU MATIN. Procès-verbal (1) de la nomination des quatre grands juges de la haute cour nationale. L'an troisième de la liberté et le 22 novembre 1791, à une heure après-midi, M. le Président de l'Assemblée nationale a annoncé que MM. Duveyrier, secrétaire général du département de la Justice, et Bertholio, substitut du commissaire du roi, près le tribunal de cassation, tous deux commissaires nommés par le roi pour assister au choix des quatre juges du tribunal de cassation, qui doivent remplir les fonctions de grands juges dans la haute cour nationale, demandaient l'entrée de la salle; ils ont été introduits, leurs commissions ont été vérifiées et ils se sont assis sur les sièges où se placent les ministres. Un huissier a apporté sur le bureau une boîte de carton, percée au-dessus et disposée en forme de tronc. Un secrétaire a observé que l'Assemblée n'ayant pas les noms des 42 juges qui doivent former le tribunal de cassation, on allait mettre les noms des 42 départements qui ont fourni chacun un juge pour ledit tribunal de cassation et que les juges des 4 départements, que le sort ferait sortir de la boite, seraient proclamés grands juges de la haute cour nationale. (1) Procès-Verbaux de l'Assemblee nationale législa tive, tome II, page 89. Il a été déposé dans la boîte, par un secrétaire 42 billets, dont chacun contenait le nom d'un des 42 départements, désignés par la loi, savoir: 1o Des Deux-Sèvres; 2o Du Lot; 3° Du Cantal; 6° De l'Aude; 12° De Saône-et-Loire ; 15o Des Bouches-du-Rhône; 17° Du Bas-Rhin; 21° De l'Aveyron; 24° De la Côte-d'Or; 27° Du Pas-de-Calais; 28° De la Dordogne; 29o Des Hautes-Pyrénées; 30° De Seine-et-Õise; 31o Des Hautes-Alpes ; 32° De l'Ain; 33° De la Meurthe; 34° De la Meuse; 35° Des Basses-Alpes; 36° De la Drôme; 37° De Rhône-et-Loire; 38° De la Manche: 39° De l'Allier; 40° De la Moselle ; 41° De la Haute-Saône; 42° De la Marne. On a vérifié le nombre des billets qui ont été ensuite remués à plusieurs reprises dans cette boite; après quoi un des Secrétaires a tiré, par l'ouverture du dessus de la boîte, quatre billets qui portaient: le premier, le département de la Vienne; le second, le département de la Meuse; le troisième, le département de l'Aude; le quatrième, le département de la Manche. En conséquence, M. le Président a proclamé pour grands juges de la haute cour nationale: MM. Creuzé de la Touche, pour le département de la Vienne, Marquis, pour le département de la Meuse, Signé VIENOT, Président; Max. ISNARD, ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE. Séance du mardi 22 novembre 1791, au soir. PRÉSIDENCE DE M. VIENOT-VAUBLANC. La séance est ouverte à six heures du soir. A l'ouverture de la séance une discussion s'engage pour savoir si l'on rendra à un citoyen le capital d'une créance sur l'Etat. Ce citoyen prétend qu'il n'a entendu faire un don patriotique que des intérêts. Un membre: Il est ridicule de s'occuper si longtemps d'un semblable objet; il ne faut retenir pour la patrie que ce qui lui est offert de bonne grâce, et non pas discuter sur l'intention du donateur. M. Léopold, au nom du comité de division, propose un projet de décret relatif à l'emplacement de la paroisse Notre-Dame de la ville de Nantes et ainsi conçu : L'Assemblée nationale, après avoir entendu le compte qui lui a été rendu par son comité de division: « 1° De la pétition des habitants de la paroisse Notre-Dame de la ville de Nantes, tendant à faire rapporter le décret rendu par l'Assemblée nationale constituante le 11 septembre dernier, sur l'emplacement à donner à leur église; ་་ «2° De la teneur de ce décret qui prouve l'omission d'une formalité préparatoire essentielle, l'avis du directoire du département; «3° De la lettre du ministre de l'intérieur, du 23 octobre 1791, qui, en exécution de la loi du 11 septembre, enjoint au directoire du département de la Loire-Inférieure de faire exécuter les plans et devis nécessaires pour la construction de la nouvelle église dans l'emplacement désigné; « 4° Et enfin de l'arrêté du directoire du département du 28 octobre dernier, par lequel, en