bares qui n'en ont pas l'habitude. Aussi les Scythes sont-ils vaincus par l'ivresse avant de l'être par le fer. Cyrus revient pendant la nuit, tombe sur ces hommes sans défiance, les égorge tous, et avec eux le fils de la reine. Ni la perte d'une armée puissante, ni celle bien plus douloureuse d'un fils unique, n'arrachèrent une larme à Tomyris. C'est dans la vengeance qu'elle cherche une consolation, c'est en faisant tomber à leur tour dans le piége ses ennemis enflés de leur triomphe. Elle feint d'être découragée par ce désastre, recule, et attire Cyrus au milieu d'un défilé où ses troupes sont embusquées. Plus de deux cent mille Perses sont taillés en pièces. Cyrus luimême est massacré. La victoire eut cela de mémorable, que pas un soldat ne survécut, pour en répandre la nouvelle. La reine fit couper la tête de Cyrus et la fit jeter dans une outre remplie de sang humain,en lui reprochant sa cruauté: « Bois, dit-elle, ce sang dont tu eus toujours soif, et qui ne te désaltera jamais. » Cyrus avait régné trente ans; et ce règne, depuis la première année jusqu'à la dernière, n'avait été qu'une suite de succès. IX. Cambyse (A. de R. 225), son fils et son successeur, réunit l'Égypte à l'empire de son père; mais, plein de mépris pour les superstitions égyptiennes, il fit abattre les temples d'Apis et des autres divinités. Il envoya même une armée contre le plus célèbre de tous, celui de Jupiter Hammon. Cette armée, dispersée par la violence des ouragans, est engloutie sous des monceaux de sable. Quelque temps après, Cambyse fut averti par un songe que son frère Smerdis devait régner. Dans sa frayeur, il voulut ajouter un crime lium venisset, omissis hostibus, insuetos Barbaros vino se onerare patitur: priusque Scythæ ebrietate, quam bello vincuntur. Nam cognitis his, Cyrus reversus per noctem, securos opprimit, omnesque Scythas cum reginæ filio interficit. Amisso tanto exercitu, et, quod gravius dolet, unico filio, Tomyris orbitatis dolorem non in lacrymas effudit, sed in ultionis solatia intendit; hostesque recenti victoria exsultantes, pari insidiarum fraude circumvenit. Quippe, simulata diffidentia propter vulnus acceptum, refugiens, Cyrum ad angustias usque produxit. Ibi compositis in montibus insidiis, ducenta millia Persarum cum ipso rege trucidavit. In qua victoria etiam illud memorabile fuit, quod ne nuntius quidem tanta cladis superfuit. Caput Cyri amputatum, in utrem humano sanguine repletum conjici regina jubet, cum hac exprobratione crudelitalis: « Satia te, inquit, sanguine, quem sitisti, cujusque <«< insatiabilis semper fuisti. » Cyrus regnavit annos xxx, non initio tantum regni, sed continuo totius temporis successu, admirabiliter insignis. IX. Huic successit filius Cambyses, qui imperio patris Ægyptum adjecit; sed offensus superstitionibus Ægyptiorum, Apis cæterorumque deorum ædes dirui jubet. Ad Hammonis quoque nobilissimum templum expugnandum exercitum mittit: qui tempestatibus et arenarum molibus oppressus, interiit. Post hæc per quietem vidit fratrem suum à tant de sacriléges. En effet, celui qui avait méprisé la religion et marché contre les Dieux ne pouvait hésiter devant un parricide. Il avait déjà choisi pour l'exécution un mage de ses amis, nommé Prexaspès, lorsque son épée, sortie par hasard du fourreau, lui fit à la cuisse une blessure dont il mourut, et qui fut le châtiment mérité et du parricide qu'il avait ordonné, et du sacrilége qu'il avait accompli. Le mage, apprenant cette mort, veut en prévenir le bruit, assassine Smerdis, successeur naturel de Cambyse, et lui substitue Orospaste son propre frère (A. de R. 232). Leur taille, leurs traits étaient parfaitement semblables; personne ne soupçonna la fraude, et Orospaste régna sous le nom de Smerdis. Cette substitution fut d'autant plus ignorée, que