36. Et, pour qu'il y ait mauvaise foi de la part du dénon- | ciateur, il ne suffit pas qu'il ait agi légèrement et sur des indices insuffisants, il faut qu'il ait su que sa dénonciation était sans fon- | dement (V. ff., L. 133, De verb. signif.). - Car il ne s'agit pas ici de la volonté de porter préjudice à la personne dénoncée, puisque cette volonté est légitime lorsque les faits imputés existent et constituent un crime ou délit, la loi faisant elle-même un devoir civique de la dénonciation. Ce que la loi réprime ici, c'est la volonté de nuire par la dénonciation, avec la conscience que le fait imputé est faux, et l'intention de faire porter une accusation sur une personne qu'on en sait innocente: Quandò quis sciens aut scire debens aliquem esse innocentem, proponit contrà eum accusatio chambre de discipline, après avoir inutilement appelé un de leurs confrères pour lui demander des explications sur des faits graves à lui imputés, l'ont dénoncé au procureur du roi, qui a fait instruire sur les faits reprochés, cette dénonciation ne peut pas ensuite servir de base à une plainte en calomnie, alors même que les faits ne seraient pas reconnus constants par le jugement intervenu (Rouen, 8 juill. 1818) (2). - Dans l'espèce, en effet, l'absence de méchanceté, d'intention de nuire, était évidente. Ainsil'acquittement ou l'absolution du dénoncé n'exclut pas la bonne foi du dénonciateur et ne transforme pas nécessairement la dénonciation en calomnie (Conf. Crim. rej., 30 déc. 1813, aff. Régnier). 39. Le prévenu de dénonciations calomnieuses contre un nem aut querelam. - Ainsi, celui qui, par les renseignements | maire, consignées dans des lettres adressées au préfet, ne peut, qu'il fournit, provoque méchamment et calomnieusement les recherches de la justice contre quelqu'un, peut être condamné comme dénonciateur calomnieux (Crim. rej., 23 juill. 1813, aff. Adjacent, V. no 139). 37. On a décidé: 1o que la déclaration spontanée faite par une fille au procureur du roi, au moment d'être poursuivie pour infanticide, qu'elle est accouchée chez son amant, lequel s'est emparé de l'enfant dont elle n'a plus connu le sort, a pu être considérée, d'après l'appréciation souveraine des faits, n'avoir pas, à l'égard de cet amant, le caractère de dénonciation calomnieuse exigé pour l'application de l'art 373 (Crim. rej., 15 mars 1844) (1); - 2o Qu'il n'y a point délit de dénonciation calomnieuse dans le fait d'un maître de maison qui, soupçonnant de vol un ouvrier travaillant chez lui à la journée, se borne à faire part, au procureur du roi et au commissaire de police, de ses soupçons reconnus depuis dénués de fondement, et même de dans la poursuite correctionnelle à la requête du ministère public, exciper, comme représailles, de la circonstance que ce maire, en cette qualité, l'aurait dénoncé lui-même (c. pén. 327; Nimes, 27 nov. 1829, aff. Roux, no 102-3°). 40. Que la dénonciation soit forcée ou obligatoire pour la personne qui l'a faite, peu importe: du moment qu'elle est calomnieuse, le délit existe. Par exemple, l'art. 29 c. inst. crim. fait un devoir à tout fonctionnaire ou officier public de donner avis sur le champ à l'autorité judiciaire des crimes ou délits qui sont à leur connaissance; mais à la condition, bien entendu, de ne pas agir méchamment ni de mauvaise foi. - Jugé en ce sens que, bien que l'art. 358 c. inst. crim. porte qu'il ne peut être réclamé des réparations civiles contre les membres de l'autorité., à raison des délits qu'ils ont dénoncés dans l'exercice de leurs fonctions, cet article ne fait pas obstacle à ce que, si la dénonciation est calomnieuse dans le sens de l'art. 373 c. pén., il y ait vraisemblance, si l'expression de ces soupçons n'a pas été faite | lieu, soit à la plainte directe de la part de la partie civile, soit 41. C'est d'après le même principe qu'il a été décidé, avant | la loi de 1852, abolitive des articles du code pénal sur la révéla méchamment et avec l'intention de nuire; partant les tribunaux correctionnels sont incompétents pour connaître de l'action en réparation intentée de ce chef (Bruxelles, 4° ch., 14 fév. 1839, aff. X...) 38. En ce qui touche la question de bonne foi, il a été jugé que lorsque des commissaires-priseurs, légalement formés en avait fait ou suscité cette dénonciation; qu'il suit de là qu'en décidant, par son jugement attaqué, d'après le résultat de l'instruction du procès qu'il n'était aucunement prouvé que la plainte faite par Joly père et fils contre la maréchaussée de...., constituat une dénonciation calomnieuse (chose qui entrait souverainement dans ses attributions), et en déclarant par suite ledit P... non coupable à raison de cette dénonciation, le tribunal de Mons n'a point violé la chose jugée ni aucun texte de loi; et par une conséquence ultérieure, le ministère public ne saurait être fondé contre le prédit défendeur; En ce qui concerne B... : -Attendu que la lettre signée par ledit B..., et insérée dans le journal intitulé le Vrai libéral, sous la date du 22 juin 1821, no 173, ne saurait être envisagée, sous aucun rapport, comme n'étant qu'une répétition de la plainte prérappelée, puisqu'elle est évidemment toute différente, tant sous le rapport des faits qu'elle contient et de leur gravité, que sous le rapport du style dans lequel elle est rédigée, et du mode de porter les faits imputés à la connaissance de l'autorité; - Attendu que l'art. 367 c. pén. déclare coupable du délit de calomnie celui qui, dans un écrit imprimé, qui aura été vendu ou dis tribué, aura imputé à un individu quelconque des faits faux, qui, s'ils ex istaient, exposeraient celui contre lequel ils sont articulés, à des pour su ites criminelles ou correctionnelles, ou seulement au mépris ou à la ha ine des citoyens; qu'il résulte du texte de cet article et de l'esprit dans le quel il a été rédigé, que toute imputation qui réunit ces caractères emparte avec elle, de la part de l'auteur, intention de calomnier, et constitue par eile-même le délit de calomnie; - Que conséquemment le tribunal de Mons n'avait point, dans l'espèce, à s'occuper de la question intentionnelle, et qu'en déclarant, par son jugement attaqué, le défendeur non coupable du délit de calomnie, sur le motif qu'il n'y ait point eu de sa part l'intention de nuire à ceux qu'il avait désignés dans sa lettre susdite, il a ouvertement violé l'art. 367 prémentionné; - Par ces motifs, rejette à l'égard de P...; - Casse et annule pour ce qui concerne B..., etc. Du 13 nov. 1822.-C. sup. de Bruxelles.