témoignant sa surprise de ce que le décret ait été rendu sans son avis, ordonne l'exécution de ce décret; "Ajourne la question relative au rapport du décret du 11 septembre dernier, jusqu'au moment où le ministre aura rapporté l'avis du département de la Loire-Inférieure. » (Ce projet de décret est mis aux voix et adopté.) M. Carnot-Feuleins, le jeune, au nom du comité militaire, a la parole pour faire un rapport relatif à la dénonciation faite par un membre de l'Assemblée nationale (1) de la non-exécution de la loi d'amnistie du 14 septembre 1791 envers 4 soldats du 58 régiment d'infanterie, détenus à Blois; il s'exprime ainsi (2) : Messieurs, l'Assemblée nationale, par son décret du 19 octobre, a renvoyé au comité militaire une dénonciation faite par un de ses membres, de l'inexécution de la loi sur l'amnistie, décrétée le 14 septembre par l'Assemblée constituante, et relative à 4 soldats du 58° régiment d'infanterie, détenus à Blois. Votre comité militaire n'a pas cru pouvoir se dispenser, Messieurs, de faire précéder son rap (1) Voy. Archives parlementaires, 1 Série, Tome XXXIV, page 292. (2) Bibliothèque de la Chambre des Députés: Collection des affaires du temps, Bf. in-8° 165, tome 157, n° 1. port de quelques réflexions préliminaires que la lecture des pièces de cette affaire lui a fait sentir avoir une liaison intime avec elle. Il en résulte que, depuis très longtemps, il régnait entre les officiers et les soldats du 2 bataillon du 58 régiment d'infanterie, une défiance et une aigreur réciproques, qui ne se sont manifestées que trop souvent en différentes occasions. La loi d'amnistie du 14 septembre avait été rendue dans l'espérance d'un rapprochement fraternel entre des citoyens que l'intérêt et l'opinion n'avaient que trop longtemps séparés; c'était principalement dans les troupes qu'on devait en attendre les plus heureux effets. L'armée était divisée en deux partis bien caractérisés, qui ne prenaient pas même le soin de déguiser leurs espérances, ni leurs projets. La très grande partie, la classe entière des sous-officiers et des soldats, à l'exception de quelques hommes trop vils pour être comptés parmi les défenseurs de la patrie, étaient sincèrement attachés à la Constitution, et décidés à mourir pour la défendre. L'autre, celle des officiers, à la réserve d'un très petit nombre d'entre eux, qui avaient eu le courage d'abandonner leur titre d'esclavage, pour s'élever à la qualité de citoyens, ne respiraient que vengeance; les plus modérés d'entre eux consentaient à oublier les efforts que les Français avaient faits pour recouvrer leurs droits, pourvu qu'ils reprissent leurs chaînes et leur donnassent les moyens de punir, d'une manière exemplaire, les hommes hardis qui avaient essayé de les briser. Les soldats armés pour la liberté donnaient à la nation une force physique immense, eu égard à celle de ses ennemis; mais la force morale était tout entière entre les mains de ceux-ci; l'obéissance passive était commandée aux premiers, les seconds seuls avaient le droit de la faire mouvoir. Il serait difficile, Messieurs, de se faire une idée précise des désordres qui devaient naturellement résulter d'une pareille situation, si l'on n'avait continuellement sous les yeux, les prodiges de tout genre, qui ont amené, commencé et achevé la Révolution. En effet, si la force militaire permanente est un établissement contre nature chez un peuple jaloux de sa liberté, si elle ne doit être adoptée que lorsqu'elle se trouve nécessitée par les circonstances les plus impérieuses, si son organisation doit y être maniée d'après la forme du gouvernement et avec une profonde connaissance du cœur humain, que n'avions-nous donc pas à redouter lorsque cette force imposante se trouvait confiée tout entière entre les mains d'une caste privilégiée, s'y trouvait confiée dans le moment même où les Français se servaient de leurs fers pous briser le joug sous lequel cette caste les tenait asservis, eux et leur roi depuis des siècles? La force armée, sans doute, doit être essentiellement obéissante; mais cette condition nécessaire, sans