chez les Perses il est de la majesté des rois de ne se montrer jamais en public. Les mages, pour se concilier la faveur du peuple, lui accordèrent la remise des impôts pendant trois ans et l'exemption du service militaire, cherchant à affermir par la douceur et par des libéralités l'usurpation d'Orospaste. Otane, homme d'une haute naissance et d'une grande sagacité, conçut le premier des soupçons. Il fit demander à sa fille, l'une des concubines du roi, s'il était bien le fils de Cyrus ; elle répondit qu'elle l'ignorait, et qu'étant renfermées toutes dans des appartements séparés, elle ne pouvait l'apprendre d'aucune de ses compagnes. Il lui recommande alors de porter la main aux oreilles du prince, pendant qu'il dormirait; car Cambyse avait fait couper celles du mage. Instruit de la vérité par sa fille, Otane assemble les grands, et leur fait jurer la mort de l'imposteur. Les conspirateurs n'étaient qu'au Smerdim regnaturum. Quo somnio exterritus, non dubitavit post sacrilegia etiam parricidium facere Erat enim difficile, ut parceret suis, qui, cum contemptu religionis, grassatus etiam adversus deos fuerat! Ad hoc tam crudele ministerium, Magum quemdam ex amicis delegit, nomine Prexaspem. Interim ipse, gladio sua sponte evaginato, in femore graviter vulneratus, occubuit; pœnasque luit, seu imperati parricidii, seu sacrilegii perpetrati. Quo nuntio accepto, Magus ante famam amissi regis occupat facinus, prostratoque Smerde, cui regnum debebatur, fratrem suum subjecit Orospasten. Erat enim et oris et corporis lineamentis persimilis; ac nemine subesse dolum arbitrante, pro Smerde rex Orospasta constituitur. Quæ res eo occultior fuit, quod apud Persas persona regis sub specie majestatis occulitur. Igitur Magi, ad favorem populi conciliandum, tributa et militiæ vacationem in triennium remittunt; ut regnum, quod fraude quæsierant, indulgentia et largitionibus confirmarent. Quæ res suspecta primo Otani viro nobili, et in conjecturis sagacissimo, fuit. Itaque per internuntios quærit de filia, quæ inter regias pellices erat, an Cyri regius filius rex esset. Illa, « Nec se ipsam scire, ait, nec de alia posse cognoscere: quia singulæ separatim recludantur. >> Tum pertractare dormienti caput jubet; nam Mago Cambyses aures utrasque præciderat. Factus deinde per filiam certior, sine auribus regem esse, optimatibus Persa. nombre de sept. Pour prévenir les remords et les indiscrétions, ils courent aussitôt au palais, ayant chacun un poignard sous leur robe. Ils tuent les premiers qu'ils rencontrent, pénètrent jusqu'aux mages, qui mettent l'épée à la main, se défendent courageusement; mais ils cèdent au nombre, après avoir tué deux des conjurés. Gobryas en saisit un par le milieu du corps; et, comme ses complices hésitaient à cause de l'obscurité, il leur ordonne de frapper toujours, dutil être percé à la place du mage. Mais, par un heureux hasard, le glaive atteint le mage, sans blesser Gobryas. X. Si les meurtriers eurent la gloire de reconquérir le trône en renversant des usurpateurs (A. de R. 233), ils eurent la gloire bien plus grande de ne pas se diviser après le succès, et malgré les prétentions que chacun d'eux pouvait avoir à la couronne. Leurs vertus, leur noblesse étaient si complétement égales, que cette égalité même rendait le choix du peuple difficile. Ils imaginèrent un expédient, et résolurent de s'en remettre à la religion et à la fortune du soin de décider entre eux. Ils convinrent de se rendre de grand matin et à cheval, au jour indiqué, devant le palais, et de reconnaître pour roi celui dont le cheval hennirait le premier au lever du soleil. Le soleil est le seul dieu adoré par les Perses, et les chevaux lui sont consacrés. Au nombre des conjurés était Darius, fils d'Hystaspe. Son écuyer, qui le voit inquiet, l'assure