-MM. Wautelée, 1er pr. (1) (Bonamour C. min. pub.) - LA COUR; - Attendu que, pour être calomnieuse et rendre son auteur passible des peines édictées par l'art. 373 c. pén., la dénonciation doit avoir été faite de mauvaise foi, dans le but unique de satisfaire de mauvaises passions et de nuire à autrui; Attendu que l'appréciation de ce caractère de la dénonciation, qui tient à l'examen, à la recherche de l'intention du dénonciateur, est exclusivement dans le domaine du juge du fait, jouissant, à cet égard, de la même latitude qui lui est laissée pour l'appréciation et le jugement de tout autre délit; - Attendu qu'il est dit, dans le jugement attaqué, que la ténonciation n'a pas été dans un intérêt de haine et de méchanceté à l'action publique de la part du ministère public contre le membre de l'autorité, et, par exemple, contre le président d'un tribunal qui, prétendant agir dans les limites de la surveillance dont il est investi, aurait, de mauvaise foi, dénoncé des faits faux contre des fonctionnaires (Crim. cass., 12 mai 1827; Crim. rej., 22 déc. 1827) (3). contre Bonamour, ce qui suffit pour justifier la décision qui a déclaré Bonamour mal fondé dans sa demande; - Par ces seuls motifs, et sans approuver les autres motifs consignés dans le jugement attaqué; - Rejette. Du 15 mars 1844.-C. C., ch. crim.-M. Romiguières, rap. Consi (2) (Commis.-pris. de Rouen C. Blanpain.) - LA COUR; dérant que les commisseurs-priseurs de Rouen, légalement formés en chambre de discipline et placés sous la surveillance spéciale du procureur du roi près le tribunal de première instance, ont pu, sans intention criminelle, après avoir inutilement appelé devant eux le sieur Blanpain, lear confrère, pour entrer en explication sur les faits de prévarication qu'ils croyaient avoir à lui reprocher dans l'exercice de ses fonctions, les déférer à la censure du ministère public; que, si ces faits, ainsi portés à la connaissance du procureur du roi et par lui dénoncés au juge d'instruction, n'ont pas présenté à la chambre du conseil, après l'information, le caractère d'un crime ou d'un délit, il n'en est pas moins vrai qu'originairement, et lorsque Blanpain se refusait à toute explication devant la chambre de discipline, il était difficile de ne pas apercevoir des apparences plus ou moins graves d'irrégularité, même de prévarication; qu'ainsi on ne peut dire que les commissaires-priseurs, dans la conduite desquels le tribunal correctionnel a reconnu lui-même des circonstances atténuantes, aient agi dans l'intention criminelle de calomnier le sieur Blanpain; Considérant, au surplus, que, soit par des motifs d'intérêt personnel dans l'exercice de leurs fonctions, soit par excès d'aigreur dans le cours du procès, les parties ont eu quelques torts réciproques; - Met l'appel au néant; corrigeant et réformant; - Met les parties hors de cour. Du 8 juill. 1818.-C. de Rouen. président du tribunal de Vervins, avait adressé au garde des sceaux ua (3) Espèce: - (Marcadier, etc. C. Beuret, etc.) - M. Marcadier, mémoire contenant des imputations contre MM. Beuret, juge de paix, ed Cadot, notaire. Son excellence, ayant trouvé les faits faux, a renvoyé la dénonciation à la cour d'Amiens, avec injonction de poursuivre. M. Marcadier a été condamné par la cour à des peines disciplinaires. MM. Beuret et Cadot ayant eu connaissance de cette dénonciation or cité M. Marcadier devant la cour d'Amiens, qui, par arrêt du 26 fév. 1827, a déclaré M. Marcadier coupable de dénonciation calomnieuse; mais, attendu qu'il avait déjà été puni disciplinairement, a refusé de lui appliquer les peines portées par l'art. 373 c. pén., et néanmoins l'a condamné à des dommages-intérêts envers les parties civiles. Pourvoi de M. Marcadier et de M. le procureur général.-M. Marcadier a proposé plusieurs moyens. - 1o Violation de l'art. 373, en ce qu'il avait été condamné, comme calomniateur, à des réparations civiles, quoique les faits n'eussent préalablement été déclarés calomnieux par aucune autorité compétente; qu'en effet, l'arrêt de la cour royale, qui lavait censuré avec réprimande, n'avait point attribué aux faits ce caractère, et qu'il ne leur était donné que par le conseil d'administration du ministère de la justice, lequel n'était point un tribunal et n'avait aucune juridiction à cet effet. - 2o Violation de l'art. 367 c. pén., en ce qu'il a été déclaré coupable de dénonciation calomnieuse, quoiqu'il se fût borné à révéler des faits qu'il était dans l'ordre de ses devoirs de dénoncer.Il soutenait qu'une présomption d'innocence devait protéger le magistrat dans l'accomplissement de ce devoir pénible; que l'ordre social le voulait ainsi, et que, s'il arrivait qu'il n'eût obéi qu'à des passions personnelles, on devrait gémir sur une pareille conduite; mais qu'on n'aurait contre lui que des peines disciplinaires ou la prise à partie pour les intérêts de la partie civile; qu'enfin ce système résultait du deuxième alinéa de l'art. 367 c. pén., dont la première partie seule était modifiée par la loi du 17 mai 1819.-3° Violation de l'art. 358 c. inst. crim., en ce qu'il avait été condamné à des dommages-intérêts, quoique aucune peine n'eût été prononcée contre lui. - M. le procureur général reprochait à l'arrêt d'avoir violé l'art. 373 c. pén., et faussement appliqué la maxime non bis in idem. -Arrêt (ap. délib. en la ch. du cons.). LA COUR; - Vu les art. 367 et 373 c. pén., 558 c. inst. crim., 59 de la loi du 20 avr. 1810, et 26 de la loi du 17 mai 1819.- Statuant sur le pourvoi du président Marcadier; - Attendu, sur le premier moyen, que la dénonciation portée par Marcadier contre le juge de paix Beuret et le notaire Cadot, leur imputait des faits réprimés par les lois pénales, ou susceptibles au moins de les exposer à des mesures de discipline; - Que cette dénonciation a été adressée au ministre de la justice, dont ressortissent les juges de paix et les notaires, afin d'éclairer l'administration, de désabuser sa confiance trompée, et de provoquer les mesures de sévérité qui sont à sa disposition; qu'il est incontestable que le ministre saisi par cette dénonciation était compétent pour vérifier les faits articulés et pour en déclarer la fausseté; - Que, par ses décisions des 19 et 21 août dernier, le ministre de la justice a reconnu et déclaré que les faits imputés par le président Marcadier à Beuret et Cadot étaient faux; - Que, dès lors, il ne restait plus à la cour royale d'Amiens qu'à apprécier la moraLité de la dénonciation; à juger si elle avait été faite sans motifs légitimes, de mauvaise foi, et dans une intention coupable; - Que l'arrêt altaqué a fait cette appréciation; qu'il déclare positivement, qu'il résulte de l'instruction que Marcadier n'a point agi de bonne foi; qu'il n'a fait sa dénonciation que par méchanceté et pour satisfaire sa haine; - Qu'un arrêt de la même cour, en date du 16 novembre dernier, rendu à l'occasion de l'action disciplinaire exercée contre le président Marcadier, a également déclaré que la dénonciation a été faite méchamment et à dessein de nuire; d'où il suit que cette dénonciation réunit les caractères de criminalité prévus et punis par l'art. 373 c. pén. Attendu, sur le deuxième moyen, que l'art. 367 c. pén. a été abrogé par la loi du 17 mai 1819; que cet article, qui ne se rapportait qu'à la publicité donnée à certaines imputations, aurait été, d'ailleurs, sans application à l'espèce actuelle, où il s'agit d'une dénonciation calomnieuse, genre de délit puni par l'art. 373, et tout à fait distinct de celui que prévoyait l'art. 367; Que l'art. 358 c. inst. crim. ne se rapporte qu'aux réparations civiles que l'accusé acquitté