laquelle elle ne pourrait subsister, en exige une autre, c'est qu'elle soit composéé par des hommes qui aient, entre eux, une confiance méritée et réciproque; c'est à vous à juger, Messieurs, si depuis le commencement de la Révolution, jusqu'à présent, cette première condition essentielle a été remplie. Ces réflexions ne vous paraîtront point étrangères à l'affaire que vous avez renvoyée à votre comité militaire, lorsqu'elles seules peuvent vous faire envisager la nature du crime et le caractère de la punition de la plupart des soldats de l'armée depuis la Révolution. Votre comité ne craint pas d'assurer que plusieurs d'entre eux ont été la victime de leur dévouement à la chose publique, et que beaucoup de ceux qui les ont ainsi immolés au nom de là loi en étaient les plus sanglants ennemis; ce n'est pas, Messieurs, et il s'en faut, que tous les soldats qui ont été punis depuis le commencement de la Révolution fussent innocents; mais il est vrai que la vengeance des chefs est presque toujours tombée sur les plus zélés défenseurs de la Constitution. Le comité militaire évitera d'appliquer particulièrement ces observations à l'affaire des 4 soldats du 58 régiment d'infanterie emprisonnés à Blois; il ne rappellera pas à l'Assemblée nationale, que la príncipale cause de leur détention était d'avoir ouvert les yeux sur la conduite de quelques-uns de leurs officiers, qui, après avoir refusé de prêter le serment ordonné, étaient venus tranquillement reprendre des places dont la loi les avait dépossédés. L'amnistie a jeté un voile épais sur ce dédale de faits, et de tant d'autres semblables, que votre comité n'essayera point de soulever. Il suffit de savoir qu'à l'époque de l'amnistie, au 14 septembre dernier, 4 soldats du 58. régiment d'infanterie étaient détenus dans les prisons de Blois et devaient en être élargis en vertu de la loi; rien ne pouvait, rien ne devait s'y opposer. Le désir que le roi avait manifesté de voir rendre cette loi salutaire, qui devait être un signal de paix et de fraternité entre tous les Français, annonçait que son exécution ne souffrirait pas le plus léger retard; cependant, 3 des 4 soldats du 58 régiment d'infanterie détenus à Blois y gémissaient encore le 22 octobre, et le quatrième n'en était sorti que le 14 du même mois. Le ministre de la guerre avait adressé le 29 septembre la loi d'amnistie à tous les commandants de division, et commissaires ordonnateurs des guerres; il y avait joint l'ordre précis de la faire exécuter sur-le-champ, en suivant les précautions indiquées dans sa lettrecirculaire, datée du même jour, écrite aux colonels de la gendarmerie nationale; les précautions consistaient : 1° à faire remettre aux soldats détenus, sur accusation de désertion, un certificat qui constatât qu'ils avaient joui de l'amnistie, et qui leur servit à recevoir en route 3 sous par lieu pour leur subsistance; 2o A ne faire sortir des prisons « où il y aurait beaucoup de militaires réunis, que deux ou trois d'entre eux ensemble, en ayant soin de remettre l'élargissement des autres, aux jours suivants, observant encore de donner la préférence à ceux qui auraient été arrêtés les pre miers. " Si ces ordres eussent été ponctuellement exécutés, les prisonniers auraient pu profiter du bénéfice de la loi dans les premiers jours du mois d'octobre, et rentrer dans leur régiment, comme ils en avaient l'espoir; mais ce ne fut que le 14 de ce mois que le premier des quatre soldats détenus à Blois, le sieur Orosmane, fut élargi; il reçut en même temps ordre de sortir de la ville, avec une route, pour se retirer à Avignon, lieu de sa naissance, tandis que son régiment était à Toul; on ne lui fit aucun décompte, on ne lui délivra aucun congé, malgré ses réclamations, on lui expédia seulement un certificat d'amnistie, dont la formule avait été envoyée par le ministre pour les soldats accusés de désertion seulement, et auquel on se contenta d'effacer le mot « désertion » pour y substituer ceux de « faute d'insubordination ». Tel fut le certificat qui fut délivré au sieur Orosmane après 21 ans de