que si la victoire ne tient qu'à cette épreuve, il lui répond du succès. La veille du jour, il mène, pendant la nuit, le cheval de son maître au lieu qu'on avait fixé, lui livre une cavale, persuadé que la nature pro rum rem indicat, et in cædem falsi regis impulsos, sacramenti religione obstringit. Septem tantum conscii fuere hujus conjurationis: qui ex continenti, ne, dato in pœnitentiam spatio, res per quemquam narraretur, occultato sub veste ferro, ad regiam pergunt. Ibi obviis interfectis, ad Magos perveniunt: quibus ne ipsis quidem animus in auxiJium sui defuit : siquidem stricto ferro duos de conjuratis interficiunt. Ipsi tamen corripiuntur a pluribus : quorum alterum Gobryas medium amplexus, cunctantibus sociis, ne ipsum pro Mago transfoderent, quia res obscuro loco gerebatur, vel per suum corpus adigi Mago ferrum jussit : fortuna tamen ita regente, illo incolumi Magus interficitur. X. Occisis Magis, magna quidem gloria recepti regni principium fuit; sed multo major in eo, quod, quum de regno ambigerent, concordare potuerunt. Erant enim virtute et nobilitate ita pares, ut difficilem ex his populo electionem æqualitas faceret. Ipsi igitur viam invenerunt, qua de se judicium religioni et fortunæ committerent. Pactique inter se sunt, ut die statuta omnes equos ante regiam primo mane perducerent: et cujus equus inter Solis ortum hinnitum primus edidisset, is rex esset. Nam et Solem Persæ unum deum esse credunt; et equos eidem deo sacratos ferunt. Erat inter conjuratos Darius, Hystaspis filius: cui de regno sollicito equi custos ait : « Si ea res victoriam moraretur, nihil negotii superesse.» Per noctem deinde equum, voquerait elle-même ce qui arriva en effet. Le lendemain, à l'heure convenue, et tous étant réunis, le cheval de Darius, qui reconnaît la place, hennit de regret de la cavale absente; et, tandis que les autres chevaux restent muets, il donna le signal de la fortune de son maître. Telle fut la modération des concurrents de Darius, qu'ils mirent pied à terre et le saluèrent roi : le peuple entier suivit leur exemple, et confirma cette royauté. C'est ainsi que l'empire de la Perse, recouvré par la valeur de sept des personnages les plus illustres de l'État, fut conféré à un seul par une circonstance aussi frivole. Il est presque incroyable qu'ils aient cédé avec tant de résignation un trône qu'ils venaient, au péril de leur vie, d'arracher aux mages; mais Darius en était digne par sa noblesse et par sa figure, autant que par son courage et son origine. II descendait des anciens monarques de la Perse. Dès le commencement de son règne, il épousa la fille de Cyrus, afin de consolider son pouvoir par une alliance royale, et pour que le sceptre semblât moins passer à un étranger que rentrer dans la famille de Cyrus. Au bout de quelque temps, les Assyriens se révoltèrent, et s'emparèrent de Babylone. Il était difficile de reprendre cette ville, et Darius en témoignait vivement ses inquiétudes, lorsque Zopyre, l'un des assassins des mages, s'étant fait déchirer chez lui le corps à coups de fouet, couper le nez, les lèvres et les oreilles, parut inopinément devant Darius. Le roi, étonné, lui demande la cause et l'auteur de cette horrible mutilation. Zopyre l'instruit du but qu'il s'est proposé, et, après s'être concerté avec lui, se dirige vers Babylone comme un transfuge. pridie constitutam diem, ad eundem locum ducit, ibique equæ admittit, ratus, ex voluptate Veneris futurum, quod evenit. Postera die itaque, quum ad statutam horam omnes convenissent, Darii equus, cognito loco, ex desiderio feminæ hinnitum statim edidit; et, segnibus aliis, felix auspicium domino primus emisit. Tanta moderatio cæteris fuit, audito auspicio, ut confestim equis desilierint, et Darium regem salutaverint. Populus quoque