peut réclamer contre ses dénonciateurs; que, s'il décide qu'il ne pourra en obtenir contre les membres des autorités constituées, a raison des avis qu'ils sont tenus de donner, concernant les délits dont ils ont cru acquérir la connaissance dans l'exercice de leurs fonctions, sauf contre eux la demande en prise à partie, s'il ya lieu, cette disposition n'exclut pas la voie de la plainte, et n'interdit point à la partie publique le droit de se pourvoir au nom de la société, dans le cas où les dénonciations faites par des membres des autorités constituées seraient calomnieuses dans le sens de l'art. 573 c. pén.; -Que les expressions de ce dernier article sont générales et n'admettent aucune exception; que les garanties que le législateur a jugé devoir accorder aux magistrats dans l'intérêt de l'État, sont déterminées par le chap. 3, tit. 4, liv. 2, c. inst. crim.; que ces garanties consistent dans le mode de la poursuite et du jugement des magistrats, et non dans l'impunité de l'abus qu'ils auraient fait de leurs fonctions; -Que le procureur général ayant jugé convenable de faire citer Marcadier, et d'user ainsi de la faculté que lui donnait l'art. 479 c. inst. crim., la cour royale d'Amiens a été régulièrement saisie de l'action publique, en répression du délit de dénonciation calomnieuse et de l'action en réparations civiles qui en était la conséquence; -Réjette les deux premiers moyens. Mais attendu, sur le troisième moyen, qu'après avoir déclaré que l'action publique n'était plus recevable, sous prétexte que la vindicte publique avait été satisfaite par les poursuites en discipline exercées contre Marcadier, l'arrêt attaqué l'a néanmoins condamné à des dommages-intérêts envers les parties civiles; -Qu'en ceia cet arrêt a violé le principo que l'action civile, placée sous la tutelle de l'action publique, ne peut, devant les tribunaux de répression, s'exercer sans son appui; - Que, s'étant dénié le droit de prononces contre le prévenu les peines portées dans l'art. 373 c. pén., la cour royale d'Amiens n'était plus compétente pour TOME XV. adjuger des dommages et intérêts qui ne pouvaient être que l'accessoire d'une condamnation pénale. Statuant sur le pourvoi du procureur général : -Attendu que la loi, en soumettant les magistrats de l'ordre judiciaire à une discipline spéciale, a eu pour objet, non de les soustraire à l'empire du droit commun, à raison des délits dont ils se rendraient coupables, mais de réprimer les infractions qu'ils pourraient se permettre aux devoirs de leur état, et certaines fautes dont elle ne demande pas compte aux autres citoyens;-Que l'action en discipline pouvant s'exercer pour des faits qui ne sont pas qualifiés par le code pénal, et étant d'ailleurs assujettie à des formes spéciales, les punitions qui en sont la suite ne sont point de véritables peines, et les décisions qui les prononcent ne sont pas de véritables jugements;-Que l'action en discipline, instituée pour maintenir, dans l'interét public, cette sévérité de délicatesse, cette dignité de caractère, cette intégrité de mœurs qui doivent toujours distinguer la magistrature, est indépendante de la vindicte publique, en matière criminelle, correctionnelle et de simple police, comme celle-ci est indépendante de l'action en discipline. Qu'en jugeant que l'une éteignait l'autre, l'arrêt allaqué a méconnu leur nature réciproque, et formellement violé l'art. 59 de la loi du 20 avr. 1810; -Joint les pourvois;-Casse. Du 12 mai 1827.-C. C., ch. crim.-Portalis, pr.-Mangin, rap. Sur le renvoi, la cour de Rouen, 1 ch.; a rendu, le 31 juill. 1827, un arrêt ainsi conçu: -«Attendu qu'en matière criminelle et correctionnelle les magistrats sont soumis aux mêmes épreuves que les autres citoyens: il n'y a de différence que dans la forme établie par l'art. 479 et suiv. c. inst. crim.; la loi a voulu que leurs délits fussent jugés par une autorité supérieure, pour rendre leur justification plus éclatante, ou leur punition plus exemplaire. Du reste, nulle différence dans les peines, sinon qu'en certaines circonstances elles sont pour eux plus aggravantes; ils sont, en outre, exposés à la prise à partie, à la forfaiture, aux corrections disciplinaires. Qu'on ne parle donc plus, dans ce procès, de l'impunité des magistrats! - La magistrature a accepté toutes les conditions que la loi lui impose, elle n'en récuse aucune; plusieurs des actions ouvertes contre elle sont sujettes à des règles spéciales; mais quand un juge, un administrateur est poursuivi, par voie criminelle ou correctionnelle, pour un fait de sa charge, il a incontestablement le droit de jouir, dans l'instruction et le jugement de son procès, de toutes les garanties de droit commun. Il y aura occasion de revenir sur ce point; il faut fixer préalablement les faits du procès; - Attendu qu'il résulte des plaidoiries que des dissentiments graves avaient établi la désunion entre les membres du tribunal de Vervins, principalement entre le président de ce tribunal et le procureur du roi, tant à l'occasion du procès Champion qu'à cause d'une censure d'un jugement attribuée au chef du parquet; que le président Marcadier a informé M. le premier président de la cour royale d'Amiens de ce facheux état de choses; qu'à la suite de sa correspondance avec ce magistrat, le président Marcadier lui a adressé un mémoire contenant une langue nomenclature d'abus et de prévarications qu'il imputait au sieur Delsart procureur du roi à Vervins; que, dans ce mémoire, il inculpait divers juges de paix et officiers publics du ressort, et chargeait notamment le juge de paix Beuret et le notaire Cadot de divers délits, dont il reprochait au procureur du roi de n'avoir pas fait la poursuite; que M. le premier président, qui avait informé Mgr le garde des sceaux de cette affaire, aurait rendu au président Marcadier son mémoire pour le présenter à S. G.; que ce mémoire était intitulé Mémoire confidentiel; que le ministre, vers lequel le président Marcadier s'était retiré, lui ayant fait observer qu'il ne pouvait le recevoir sous ce titre, le président Marcadier raya le mot confidentiel, lui substitua le mot officiel, et le déposa, en cel état, au secrétariat de la chancellerie; Que les documents du procès apprennent, d'ailleurs, que Mgr le garde des sceaux a fait faire une enquète ministérielle sur les faits contenus en la dénonciation du président Marcadier; que l'enquête a été soumise à l'examen du conseil d'administration établi près la chancellerie; que le résultat de cet examen a été de porter le conseil à reconnaître, par sa délibération du 16 août 1826, que la justification des fonctionnaires inculpés était complète; que les faits qui leur étaient imputés étaient faux et calomnieux, et a estimé qu'il y avait lieu de traduire le president Marcadier devant la cour royak d'Amiens, conformément à la loi du 20 avril 1810; que le ministre a ap prouvé, le 19 du même mois, l'avis de son conseil d'administration qu'en conséquence, et sur un ordre adressé par le ministre au procuret général, le président Marcadier a été cité, à la requête de