service, et après une amnistie qui devait tout remettre dans le premier état. Ses trois camarades restèrent encore en prison, et le dernier d'entre eux n'en est sorti que le 24; il leur a été délivré à tous trois des certificats pareils au premier, contenant des routes différentes de celle de leur régiment. Tel est exactement l'état de l'affaire qui vous a été dénoncée le 18 de ce mois par un des membres de cette Assemblée. Votre comité militaire a pensé que cette dénonciation portait nécessairement sur trois chefs: le premier, sur le retard dans l'exécution de la loi de l'amnistie du 14 septembre; le deuxième, sur l'ordre arbitraire donné le 14 octobre au sieur Orosmane de sortir de la ville de Blois; le troisième, sur le renvoi illégal de ces quatre soldats, qui avaient droit de rentrer dans leur régiment, renvoi effectué par la nature même des certificats qu'on leur a délivrés, sans qu'il leur ait été donné de congé, ni sans qu'on ait fait droit sur leurs réclamations pécuniaires. Le premier chef est évidemment prouvé, puisque l'ordre donné le 29 septembre, par le ministre de la guerre, n'a été mis définitivement en exécution que le 24 octobre, après des plaintes réitérées, portées à l'Assemblée nationale; l'amnistie n'était point conditionnelle, elle ne souffrait point d'interprétation ultérieure; l'officier de la gendarmerie est donc coupable de ne l'avoir pas mise à exécution, comme il en avait reçu l'ordre du ministre. ༥ Quant au second chef, il paraît certain, par l'aveu même de cet officier, qui dit que le sieur Orosmane refusait de partir et paraissait vouloir faire la loi », qu'il l'à au moins invité d'une manière très pressante de sortir de la ville de Blois; à l'appui de cet aveu existe la déclaration d'un particulier, qui dit avoir entendu cet officier ordonner le départ du sieur Orosmane; mais cette déclaration n'est point revêtue de formes qui puissent la faire admettre comme une pièce authentique; et d'ailleurs il est très essentiel de remarquer qu'il n'y a aucune preuve quelconque de voie de fait. Votre comité pense donc qu'il ne peut y avoir lieu à accusation sur ce second chef. Le troisième, qui est le renvoi illégal des quatre soldats, est appuyé sur un fait constant: la délivrance des certificats portant route pour différents lieux, autres que celui de leur régiment, sans mention de congé ni décompte; mais il n'a pas encore été possible au comité de connaître les motifs précis de ce renvoi; il ne peut donc assurer qu'il soit réellement illégal, ni que les sommes réclamées par les soldats ne leur seront pas remises. Le seul délit prouvé, quant à présent, est la suspension de la loi d'amnistie faite par l'officier de la gendarmerie de Blois; votre comité militaire a pensé, après les plus mûres réflexions, que le délit de cet officier pouvait être envisagé d'après les éclaircissements qu'il a cru devoir demander à ses chefs et ceux-ci au ministre de la guerre, comme le résultat de son incertitude sur le mode d'application de la loi d'amnistie, et ne pouvait l'être sans injustice, ou au moins sans uné extrême rigueur comme un ordre arbitraire d'emprisonnement, punissable de peines capi tales. Votre comité a donc regardé ce délit comme très grave et devant être sévèrement réprimé, mais seulement par des peines correctionnelles ou de discipline militaire. C'est ici, Messieurs, que le comité a été arrêté, lorsqu'en conséquence de cette opinion, il a essayé de vous présenter un projet de décret. Le défaut de lois positives applicables, par les tribunaux à ce genre de délits très fréquents, n'a fait que redoubler son embarras; il s'est bientôt aperçu qu'à la décision de cette question particulière tenait essentiellement celle si importante de la responsabilité des agents du pouvoir exécutif. Il a senti l'insuffisance de cette loi de responsabilité telle qu'elle a été décrétée par l'Assemblée constituante, en ce qu'elle n'a laissé aucun intervalle, aucun milieu quelconque entre le décret d'accusation auprès de la haute cour nationale, et le renvoi pur et simple de toute accusation; votre comité militaire