universus, sequutus judicium principum, eumdem regem constituit. Sic regnum Persarum, septem nobilissimorum virorum virtute quæsitum, tam levi momento in unum collatum est. Incredibile prorsus, tanta patientia cessisse eo, quod ut eriperent Magis, mori non recusaverint. Quamquam præter formam virtutemque hoc imperio dignam, etiam cognatio Dario juneta cum pristinis regibus fuit. Principio igitur regni, Cyri [regis] filiam in matrimonium recepit, regalibus nuptiis regnum firmaturus: ut non tam in extraneum translatum, quam in familiam Cyri reversum videretur. In terjecto deinde tempore, quum Assyrii descivissent et Babyloniam occupassent, difficilisque urbis expu gnatio esset; æstuante rege, unus de interfectoribus Magorum, Zopyrus domi se verberibus lacerari toto corpore jubet: nasum, aures et labia sibi præcidi; atque ita regi inopinanti se offert. Altonitum, et quærentem Darium causas, auctoremque tam fædæ lacerationis, tacitus,quo proposito fecerit, Il montre aux Babyloniens son corps déchiré, et se plaint de la cruauté du roi, qui l'a emporté sur lui dans leur candidature au trône, non par son courage, mais par le hasard ; non par la voix des hommes, mais par le hennissement d'un cheval il fait voir ce que des ennemis doivent attendre d'un roi qui traite ainsi ses amis; il les exhorte à compter moins sur leurs remparts que sur leurs armes, et à profiter des premiers transports de son ressentiment pour combattre avec lui. La noblesse de Zopyre et sa valeur étaient connues de tous; on ne pouvait douter de sa bonne foi, qu'attestaient à la fois et les plaies de son corps, et l'infamie de son outrage. D'une voix unanime, on lui donne le commandement. Il se met d'abord à la tête de quelques troupes, avec lesquelles il fait deux sorties heureuses, les Perses ayant reculé deux fois à dessein; enfin on lui confie l'armée entière, qu'il livre à Darius, ainsi que la ville. Après cette expédition, Darius porta la guerre chez les Scythes, comme on le verra au livre suivant. LIVRE II. le plus distingué. Le peuple scythe a toujours élé regardé comme le plus ancien de la terre, quoique les Égyptiens lui aient longtemps disputé ce titre. Ceux-ci prétendaient qu'au commencement du monde la plupart des pays étaient ou brûlés par les ardeurs du soleil, ou glacés par un froid rigoureux; que, loin d'avoir été le berceau du genre humain, ils ne pouvaient ni recevoir des colons, ni les conserver, avant qu'on n'eût inventé les vêtements pour se garantir du chaud et du froid, ou que l'art n'eût corrigé les influences pernicieuses du climat. Le ciel de l'Égypte, au contraire, avait toujours été si tempéré, que ses habitants n'avaient à souffrir ni des feux de l'été, ni des rigueurs de l'hiver; et telle était la fertilité du sol, que jamais contrée ne produisit avec plus d'abondance tous les aliments nécessaires à l'homme. On avait donc raison de penser que les hommes étaient nés là où ils avaient trouvé le plus facilement de quoi subvenir à leurs besoins. Les Scythes répondaient que la douceur du ciel n'était pas une preuve d'antiquité; que la nature, en distribuant la chaleur et le froid dans les diverses contrées, y avait placé des êtres capables de les supporter, comme elle varie sa 1. Pour retracer les grandes actions des Scy-gement, suivant la condition des climats, les thes, il faut remonter jusqu'à leur origine, laquelle ne fut pas moins brillante que leur empire; chez eux, les femmes ne furent pas moins guerrières que les hommes. Si ceux-ci ont fondé l'empire des Parthes et des Bactriens, celles-là ont fondé le royaume des Amazones; de sorte que, si l'on considérait les hauts faits des hommes et des femmes, on ne saurait dire lequel des deux sexes s'est edocet; formatoque in futura consilio, transfugæ titulo Babyloniam proficiscitur. Ibi