ce magistrat, devant la cour royale d'Amiens, rovale toutes les chambres assemblées, pour fai de dénonciation calomnieuse, et que la cour royale, après avoir entende le président Marcadier dans sa défense, lui a, pour cette même cause, infligé, par arrêt du 16 nov. 1826, la peine de la censure avec répri mande; - Attendu que tout, jusqu'ici, est parfaitement régulier sous le rapport de l'exercice du pouvoir disciplinaire; il appartenait sans doute au garde des sceaux de France, chef de la magistrature, investi de la surveillance sur tous les membres de l'autorité judiciaire, premier moteur des actions répressives des crimes et délits tendant à la troubler, de faire vérifier les faits de la dénonciation dont il était saisi; 51 tion, que, quoique la révélation d'une fabrication ou émission | de fausse monnaie soit obligée, aux termes de l'art. 136 c. pén., » Attendu que, dès qu'il était résulté de l'enquête que le président Marcadier se trouvait chargé d'avoir fait une dénonciation calomnicuse, il appartenait encore à sa grandeur de déterminer l'action que le délit devait provoquer; il pouvait y avoir du doute entre l'action correctionnelle et l'action disciplinaire; le ministre veut être éclairé avant de donner à la poursuite sa direction légale; il s'entoure des lumières de son conseil d'administration; il prend une connaissance approfondie de l'affaire; elle ne lui présente pas le caractère d'un délit qualifié, mais d'un délit simple, par lequel le président Marcadier, dans l'exercice d'une fonction attribuée à sa qualité de chef de corps, a compromis la dignité de son caractère; il adopte l'action disciplinaire: ainsi il préjuge que ce n'est pas le cas de l'action correctionnelle; il préjuge que l'action disciplinaire suffit, dans Yespèce, pour satisfaire à l'ordre et à la vindicte publique; cette mesure produit tout son effet. On prétend aujourd'hui qu'elle ne suffit pas.... : n'est-ce donc rien que la censure avec réprimande? On a dit qu'elle n'était qu'une punition: mais une punition qui imprime une sorte de flétrissure n'est-elle pas, pour le magistrat qui la subit, une peine moralement plus grave que l'amende et la prison, qui sont l'apanage des délits correctionnels? Attendu que tout paraissait consommé, sous le rapport de l'intérêt public, par l'exécution de l'arrêté disciplinaire du 16 nov., auquel le ministre avait donné sa sanction. En général, on n'admet pas en France la cumulation des actions répressives sur un seul et même fait; chez aucun peuple civilisé, la législation ne permet d'accabler un homme sous le poids des condamnations et des peines: le coupable ne doit être puni qu'une fois. Si un délit, par la complication du fait et la qualité de la personne qui l'a commis, donne ouverture à plusieurs actions, le ministère public peut opter et prendre l'action prédominante; mais , quand celle qu'il a prise lui a été tracée par le chef de la magistrature, qui a la suprême direction de toutes les actions publiques; quand elle a été suivis d'une condamnation approuvée par son autorité et exécutée, il est indispensable de reconnaître qu'il a été complétement satisfait à l'ordre public, et que le magistrat du parquet ne peut pas se rendre ultérieurement l'instrument des poursuites de l'intérêt privé; >> Attendu que, par l'exécution de l'arrêté disciplinaire, tout devait galement être terminé dans l'intérêt des fonctionnaires inculpés; la anction que le ministre avait donnée à l'avis de son conseil, et l'arrêté du 16 novembre, n'avaient-ils pas déclaré les faits de la dénonciation faux et calomnieux? n'est-ce pas sur ce fondement que l'arrêté avait prononcé la censure ? il contenait donc, à leur égard, une véritable réparation de Pinjure. Quelques sacs d'écus ne pouvaient, sous le rapport de l'honneur, rien y ajouter. Mais P'affiche de l'arrêt! Et l'arrêté disciplinaire n'a-t-il pas été publié dans toute la France par la voie des journaux? Un plus grand éclat entre fonctionnaires publics n'était propre qu'à causer un plus grand scandale: les parties civiles sont, comme le procureur général, sans intérêt réel dans leurs poursuites; - Attendu que, si l'on s'attache au caractère du délit dont le président Marcadier est prévenu, il sera facile de se convaincre que l'action disciplinaire était seule admissible pour le réprimer. Et, d'abord, il est essentiel de reconnaitre que, dans un état Mien organisé, il n'existe point de corps sans discipline; que, pour la maintenir, il faut admettre un pouvoir disciplinaire; que, dans l'ordre judiciaire, les cours, les tribunaux, les officiers particuliers de justice et de délicatesse, a déterminé M. le premier président de la cour d'Amiens à se démettre de la connaissance de l'affaire, et à la reporter à Monseigneur le garde des sceaux, placé, par sa qu qualité, au sommet de la hiérarchie judiciaire. Le mémoire du président Marcadier est par lui déposé au secrétariat du ministère. Il ne lui donne aucune publicité : qui ne voit que, dans cet état de choses, tout était purement réglementaire? Si le président Marcadier, dans son mémoire, s'est exprimé avec passion; s'il a agi dans le dessein de nuire; s'il a calomnié, il a failli dans l'exercice de ses fonctions disciplinaires et dans l'accomplissement d'un devoir; le délit dont il est prévenu est donc un fait d'office qui, de sa nature, n'était susceptible de répression que par la voie disciplinaire; La loi, d'ailleurs, s'accorde avec la raison pour repousser l'action correctionnelle en pareille circonstance; >> Attendu que l'art. 358 c. inst. crim., dans son dernier paragraphe, s'exprime en ces termes: «L'accusé acquitté pourra aussi obtenir des dommages intérêts contre ses dénonciateurs, pour fait de calomnie, sans néanmoins que les membres des autorités constituées puissent être ainsi poursuivis à raison des avis qu'ils sont tenus de donner, concernant les délits dont ils ont cru acquérir la connaissance dans l'exercice de leurs fonctions, et sauf contre eux la demande en prise à partie, s'il y a lieu. Le procureur général sera tenu, sur la réquisition de l'accusé, de lui fairo connaître ses dénonciateurs; >>> - Attendu que, par ces mots, dans l'exercice de leurs fonctions, l'article ne distingue pas entre les fonctions judiciaires et les fonctions disciplinaires; il contient un principe politique et tutélaire qui s'applique à toutes les dénonciations qui se font par devoir d'état; qu'elles soient vraies, qu'elles soient fausses, le législateur n'a pas dû s'en occuper, parce qu'un intérêt public immense absorbe ici tout intérêt privé; >>> Attendu qu'on a fait une singulière objection: le paragraphe précité n'est fait, dit-on, que pour le cas où, sur une dénonciation d'office, un individu aura été accusé, jugé et acquitté sur la déclaration du jury; mais l'espèce signalée porte-t-elle atteinte au principe et en empêche-t-elle l'application à celle dans laquelle les parties se trouvaient? N'est-ce pas l'esprit des lois qu'il faut saisir dans leur application ? Quoi! un accusé qui aura passé par toutes les filières d'une longue procédure