s'est convaincu du besoin qu'avait d'être perfectionnée ou plutôt achevée cette loi salutaire, pour qu'elle ne fût pas presque toujours inutile. En effet, ne serait-il pas aussi absurde de décréter qu'un ministre sera mis en état d'accusation, parce qu'un soldat, par exemple, aura été mis à la salle de discipline injustement par ses chefs, sans que ceux-ci aient été punis, que de soutenir qu'il doit y avoir lieu à un renvoi pur et simple, lorsqu'il sera prouvé qu'il a apporté de la faiblesse ou de la négligence à punir, par les moyens que la loi lui a confiés, ceux qui s'en seraient écartés. Faute de lois de détail suffisantes à cet égard, celle de la responsabilité des ministres demeurera toujours illusoire. L'Assemblée nationale constituante, en consacrant le principe, n'a pu s'empêcher d'apercevoir qu'il fallait des moyens prompts et faciles d'en assurer les effets; le principe seul devait entrer dans l'Acte constitutionnel: c'est à vous, Messieurs, qu'il est réservé de compléter les lois réglementaires qui doivent en assurer l'exécution. Celles sur la responsabilité des ministres dans les circonstances actuelles, où une surveillance éclairée et continue est nécessaire, sont celles qui ont paru les plus urgentes à votre comité militaire, et dont il a pensé que l'Assemblée nationale ne pouvait s'occuper trop promptement. Rien, en effet, n'est plus capable de porter le découragement dans l'âme des bons citoyens, et le désordre dans l'Assemblée nationale, que de n'avoir aucun mode facile et certain de s'assurer que les lois faites sont ponctuellement exécutées, ou que ceux qui en entravent l'exécution seront sévèrement punis. Les dénonciations et les plaintes journalières qui sont portées à l'Assemblée nationale contre les agents du pouvoir exécutif, et notamment contre le ministre de la guerre, sollicitent une loi précise et claire à cet égard; une loi qui, en régfant le mode de correspondance de l'Assemblée nationale avec les ministres, lorsqu'elle désire des éclaircissements, puisse, en conservant toute sa dignité, éviter d'avilir le pouvoir exécutif dans ses principaux agents et les obliger de lui fournir tous les renseignements dont elle peut avoir besoin. Votre comité militaire a pensé, Messieurs, que le seal moyen, pour y parvenir, était de rendre les ministres personnellement et seuls responsables envers l'Assemblée nationale, chacun dans leur département respectif, sans qu'ils pussent jamais s'excuser sur les agents inférieurs, à moins qu'en justifiant au Corps législatif des punitions qu'ils leur auraient infligées ou des poursuites qu'ils auraient exercées contre eux en raison de leurs délits. Il est aisé de sentir que pour assurer l'efficacité d'une pareille loi, il est nécessaire de bien graduer les peines qu'encourront les agents inférieurs de l'autorité pour tous les genres de délits, dont ils pourraient se rendre coupables. Le Code pénal manque à cet égard de plusieurs lois essentielles, qui ne peuvent être que l'effet du temps et de l'expérience; quant aux ministres, c'est dans la nature même et dans l'importance de leurs fonctions, que votre comité a pensé qu'il fallait chercher la peine à leur infliger pour tous les délits qui seraient jugés, par le Corps législatif, ne pas devoir donner lieu à accusation contre eux devant la haute cour nationale. Votre comité n'a pas vu, dans ce cas, de meilleurs moyens, de moyens plus convenables à la dignité nationale, plus assortis aux fonctions importantes dont les ministres sont chargés par le chef suprême du pouvoir exécutif, que de décréter que, dans ces cas, il sera envoyé un message au roi pour lui déclarer que tel délit a été commis dans le département de tel ministre, et que ce délit est resté impuni. La formule de la déclaration du roi devrait changer, suivant que l'Assemblée nationale jugerait le délit plus ou moins grave; elle pourrait même mander le ministre prévenu, et après lui avoir demandé des explications par l'organe de son président, décréter, s'il y a lieu, soit un message au roi, soit l'état d'accusation. Votre comité militaire