ostendit populo laniatum corpus queritur crudelitatem regis, a quo in regni petitione, non virtute, sed auspicio; non judicio hominum, sed hinnitu equi superatus sit : jubet illos ex amicis exem. plum capere, quid hostibus cavendum sit hortatur, ne moenibus magis quam armis confidant, patianturque se commune bellum recentiore ira gerere. Nota nobilitas viri pariter et virtus omnibus erant: nec de fide timebant, cujus veluti pignora, vulnera corporis et injuriæ notas habebant. Constituitur ergo dux omnium suffragie: et accepta parva manu, semel atque iterum cedentibus consulto Persis, secunda prælia facit. Ad postremum universum sibi creditum exercitum Dario prodit, urbemque ipsam in potestatem ejus redigit. Post hæc Darius bellum Scythis infert, quod sequenti volumine referetur. LIBER II. I. In relatione rerum a Scythis gestarum, quæ satis amplæ magnificæque fuerunt, principium ab origine repetendum est. Non enim minus illustria initia, quam imperium habuere : nec virorum imperio magis, quam feminarum virtutibus claruere quippe quum ipsi Parthos Bactrianosque, feminæ autem eorum Amazonum regna produits de la végétation. Si le pays des Scythes est plus froid que celui de l'Egypte, les Scythes ont aussi le corps et l'esprit plus vigoureux. D'ailleurs, si la terre, aujourd'hui divisée, ne formait autrefois qu'un seul tout, soit qu'une masse d'eau en ait d'abord inondé la surface, soit que le feu, principe de l'univers, l'ait occupée tout entière, cela prouverait toujours l'antiquité des condiderint: prorsus ut res gestas virorum mulierumque considerantibus incertum sit, uter apud eos sexus illustrior fuerit. Scytharum gens antiquissima semper habita : quanquam inter Scythas et Ægyptios diu contentio de generis vetustate fuit: Ægyptiis prædicantibus, « Initio rerum, quum aliæ terræ nimio fervore solis arderent, alia rigerent frigoris immanitate, ita ut non modo primæ generare homines, sed ne advenas quidem recipere ac tueri possent, priusquam adversus calorem vel frigus velamenta corporis invenirentur, vel locorum vitia, quæsitis arte remediis mollirentur: Ægyptum ita temperatam semper fuisse, ut neque hyberna frigora, nec æstivi solis ardores incolas ejus premerent; solum ita fœcundum, ut alimentorum in usus hominum nulla terra feracior fuerit. Jure igitur ibi primum homines natos videri debere, ubi educari facillime possent. » Contra, Scythæ cœli temperamentum nullum esse vetustatis argumentum putabant : ‹ Quippe naturam, quum primum incrementa caloris ac frigoris regionibus distinxit, statim ad locorum patientiam animalia quæque generasse: sed et arborum atque frugum, pro regionum conditione, apte genera variata. Et quanto Scythis sit cœlum asperius quam Egyptiis, tanto et corpora et ingenia esse duriora. Cæterum si mundi, quæ nunc partes sunt, aliquando unitas fuit; sive illuvies aquarum principio rerum terras obrutas tenuit: sive ignis, qui et mundum genuit, cuncta possedit, utriusque primordii Scythes. En effet, si le feu a diminué et s'est éteint peu à peu pour faire place à la terre, les pays septentrionaux en ont été affranchis plus tôt que les autres par l'invasion du froid, puisque, aujourd'hui même, le nord est la partie du monde la plus froide. Au contraire, l'Égypte et tout l'Orient, où l'ardeur du soleil est encore excessive, n'ont reçu que plus tard les bienfaits d'une température modérée. Mais si la terre a été entièrement submergée autrefois, ses parties les plus hautes ont dû être desséchées des premières lors de l'écoulement des eaux, et les eaux ont dû séjourner longtemps dans les parties basses donc la contrée desséchée la première avait dû la première aussi se couvrir d'êtres animés. La Scythie est si évidemment la région la plus élevée du monde, que tous les fleuves sortis de son sein vont se décharger