criminelle pour étre acquitté, n'aura pas, d'après la loi, d'action contre l'auteur d'une dénonciation d'office, fût-elle calomnieuse? Et les sieurs Beuret两 Cadot, qui n'ont pas été atteints dans leur personne ou dans leurs biens, ni dans leur réputation, par la dénonciation d'office dont ils se plaignent, veulent avoir, dans ce cas, une action que la loi refuse dans l'autre cas, bien autrement grave, dont elle a parlé? Il faudrait faire violence aux plus simples notions du raisonnement pour la leur accorder; - Attendu que les parties civiles ne se sont pas dissimulé l'embarras de leur position; elles invoquent dans leurs conclusions trois articles de loi à l'appuí de leurs plaintes; elles n'en citent pas d'autres; les articles invoqués sont l'art. 367 c. pr., l'art. 13, §1, de la loi du 17 mai 1819, et encore l'art. 373 c. inst. crim.; ce choix n'est pas heureux : les deux premiers articles invoqués n'ont aucune espèce de trait à l'objet de leurs plaintes; ils ne concernent que les délits de la calomnie et diffamation commis par la voie de la presse ou de tous autres moyens de publication, et dans le procès actuel il n'y a aucune trace de publicité par le fait du prévenu. Si d'ailleurs de police y sont soumis; que ce pouvoir passe des degrés inférieurs auxelles veulent avoir droit par l'art. 367, il faut qu'elles le prennent dans degrés supérieurs, dans l'ordre hiérarchique établi par la loi, et vient aboutir au garde des sceaux de France, qui, en sa qualité de ministre de la justice, en a la suprême administration; que le ministre de la justice est investi de la surveillance et de la discipline de tous les fonctionnaires de l'ordre judiciaire, par le décret sanctionné le 25 mai 1791, art. 5; la loi du 10 vend. an 4, art. 3; le sénatus-consulte du 16 therm. an 10, art. 81; et la loi du 20 avril 1810, art. 56 et 57; que les présidents des cours et tribunaux participent à ce pouvoir, conformément au degré d'autorité qui leur est attribuée par ces lois; que le moyen qu'elles indiquent pour l'exercice de l'autorité du chef de la magistrature en cette matière, est sa correspondance habituelle avec les chefs de siége et de parquet (art. 5 de la loi de 1791, no 3, et art. 3, § 2, de la loi de vend. an 4); d'où il suit incontestablement que, quand le président d'un tribunal de première instance dénonce au ministre de la justice les abus, délits ou prévarications des officiers de son ressort, il est dans l'exercice d'une des principales fonctions attachées à son caractère: il remplit un devoir de son office; > Attendu qu'il convient de rentrer maintenant dans l'espèce particulière où se trouvent les parties; - De quoi s'agissait-il dans l'origine du procès? D'une dissension entre les membres du même tribunal, pure querelle de famille, qui ne pouvait se terminer que par le recours à l'autorité supérieure. A qui appartenait il de l'investir de la connaissance de l'affaire? Indubitablement au chef du corps dans le sein duquel s'était établie la désunion: le présient Marcadier se voyait donc obligé d'informer l'autorité de ce qui se passait; il remplissait en cela un devoir de sa place. Mais la désunion procédait de ses dissensions avec le procureur du roi! Raison de plus pour recourir aux supérieurs des deux sortes de magistratures; c'est sans doute cette considération qui, par un sentiment son entier, et alors leurs plaintes sont repoussées par le § 2 du même article, portant: << La présente disposition n'est point applicable aux faits dont la loi autorise la publicité, ni à ceux que l'auteur de l'imputation était, par la nature de ses fonctions ou de ses devoirs, obligé de révéler ou de réprimer. >>> >> Attendu que l'art. 373 ne s'applique qu'aux dénonciations particulières, et ne pent, malgré la généralité de ses termes, être étendu aux dénonciations d'office. La preuve, c'est qu'il est placé dans une série d'articles qui sont, comme lui-même, régis par l'art. 367, lequel, ainsi qu'on vient de le voir, contient une exception formcile pour ces sortes de dénonciations. L'art. 367, il est vrai, a été supprimé par une loi pos térieure: mais il sert du moins à faire connaître la pensée du législateur dans la rédaction de l'art. 373; et, d'ailleurs, la conservation de l'art. 373 peut-elle lui donner plus de force qu'il n'en avait dans la série d'articles où il se trouve placé ? Il faudrait que le législateur s'en fût expliqué bien disertement; or il ne s'en est pas seulement occupé; son unique but, en supprimant l'art. 367 sur le délit de calomnie, a été de substituer à ce délit le délit de diffamation dans la loi du 17 mai 1819; mais l'art. 367 ne doit pas moins continuer d'être consulté pour Pintelligence de l'art. 373. Veut-on, d'ailleurs, séparer l'art. 373 des articles qui le précèdent, pour l'appliquer à la dénonciation qui est la matière du procès: il faut commencer par transformer le ministre de la justice en officier de police administrative ou judiciaire; confondre la dénonciation d'office avec la dénonciation vulgaire; prouver ensuite que la dénonciation qu'un individu quelconque fait spontanément à un officier de police est de la même nature que celle qu'un président de siége fait au chef de la magistrature par le devoir de sa place: autant vaudrait entreprendre de réunir Paris et Londres dans le même cercle. - Une dernière considération est que, cependant une telle révélation, si elle est fausse et faite par haine, peut être punie des peines de la calomnie, comme le serait la dénonciation libre et volontaire dont parle l'art. 373 (Crim. rej., quand même on oublierait entièrement l'art. 367 c. pr., l'immunité légale de la dénonciation d'office subsisterait toujours par la force virtuelle du principe consacré par l'art. 358 c. inst. crim.; - Attendu, en tout cas, que si la partie publique et les parties civiles étaient fondées à déserter le terrain de l'action disciplinaire pour se reporter sur celui de l'action correctionnelle, le prévenu, de son chef, aurait droit de réclamer, pour le jugement de son procès, toutes les garanties qui appartiennent aux autres citovens. En conséquence, et dès ce moment, toute l'instruction doit être publique; les témoins doivent être entendus oralement à l'audience; dans la contrariété existant sur les faits, les preuves doivent essentiellement ressortir du débat contradictoire de leurs dépositions. Ainsi l'enquête ministérielle, l'avis du conseil d'administration, son adoption par le ministre, l'autorité même de l'arrêté disciplinaire qui a reçu son approbation, on, tous ces actes, bons sous le rapport de l'action disciplinaire, n'ont plus de valeur dans l'exercice de l'action correctionnelle; ils sont de simples renseignements, et ne peuvent être admis comme éléments de preuve judiciaire; le ministre a tous les attributs qui appartiennent au droit de maintenir la discipline; mais, hors le cas spécial de la présidence des chambres de la cour de cassation, il n'a pas le pouvoir de juger (loi du 10 vend. an 4, art. 3, § 3). Tel est l'ordre prescrit pour l'indépendance de la magistrature dans le jugement des