a pensé que cette forme imposante de mander les ministres ne devait être employée qu'avec une extrême circonspection et dans les cas seulement où l'Assemblée nationale aurait des sujets très graves de plaintes contre eux, mais surtout jamais sans ajourner à une autre séance la proposition qui en serait faite, ni sans entendre le rapport du comité auquel l'examen de l'affaire, qu'aurait provoqué cette proposition, serait renvoyé. Votre comité militaire a pensé que les éclaircissements à demander aux ministres dans toutes les circonstances devait toujours l'être par écrit, comme le seul moyen d'en avoir de certains, et surtout d'éviter une perte de temps si précieux à l'Assemblée. Il a pensé aussi, Messieurs, que toutes les fois qu'un ministre rend un compte susceptible d'être examiné, il doit être imprimé, renvoyé à un comité pour en faire son rapport, et être débattu à jour fixe, pour être dressé, s'il y a lieu, un mémoire en demande. Votre comité pense que les moyens qu'il vient de vous développer, sont les seuls qui puissent assurer la parfaite exécution des lois, la responsabilité des ministres, et l'emploi légal et prompt de toutes les forces de la nation confiées entre leurs mains. D'après ce développement que votre comité militaire a cru nécessaire pour motiver son opinion, il a l'honneur de vous proposer le projet de décret suivant: «L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité militaire, sur la dénonciation d'un de ses membres, relative à une déten tion arbitraire de quatre soldats du 58° régiment d'infanterie, emprisonnés à Blois; « Déclare qu'il a été commis une infraction aux droits de l'homme et du citoyen, qui doit être réprimée; que, dans aucun cas, le pouvoir exécutif ne peut se permettre de suspendre, interpréter, ou modifier la loi, même sous des prétextes de prudence; et cependant, présumant bien des intentions du ministre de la guerre, pour la mesure qu'il a indiquée dans sa lettre aux colonels de la gendarmerie nationale, en date du 29 septembre, relative à la loi d'amnistie; décrète qu'il n'y a lieu à accusation contre lui; décrète de plus que le pouvoir exécutif rendra compte sous quinze jours, à l'Assemblée nationale, des peines de discipline militaire, qui auront été infligées aux auteurs de la détention prolongée, dans les prisons de Blois, des 4 soldats du 58° régiment d'infanterie, et des mesures qu'il aura prises pour faire droit à leurs réclamations. ་་ « Décrète, en outre, qu'une copie du rapport du comité militaire, en date de ce jour, 22 novembre, sur l'affaire de Blois, sera remise au comité de législation, qui sera tenu de présenter le plus tôt possible un projet de loi, propre à déterminer et assurer la responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir exécutif, et notamment une loi pénale contre tous ceux qui se permettraient de suspendre, modifier ou interpréter la loi. » M. Chabot. Je suis très éloigné de croire que le ministre de la guerre soit en rien inculpable dans cette affaire, et je suis parfaitement de l'avis du comité, lorsqu'il dit qu'il n'y a pas lieu à accusation contre lui, pour fait de la détention pendant un mois, des quatre soldats; mais dois-je en même temps croire que le ministre de la guerre a pu donner ordre de faire éloigner les quatre soldats de leur régiment sans leur donner un décompte? Sans doute, Messieurs, l'exil de la ville de Blois peut fort bien n'avoir pas paru à votre comité militaire assez constaté pour exercer l'accusation de crime national, comme j'ose appeler crime national tout attentat contre la liberté individuelle, puisque cette liberté est garantie par la Constitution; mais supposons, pour un moment, que le comité militaire n'ait pas eu assez de preuves pour constater ce fait, n'en at-il pas eu pour constater, je ne dis pas un congé, mais un ordre, pour Orosmane, de ne pas aller à Tours, mais à Avignon, qui, à cette époque, n'était pas réuni à l'Empire français, à Avignon qui, par conséquent, était un pays étranger, à Avignon, qui était une terre du pape, où il faudrait exiler tous les prêtres perturbateurs