dans les PalusMéotides, et de là dans la mer du Pont et de l'Égypte. L'Égypte, que tant de rois se sont appliqués, depuis tant de siècles et au prix de sommes immenses, à fortifier et à défendre par d'énormes digues; l'Égypte, coupée par tant de fossés destinés à recevoir les eaux que les digues ont refoulées, et qui ne peut souffrir de culture qu'après la retraite du Nil, ne saurait passer pour la plus ancienne région habitée, puisque les digues élevées par ses rois, le limon que le fleuve charie; semblent prouver son peu d'ancienneté. Ces arguments, plus solides que ceux des Égyptiens, ont toujours fait regarder les Scythes comme le plus ancien des deux peuples. Sa longueur et sa largeur sont considérables. Ses habitants ne cultivent point la terre; leurs champs n'y sont point séparés par des limites. Ils n'ont ni maisons, ni cabanes, ni demeures fixes; ils errent sans cesse avec leurs troupeaux au travers des solitudes incultes; ils traînent avec eux leurs femmes et leurs enfants dans des chariots couverts de cuirs, qui les préservent du froid et de la pluie, et leur servent de maisons. La nature les a faits justes, et non les lois. Le vol est, à leurs yeux, le plus grand des crimes; car, n'ayant que des troupeaux sans abri, sans clôture, que leur resterait-il, si le vol était permis? Ils méprisent l'or et l'argent autant que les autres hommes les convoitent. Le lait et le miel composent toute leur nourriture; l'usage de la laine et de nos vêtements leur est inconnu, et, quoique exposés à un froid continuel, ils n'opposent que des peaux de bêtes fauves à la rigueur du climat. Cette simplicité de mœurs contribue à les rendre justes et peu jaloux du bien d'autrui, car la cupidité suit l'usage des richesses. Plût aux Dieux que le reste des hommes eût la même modération, le même désintéressement! le monde ne serait pas l'éternel théâtre de tant de guerres; les combats et le fer moissonneraient moins d'êtres vivants que la loi de la nature. Admirable spectacle que celui d'un peuple possédant instinctivement les vertus que les doctrines des sages, les maximes des philosophes n'ont pu donner à la Grèce, et la supériorité de leurs mœurs incultes sur notre civilisation! Tant il est vrai que les Scythes ont plus gagné II. La Scythie s'étend vers l'Orient. Bor-à ignorer le vice, que les Grecs à connaître la née d'un côté par le Pont, de l'autre par les monts Riphées, elle est adossée à l'Asie et au Phase. Scythas origine præstare. Nam si ignis prima possessio rerum fuit, qui paulatim exstinctus, sedem terris dedit; nullam prius, quam septemtrionalem partem, hyemis rigore ab igne secretam adeo ut, nunc quoque, nulla magis rigeat frigoribus. Ægyptum vero et totum Orientem tardissime temperatum : quippe qui etiam nunc torrenti calore solis exæstuet. Quod si omnes quondam terræ submersæ profundo fuerunt, profecto editissimam quamque partem, decurrentibus aquis, primum detectam ; humillimo autem solo eamdem aquam diutissime immoratam : et quanto prior quæque pars terrarum siccata sit, tanto prius animalia generare cœpisse. Porro Scythiam adeo editiorem omnibus terris esse, ut cuncta flumina ibi nata, in Mæotim, tum deinde in Ponticum et Ægyptium mare decurrant. Ægyptum autem, quæ tot regum, tot sæculorum cura impensaque munita sit, et adversus vim incurrentium aquarum tantis structa molibus, tot fossis concisa, ut, quum his arceantur, illis recipiantur aquæ, nihilominus coli, nisi excluso Nilo, non potuerit, non posse videri hominum vetustate ultimam, quæ sive exag. gerationibus regum, sive Nili trahentis limum terrarum recentissima videatur. » His igitur argumentis superatis Egyptiis, antiquiores semper Scythæ visi. II. Scythia autem in Orientem porrecta, includitur ab uno latere Ponto, ab altero montibus Rhipæis a tergo Asia et Phasi