procès, indépendance établie elle-même pour la garantie de la liberté et de la sûreté des citoyens. Alors, dans ce procès, tout est remis en question. Où sont les preuves? Le rôle de l'accusé est de se défendre; c'est à l'accusateur à établir contre lui la conviction du délit dont il le charge. Cependant, par un renversement d'idées et de principes, c'est le prévenu qui offre des preuves, et les parties civiles se renferment dans des actes extrajudiciaires pour s'opposer à leur admission. Le procureur général d'Amiens ne fonde lui-même son action que sur les mêmes actes. Un pareil système, s'il était admis, aurait des conséquences trop funestes: il produirait la confusion du pouvoir d'administrer et du pouvoir de juger; il saperait dans sa base l'indépendance de l'autorité judiciaire; il l'asservirait complétement à la puissance ministérielle; par son action sur les juges, il porterait indirectement atteinte à l'art. 58 de la charte, sur leur inamovibilité; il violerait, à leur égard, l'art. 4 sur la forme des poursuites criminelles, et parviendrait bientôt, au grand dommage de la société entière, à rayer Part. 62, portant: Nul ne pourra être distrait de ses juges naturels; » 10 oct. 1816, aff. Godard, no 55; V. ce qui est dit ci-dessus à cet égard, vo Dénonciation; V. aussi Instr. crim.). 42. La même règle se trouve consacrée par la jurisprudence Il est assez évident, disaient MM. Guillemin et Cotelle, avocats des demandeurs, qu'un juge qui déclare ne pas l'être, et qui le décide ainsi pour cause d'incompétence, par le dispositif même de sa décision, ne peut pas exercer une juridiction qu'il se dénie. Un jugement, émané d'un tribunal, incompétent à ses propres yeux, implique contradiction. Au criminel surtout, une pareille jurisprudence n'est pas tolérable. En cette partie plus qu'en toute autre, le magistrat doit avoir la conscience de son pouvoir et de sa mission, autrement il ne pourrait juger le fond avec cette pleine autorité, cette certitude qui doit caractériser une décision judiciaire en matière pénale; 2o Violation des art. 59 de la loi du 20 avril 1810, 373 c. pén. et 26 de la loi du 17 mai 1819, en ce que l'arrêt attaqué a jugé que l'action en discipline a absorbé l'action correctionnelle. La cour de Rouen, ajoutaiton, proteste contre l'impunité des magistrats; et, par une étrange contradiction, elle accorde, dans l'espèce, au garde des sceaux le droit de déterminer l'action que le délit doit provoquer; et s'il a opté pour l'action disciplinaire, elle déclare que tout est consommé. Elle reconnaît que, hors le cas spécial de la présidence des chambres de la cour de cassation, le ministre de la justice n'a pas le pouvoir de juger, et cependant elle en fait un juge, et même plus qu'un juge, pour les délits des magistrats, puisqu'elle le rend maître absolu de les soustraire à la vindicte publique, au moyen de simples mesures de police. Plus conséquent dans son système, M. Marcadier prétend que « tout crime ou délit commis par un magistrat dans l'exercice de ses fonctions sort des règles ordinaires de la pénalité, pour être soumis à une responsabilité spéciale qui exclut l'application de la loi commune, et qui est tantôt plus, tantôt moins rigoureuse, Si cette responsabilité spéciale se résout par la loi en délits spéciaux, définis et caractérisés par elle, comme dans les dispositions renfermées dans la sect. 2, ch. 3, tit. 1, liv. 3 c. pén., c'est la peine appliquée à ces dé-. lits qu'il faut seule apppliquer. Mais si le fait qui donne lieu à cette responsabilité ne rentre pas dans cette catégorie, comme lorsqu'il s'agit de révélations, alors elle ne peut donner lieu qu'à l'application de peines disciplinaires. >>> - Mais la loi établit que tout crime commis par un fonc-tionnaire public dans ses fonctions est une forfaiture; que toute forfaiture pour laquelle il n'est pas prononcé de peines plus graves, est punie de la dégradation civique (c. pén. 166 et 167); donc, soit que le fait criminel se trouve signalé dans la catégorie spéciale, soit qu'il ait déjà été qualifié crime dans les dispositions de la loi générale, il ne peut jamais appartenir entièrement à la simple discipline. Le crime de faux n'est pas nommément prévu dans la catégorie sur laquelle se repose M. Marcadier, ét cependant le faussaire en sera-t-il quitte pour une réprimande ou une suspension? voilà pour la grande criminalité. Quant aux simples délits, ils ne constituent pas les fonctionnaires en forfaiture (c. pén. 168); donc ils restent évidemment soumis au droit commun, sauf quelques spécialités qui réclamaient une prévoyance particulière; donc les peines des crimes ou délits commis par les fonctionnaires publics dans leurs fonctions ne sont jamais atténuées en leur faveur; jamais les immunités du magistrat ne seront un privilége contre la pénalité; jamais ces immunités n'existeront que dans les solennités protectrices de l'indépendance, de la dignité du juge, et non de la perversité de l'homme. On oppose la disposition de Part. 183 c. pén., d'après laquelle tout juge ou administrateur, qui se sera décidé par faveur ou par inimitié, sera coupable de forfaiture et puni de la dégradation civique. >> Attendu que la conclusion à tirer de tout ce que dessus est que l'action du procureur général d'Amiens est, sous tous les points de vue, non recevable. Elle est non recevable, parce que le président Marcadier agissant dans l'ordre de ses fonctions, s'il a agi avec passion, if a failli dans l'accomplissement d'un devoir; elle n'est pas recevable, parce qu'il a été puni de la faute qu'il a commise, dans les formes voulues par la loi, et par l'application d'une peine appropriée à la nature du délit; elle n'est pas recevable, sous d'autres aspects, parce qu'elle tend, sans fruit, à perpétuer le scandale de ce déplorable procès; elle n'est pas recevable, parce que, dans nos mœurs (et il faut bien les prendre telles qu'elles sont), elle mène à déconsidérer la magistrature entière; elle n'est pas recevable, parce que, partant de deux fonctionnaires inférieurs (dès l'origine désintéressés), vis-à-vis de leur supérieur, elle tend aussi à relâcher les liens de la discipline judiciaire; elle n'est pas recevable, parce qu'elle conduirait à éteindre toutes les lumières à l'aide desquelles le chef de la magistrature peut exercer sa haute surveillance, et mettre à l'abri sa propre responsabilité; enfin elle n'est pas recevable, parce que la loi, les plus hautes considérations d'ordre public et l'intérêt général de la société la repoussent; - A l'égard de la plainte des parties civiles, elle est inconsidérée, dépourvue d'intérêt réel, illégale, inadmissible; - En dernière analyse, l'action du procureur général d'Amiens et les plaintes des parties civiles ne sont pas fondées, parce que, pour qu'il y ait, dans l'espèce, dénonciation calomnieuse, il ne suffit pas que les faits dénoncés par le président Marcadier soient faux, il faut encore qu'il les ait administrés comme vrais, sachant qu'ils étaient faux; elles ne sont pas fondées, parce qu'il n'y a pas preuve judiciaire, au procès, de