du repos public. (Rires.) En un mot, Messieurs, le comité militaire est convenu avec moi qu'il a vu la pièce originale d'un ordre, où le mot désertion seulement était effacé; est-ce pour les soldats, ou n'est-ce pas plutôt pour les officiers que cette loi a été modifiée? Or, je dis que lorsque la loi a prononcé que ceux qui profiteraient de l'amnistie n'avaient pas droit aux places qu'ils occupaient ci-devant, cette loi, dis-je, doit s'appliquer aux officiers, et non point à des soldats dont le patriotisme est exactement le seul crime. Je le demande à tous les membres de l'Assemblée, à leur conscience, un soldat doit-il être plus soumis à la loi que son officier? Eh bien! Messieurs, le colonel avait prêté son serment avec restriction; ce serment a été porté au comité militaire de l'Assemblée constituante qui le déclara nul. M. de Beauharnais, M. Alexandre de La meth et M. de Menou constatèrent cette nullité. Il faut encore que je relève un mensonge du ministre qui vous dit, dans une lettre qu'il vous a écrite, que ces soldats ne sont pas sortis ensemble et qu'on n'a pas permis à Orosmane de rester dans Blois, parce qu'ils étaient les auteurs d'une insurrection arrivée dans le deuxième bataillon du cinquante-huitième régiment cela est consigné dans ses lettres: Eh bien! je dis que c'est une erreur et je le démontre d'où vient cette insurrection prétendue du second bataillon? De ce que les 4 soldats étaient depuis 7 à 8 jours détenus dans les cachots. Ce ne sont donc pas eux qui ont fait soulever le régiment, puisqu'ils étaient retenus dans les cachots à l'époque de cette insubordination, dont se plaint le ministre de la guerre mais encore une fois, qu'est-ce que c'est que cette insubordination? Plusieurs membres : Au fait! au fait! Abrégez ! M. Chabot. Je défends ici les victimes du despotisme.. Si je les avais défendus devant un ci-devant parlement, on m'aurait permis d'être même prolixe; et je suis étonné que vous, qui êtes les dieux tutélaires de la Constitution, refusiez de m'entendre. (Applaudissements dans les tribunes.) Je soutiens qu'il y a lieu à accusation contre ceux qui ont donné l'ordre arbitraire; de plus il a été dénoncé au comité militaire, que ces soldats avaient été chassés de leur régiment, sans qu'on leur donnât leur décompte, et il leur revenait à chacun environ 40 à 50 livres. Le comité militaire a raison de dire que cette pétition ne nous regarde pas, qu'il faut s'adresser aux agents du pouvoir exécutif; mais puisque le ministre garde le silence, il faut au moins, et j'y conclus, que le comité militaire enseigne à ces soldats les moyens de constater le refus du ministre, et quand il sera constaté, ils viendront à l'Assemblée nationale pour demander justice. Je demande donc, en me résumant : 1. Que sur la lettre du ministre, qui convient que l'ordre d'exil a été donné à Orosmane, vous déclariez qu'il y a lieu à accusation contre ceux qui l'ont donné; 2o Je demande que ceux qui ont donné un congé dans un moment où la France a besoin d'hommes tels que ceux-là, soient obligés d'en déclarer les motifs, et en troisième lieu que si l'on ne veut pas forcer le ministre à donner le décompte demandé, on donne au moins à ces soldats les moyeus de faire constater ce refus. Plusieurs membres Aux voix! aux voix! Le décret! M. Carnot-Feuleins jeune, rapporteur. Je demande à relever des faits qui ne sont pas exacts. Plusieurs membres: Bah! bah! Ce n'est pas appuyé! M. Carnot-Feuleins jeune, rapporteur. Je crois inutile de faire observer à l'Assemblée que M. Chabot a presque toujours été hors de la question. Il ne s'agissait pas de savoir pour quelles causes les soldats de là Rouergue avaient été mis en prison, mais pourquoi ils n'en étaient point sortis en vertu du décret de l'amnistie. Le comité militaire a fait voir à l'Assemblée qu'il y avait eu nécessairement un abus d'autorité de la part de l'officier de la gendarmerie nationale qui avait reçu l'ordre du ministre que voici : il avait été donné ordre au sieur Orosniane de sortir de la ville de Blois. Si l'Assemblée veut en entendre la lecture?... |