flumine. Multum in longitudinem et latitu vertu! III. Trois fois les Scythes ont conquis l'A dinem patet. Hominibus inter se nulli fines: neque enim agrum exercent: nec domus illis ulla, aut tectum, aut sedes est, armenta et pecora semper pascentibus, et per incultas solitudines errare solitis. Uxores liberosque secum in plaustris vehunt, quibus, coriis imbrium hyemisque causa tectis, pro domibus utuntur. Justitia gentis ingeniis culta, non legibus. Nullum scelus apud eos furto gravius quippe sine tecto munimentoque pecora et armenta inter sylvas habentibus quid salvum esset, si furari liceret? Aurum et argentum perinde aspernantur, ac reliqui mortales appetunt. Lacte et melle vescuntur. Lanæ iis usus ac vestium ignotus : quanquam continuis frigoribus urantur; pellibus tamen ferinis aut murinis utuntur. Hæc continentia illis morum quoque justitiam edidit, nihil alienum concupiscentibus. Quippe ibidem divitiarum cupido est, ubi et usus. Atque utinam reliquis mortalibus similis moderatio, et abstinentia alieni foret! profecto non tantum bellorum per omnia sæcula terris omnibus continuaretur; neque plus hominum ferrum et arma, quam naturalis fatorum conditio raperet. Prorsus ut admirabile videatur, hoc illis naturam dare, quod Græci longa sapientium doctrina, præceptisque philosophorum consequi nequeunt; cultosque mores incultæ barbariæ collatione superari. Tanto plus in illis proficit vitiorum ignoratio, quam in his cognitio virtutis! III. Imperium Asia ter quæsivere: ipsi perpetuo ab sie. Ils n'ont jamais subi la domination étrangère. I fruit de leur victoire que comme un monument de Ils ont toujours été respectés par leurs voisins, ou les ont toujours vaincus. Ils chassèrent honteusement de leur pays Darius, roi des Perses, massacrèrent Cyrus et toute son armée, et battirent Zopyrion, lieutenant d'Alexandre le Grand avec toutes ses troupes. Ils entendirent parler des Romains, sans éprouver leur puissance. Ils sont enfin les fondateurs de l'empire des Parthes et des Bactriens. Durs aux fatigues, habitués aux combats, d'une constitution robuste, ils négligent ce qu'ils craignent de perdre, et, vainqueurs, ils se contentent de la gloire. Sésostris, roi d'Égypte, fut le premier qui leur déclara la guerre. Il leur envoya d'abord des ambassadeurs pour les sommer de lui obéir. Mais, déjà instruits par leurs voisins de l'approche de l'ennemi, ils répondirent aux ambassadeurs que « le chef d'une nation si riche était bien insensé << de venir combattre une nation pauvre, lorsqu'il devait avoir plus à craindre que les autres, « étant plus riche qu'eux; que les chances de la « guerre étaient douteuses, les profits de la vic«< toire nuls, et les dangers manifestes; que pour a eux, ils n'attendraient pas, puisqu'ils pouvaient << espérer de si riches dépouilles, que l'ennemi <«<entrât sur leurs terres ; qu'ils marcheraient au« devant du butin qui s'offrait gratuitement à « eux. » L'effet suit bientôt la menace. Informé de leur course rapide, le roi prend la fuite, abandonne ses troupes et ses bagages, et se réfugie en tremblant dans ses États. Les Scythes, que des marais empêchent de pénétrer en Égypte, reviennent sur leurs pas, soumettent l'Asie et lui imposent un tribut modique, moins comme un alieno imperio aut intacti, aut invicti mansere. Darium, regem Persarum, turpi ab Scythia submoverunt fuga : Cyrum cum omni exercitu trucidaverunt : Alexandri Magni ducem Zopyriona pari ratione cum copiis universis deleverunt Romanorum audivere, non sensere arma. Parthicum et Bactrianum imperium ipsi condiderunt. Gens laboribus et bellis aspera: vires corporum immensæ : nihil parare, quod amittere timeant: nihil victores præter gloriam concupiscunt. Primus Scythis bellum indixit Sesostris rex Ægyptius, missis primo lenonibus, qui hostibus