cette dernière circonstance; elles ne sont pas fondées, parce que, dans les débats, le président Marcadier a justifié qu'il avait des raisons de croire à l'existence des faits par Jui imputés à Beuret et à Cadot; - Le ministère public en a lui-même fait l'aveu à l'égard de Cadot; quant à Beuret, il soutient l'accusation pour une partie, la rejette pour l'autre, et ne précise pas ceux des faits sur lesquels il se fixe à l'appui de cette même accusation....; Déclare le procureur général non recevable, et, en tout cas, mal fondé dans l'action correctionnelle par lui intentée; déclare pareillement les parties civiles non recevables et mal fondées....» Pourvoi du ministère public et de Beuret et Cadot. Ces derniers ont fait valoir contre l'arrêt attaqué les moyens suivants: 1o Excès de pouvoirs et violatfon des règles de compétence, en ce qu'après avoir déclaré toute poursuite éteinte contre le pré-crime de faux, le crime de concussion, et tous les crimes possibles dans Ainsi, dit-on, l'assassin monte à l'échafaud; et le juge, cent fois plus coupable, qui s'est laissé corrompre pour la condamnation del'innocence ou pour le salut du crime, n'est puni que d'une simple dégradation! Mais que prouve cet exemple? qu'il y a des délits spéciaux et des peines spéciales relativement aux fonctionnaires publics; nul doute à cela. Ce qu'il faudrait établir, c'est que tel délit (par exemple la calomnie), puni par le droit commun, n'entraîne pas, contre le juge qui le commet dans l'exercice de ses fonctions, les mêmes peines que contre les particuliers. Or, le crime prévu par l'art. 183 c. pén. est hors de la question; il n'appartient point à la loi commune; il est tellement spécial, qu'il ne cesse pas d'être le même, et d'être puni de la même peine, soit que la décision passionnée ait été rendue en matière civile ou correctionnelle ou de grand criminel. La loi, pour cette espèce de forfaiture n'admet, comme élément de criminalité, que le fait de la faveur ou de la haine dans le jugement rendu, sans en calculer ni l'influence ni les résultats, parce qu'une pareille vérification serait presque toujours impossible. La peine du talion n'était proposable ici que quand la corruption du juge a été soldée à prix d'argent, parce qu'alors les preuves sont matérielles et les calculs faciles. Voudrait-on, comme l'arrêt attaqué, restreindre le système de M. Marcadier aux délits commis par le magistrat dans l'exercice de sa charge, aux prévarications? Mais il faudrait dire encore que le , sident Marcadier par l'exécution d'une condamnation disciplinaire, la cour les emplois de judicature sont amnistiés par des arrêts de discipline, co de Rouen a néanmoins jugé le fond de cette même action dont elle proqui est inadmissible. - C'est sans plus de fondement que l'arrêt attaqué clamait le néant, et pour laquelle elle se déniait le droit de compétence. | invoque l'art. 358 c. inst. crim. Cet article ne fait que rappeler la règle Jetracée plus loin (chap. 5), on les dommages-intérêts ne sont | l'exige, comme on l'a vu, d'une manière formelle; et l'art. 31 accordés au dénoncé qu'autant que la dénonciation a été reconnue avoir été faite de mauvaise foi, c'est-à-dire avoir un caractère calomnieux et téméraire. CHAP. 3. Forme de la dénonciation calomnieuse. - Officiers compétents pour la recevoir. 43. La dénonciation doit être faite par écrit; l'art. 375 c. pén. d'après laquelle les magistrats ne peuvent être directement poursuivis, au nom de l'intérêt privé, que par la voie de la prise à partie. Sa disposition ne tombe que sur le mode de procéder; sans que les membres des autorités constituées, dit-il, puissent être poursuivis, c'est-à-dire de la même manière que les dénonciateurs vulgaires. D'ailleurs, en réservant la prise à partie, s'il y a lieu, l'art. 358 montre assez qu'il ne préjuge rien sur le caractère du méfait imputé au magistrat, et qu'il réserve par conséquent tout entière la question du fond. Encore moins la loi a-t-elle voulu interdire, dans le même cas, l'action publique; car elle n'en parle en aucune manière, et ne s'occupe que des dommages-intérêts que l'accusé peut réclamer. M. le procureur général près la cour de Rouen a en outre attaqué l'arrêt dont il s'agit, par divers moyens que fait suffisamment connaitre l'arrêt suivant. - Arrêt (après dél. en ch. du cons.). LA COUR; - Vu les art. 8, 9, 358, 373, 374, 479, 483 c. inst. crim.; 373 c. pén., 11 et 59 de la loi du 20 avril 1810, 4 du décret du 6 juill. 1810; - Attendu, sur le premier moyen, que le délit de dénonciation calomnieuse se compose de deux éléments distincts, savoir: la faussete des faits imputés et la mauvaise foi de celui qui les a dénoncés; Que la vérité ou la fausseté des faits ne peut être appréciée et déclarée que par l'autorité dans les attributions de laquelle rentre la connaissance de ces faits; qu'elle a seule à sa disposition les documents propres à en vérifier l'existence ou l'exactitude; que, dans bien des cas, l'autorité judiciaire ne pourait se livrer à une semblable investigation sans sortir des limites de ses attributions; - Que le second et indispensable élément du délit de dénonciation calomnieuse, savoir: la mauvaise foi du dénonciateur, ne peut être apprécié et déclaré que par les tribunaux; que c'est sur ce point que doivent porter l'instruction et les débats; que si la vérité ou la fausseté des faits dénoncés ne peut plus être discutée devant eux, lorsque l'autorité compétente a donné à cet égard une décision; que s'ils doivent même surseoir au jugement jusqu'à ce que cette décision soit intervenue, ils ont, au contraire, relativement au jugement de l'intention du dénonciateur, la même latitude que celle qui leur est laissée pour l'appréciation et le jugement de tout autre délit; - Qu'ainsi l'arrêt attaqué aurait dû distinguer dans les décisions de son excellence le garde des sceaux, des 19 et 21 août, la partie relative à l'appréciation de l'existence matérielle des faits énoncés, de la partie relative à l'appréciation de la conduite morale du dénonciateur; Que le ministre, saisi administrativement de la connaissance des faits, par la dénonciation qui lui était portée, était compétent pour décider administrativement si les faits étaient vrais ou faux; mais qu'il cessait de l'être pour décider que, sous le rapport de la vindicte publique, le président Marcadier avait agi de mauvaise foi et commis un délit; qu'une pareille décision que, d'ailleurs, le ministre n'a pas eu l'intention de donner, rentrait dans le domaine des tribunaux; que la cour royale de Rouen était saisie, par l'arrêt de cassation du 12 mai dernier, du droit de la rendre, sans être liée par l'opinion que son excellence le garde des sccaux avait pu émettre à cet égard; Que c'est en confondant les deux éléments qui composent le délit imputé au président Marcadier, que l'arrêt attaqué a jugé que les décisions du ministre devaient rester comme non avenues, et exprimé, pour l'indépendance de la magistrature, si on leur donnait autorité, des craintes mal fondées; Attendu, sur le deuxième moyen, que l'art. 358 