parendi legem dicerent. Sed Scythæ jam ante de adventu regis a finitimis certiores facti, legatis respondent : « Tam opulenti populi ducem stolide adversus inopes occupasse bellum, quod magis domi fuerit illi timen-. dum : quod belli certamen anceps, præmia victoriæ nulla, damna manifesta sint. Igitur non exspectaturos Scythas dum ad se veniatur, quum tanto sibi plura in hoste concupiscenda sint; ultroque prædæ ituros obviam. » Nec dicta res morala : ques quum tanta celeritate venire rex addidicisset, in fugam vertitur, exercituque cum omni apparatu belli relicte, in regnum trepidus se recepit. Scythas ab Egypto paiudes prohibuere inde reversi, Asiam perdomitam vectigalem fecere, modico tributo, magis in titulum imperii, quam in victoriæ præmium, imposito. Quindecim annis pacandæ Asia immorati, : leur puissance. Après avoir occupé l'Asie pendant quinze ans et l'avoir pacifiée, ils sont rappelés par les prières de leurs femmes, résolues, s'ils tardent à venir, de chercher d'autres époux chez les peuples voisins, afin de ne pas laisser s'éteindre par leur faute la nation des Scythes. Pendant quinze cents ans l'Asie paya le tribut. Ce fut Ninus, roi d'Assyrie, qui l'en affranchit (A. du M. 1808). IV. Vers le même temps à peu près, deux princes scythes, Ylinos et Scolopitus, chassés de leur pays par la faction des grands, entraînèrent dans leur retraite une partie de la jeunesse. Ils s'arrêtèrent sur les confins de la Cappadoce, près du fleuve Thermodon, et s'emparèrent des plaines de Thémiscyre, situées le long de ce fleuve. Ils y vécurent pendant plusieurs années des dépouilles des peuples voisins. Mais ceux-ci se liguèrent contre eux, les surprirent et les massacrèrent. Leurs femmes se voyant désormais vouées au veuvage et à l'exil, prennent les armes, éloignent d'abord l'ennemi des frontières, et l'attaquent bientôt jusque chez lui. Elles renoncent au mariage, qu'elles appellent une servitude, et, avec une audace dont l'histoire n'offre pas d'exemple, elles agrandissent leur empire sans le secours des hommes, et le défendent en les méprisant. Pour prévenir toute jalousie, elles tuent le peu d'hommes qui restaient encore, et vengent par la destruction de leurs voisins le massacre de leurs maris. Ayant acquis la paix par la force des armes, elles invitent au partage de leurs lits les peuples voisins, pour perpétuer leur race; elles tuent tous les enfants mâles, et élèvent les filles à leur manière, non dans l'oisiveté ou dans les uxorum flagitatione revocantur, per legatos denuntiantium: « Ni redeant, sobolem se e finitimis quæsituras, nec passuras, ut in posteritatem Scytharum genus per feminas intercidat. » His igitur Asia per mille quingentos annos vectigalis fuit. Pendendi tributi finem Ninus, rex Assyriorum, imposuit. IV. Sed apud Scythas medio tempore duo regii juvenes, Ylinos et Scolopitus, per factionem optimatum domo pulsi, ingentem juventutem secum traxere; et in Cappadociæ ora, juxta amnem Thermodonta consederunt, subjectosque Themiscyrios campos occupavere. Ibi per multos annos spoliare finitimos assueti, conspiratione po pulorum per insidias trucidantur. Horum uxores, quum viderent exsilio additam orbitatem, arma sumunt; finesque suos, submoventes primo, mox etiam inferentes bella, defendunt. Nubendi quoque finitimis animum omisere, servitutem, non matrimonium appellantes. Singulare omnium sæculorum exemplum ausæ, auxere rempubli cam sine viris: jam etiam cum contemptu virorum se tuentur. Et ne feliciores aliæ aliis viderentur, viros qui domi remanserant interficiunt. Ultionem quoque casorum conjugum excidio finitimorum consequuntur. Tum pace armis quæsita, ne genus interiret, concubitum finitimo. rum incunt. Si qui mares nascerentur, interficiebant. Vir. gines in eumdem ipsis morem, non otio, neque lanificio, |