c. inst. crim. a établi en principe que l'accusé acquitté pourrait obtenir les dommages-intérêts contre son dénonciateur; qu'il a étenduce principe aux fonctionnaires mêmes qui ont fait la dénonciation dans l'exercice de leurs fonctions; que, seulement à leur égard, il a prescrit un mode particulier de procédure, celui de la prise à partie; - Qu'on ne peut lirer de cet article, qui n'excepte de la responsabilité aucune espèce de dénonciateur, nulle induction qui tende à affranchir les dénonciateurs d'une certaine classe, de la responsabilité pénale établie par l'art. 573 du code; Que si l'art. 358 c. inst. crim., uniquement relatif aux intérêts civils de l'accusé, institue, en faveur des fonctionnaires qui ont fait la dénonciation, des garanties qui résultent du mode suivant lequel ils devront être poursuivis, des garanties semblables leur sont assurées par la loi quand il s'agit de les poursuivre à raison du délit que la dénonciation peut constituer, suivant l'art. 573 c. pén.; - Que ces garanties varient selon la nature des fonctions dont le dénonciateur est revêtu; que, quant aux fonctionnaires de l'ordre judiciaire, elles sont établies par le ch. 3, tit. 4, liv. 2, c. inst. crim.; - Que la loi n'a point posé en principe que les fonction naires pourraient avec impunité dénoncer faussement et méchamment; qu'une telle règle aurait été immorale et dangereuse; que, bien loin de c. inst. crim., qui, pourla forme des dénonciations, pose le principe général, reproduit la même obligation (V. notre traité de l'Instr. crim.). - Ici l'écriture est la condition essentielle et constitutive du délit; la loi n'ayant pas voulu qu'une simple déclaration verbale, peut-être irréfléchie, et qui d'ailleurs a pu être ma! saisie par l'officier public auquel elle a été adressée, devint l'objet d'une poursuite criminelle (V. MM. Hélie et Chauveau, t. 6, p. 485). Donc, pour que les peines de l'art. 373 c. pén. puissent protéger la considération des fonctionnaires publics en comprimant les plaintes, on les cût livrés à des soupçons dont ils n'auraient pu se défendre; qu'en les obligeant au contraire à répondre de leurs dénonciations comme les autres citoyens, le silence de toute réclamation apprend qu'ils sont sans reproche; - Que l'arrêt attaqué, en décidant que le président Marcadier ne pouvait être poursuivi à raison de la dénonciation dont il s'agit, parce qu'il l'a faite dans l'exercice de ses fonctions, a donc faussement appliqué l'art. 358 c. inst. crim., et violé l'art. 373 c. pén.; Attendu, sur le troisième moyen, que l'action disciplinaire diffère essentiellement de l'action publique pour la répression des crimes, des délits et des contraventions; que l'action disciplinaire n'a point pour objet de venger l'infraction commise par le magistrat aux lois qui l'obligent comme citoyen, mais de punir les infractions aux devoirs particuliers qui lui sont imposés comme magistrat; - Que le juge qui commet un délit doit non-seulement en répondre devant les tribunaux, mais que, de plus, il devient comptable envers toute la magistrature de la tache qu'il a imprimée à son caractère; qu'ainsi l'art. 59 de la loi du 20 avril 1810 autorise à suspendre, à déchoir même de ses fonctions le magistrat qui a été condamné à une peine, ne fût-elle que de simple police; Que si l'action disciplinaire n'est pas éteinte par l'exercice de l'action publique en répression des délits; que si elle peut lui succéder, elle peut la précéder aussi, sans que l'action publique en soit entravée; que même il peut être utile qu'elle la précède en effet, parce que, quand un magistrat s'est compromis assez gravement pour devenir l'objet d'une poursuite extraordinaire, il serait peu convenable de lui laisser, tant que dure la poursuite, l'exercice de ses fonctions; - Que décider que l'action publique est éteinte par l'exercice de l'action disciplinaire, c'est poser en principe que, quel que soit le crime ou délit dont un magistrat se rend coupable, il suffit, pour le soustraire au châtiment, de lui infliger une peine de discipline quelconque, principe tout à fait inadmissible; - Qu'en décidant que l'action disciplinaire, exercée contre le président Marcadier, rendait l'action puł lique non recevable, l'arrêt allaqué a violé le système de la législation pénale et l'art. 59 de la loi du 20 avril 1810; Attendu, sur le quatrième moyen, que c'est une erreur manifeste de prétendre que le ministre de la justice a la suprême direction de l'action publique pour la punition des crimes et délits; - Que cette direction est expressément confiée aux cours royales par l'art. 9 c. inst. crim.; que l'art. 11 de la loi du 20 avril 1810 donne à ces cours le droit de mander les procureurs généraux du roi, et de leur enjoindre de e poursuivre les crimes et les délits; Qu'en confiant ainsi à des corps indépendants la surveillance de l'action publique, qu'en les autorisant à la mettre en mouvement, ces lois ont créé en faveur de la liberté civile une de ses plus fortes garanties; que l'arrêt attaqué a formellement violé ces lois, en décidant que l'action du ministère public contre le président Marcadier était non recevable, parce que le ministre de la justice ne l'avait autorisé qu'à exercer l'action disciplinaire et non l'action publique; - Qu'il résulte de tout ce qui vient d'être dit, que si l'arrêt attaqué s'était borné à écarter, par la fin de non-recevoir qu'il adopte, les actions du ministère public et des parties civiles, il devait être cassé; Mais attendu, sur le cinquième moyen, que cet arrêt s'est occupé du fond de la plainte, et a déclaré qu'il n'était pas prouvé que le président Marcadier eût connu la fausseté des faits qu'il dénonçait: qu'il était méme résulté des débats, qu'il avait eu des raisons de croire à l'existence de ces faits, en conséquence de quoi l'arrêt juge que la plainte est mal fondée; - Que cette appréciation des faits de la cause De peut être soumise à l'examen de la cour de cassation; Que la cour royale de Rouen avait le droit de faire cette appréciation; qu'il convient en effet de distinguer, entre les fins de non-recevoir, celles qui tendent à décliner la compétence du tribunal devant lequel l'action est portée, de celles qui sont relatives au fond de l'action mème et au droit de la former; - Qu'il est incontestable qu'un tribunal ne peut tout à la fois se reconnaître incompétent pour slatuer sur une demande, et juger la demande au fond, en la déclarant mal fondée; mais que les fins de non-recevoir adoptées par l'arrêt attaqué sont complétement étrangères à la compétence et à l'ordre des juridictions; Que le prévenu ayant prétendu trouver, dans les immunités attachées à son caractère de magistrat, dans l'autorité de la chose jugée, dans l'absence de tout jugement sur les faits par lui dénoncés, enfin dans le défaut d'autorisation du ministre de la justice, des moyens de repousser l'action dirigée contre lui, il a soumis ces fins de non-recevoir à la cour chargée de le juger, en même temps qu'il soutenait que, lors même que par erreur il aurait dénoncé comme vrais des faits faux, cette |