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En peignant les caractères, La Bruyère et La Rochefoucauld sont. souvent fins; Vauvenargues est plus délicat que tous les deux.

Dans la comédie, Molière a plus de finesse que de délicatesse ; Térence a plus de délicatesse que de finesse; mais il a moins de l'une et de l'autre que le comique français.

Le développement des grandes passions est plus spirituel et plus fin dans Voltaire; dans Racine, il est plus profond et plus délicat.

Dans les Éloges de Fontenelle, la finesse est si grande, qu'elle dégénère parfois en subtilité; mais il manque quelquefois de délicatesse.

Dans le commerce des hommes, la finesse consiste à tout voir; la délicatesse à tout sentir. La première fait dire ce qu'il faut ; la seconde ne fait dire que ce qu'il faut.

Une louange fine et une louange délicate ne sont pas la même chose peu de gens sont dignes de celle-ci; quant à l'autre, peu de gens sont en état de la distinguer et d'en sentir le prix. La première est un encens doux, mais qu'il faut brûler pour le sentir, et qui donne un peu de fumée; la seconde est une odeur qui s'exhale de la fleur jetée sur vos pas.

Peut-être la finesse et la délicatasse dans l'esprit sont-elles, jusqu'à un certain point, opposées l'une à l'autre; de sorte qu'avec beaucoup de finesse, on doit avoir moins de délicatesse. (d'Al.)

La finesse, dans les ouvrage d'esprit comme dans la conversation, consiste dans l'art de ne pas exprimer directement sa pensée, mais de la laisser aisément apercevoir: c'est une énigme dont les gens d'esprit devinent tout d'un coup le mot. La finesse diffère de la délicatesse.

La finesse s'étend également aux choses piquantes et agréables, au blâme et à la louange, aux choses même indécentes, couvertes d'un voile, à travers lequel on les voit sans rougir. On dit des choses hardies avec finesse. La délicatesse exprime des sentiments doux et agréables, des louanges fines.

Ainsi la finesse convient plus à l'épigramme; la délicatesse, au madrigal. Il entre de la délicatesse dans les jalousies dės amants; il n'y entre point de finesse. Les louanges que donnait Despréaux à Louis XIV ne sont pas toujours également délicates; ses satires ne sont pas toujours assez fines.

Un chancelier offrant un jour sa protection au parlement, le premier président se tournant vers sa compagnie: Messieurs, dit-il, remercions M. Le chancelier; il nous donne plus que nous ne lui demandons. C'est là une répartie très-fine.

Quand Iphigénie, dans Racine, a reçu l'ordre de son père de ne plus revoir Achille, elle s'écrie:

Dieux plus doux, vous n'aviez demandé que ma vie!

le véritable caractère de ce vers est plutôt la délicatesse que la finesse. (Encycl., VI, 846.)

587. Finesse, Pénétration, Délicatesse, Sagacité.

La finesse est la faculté d'apercevoir, dans les rapports superficiels des circonstances et des choses, les facettes presque insensibles qui se répondent, les points indivisibles qui se touchent, les fils déliés qui s'entrelacent et s'unissent.

La finesse diffère de la pénétration en ce que la pénétration fait voir en grand, et la finesse en petit détail. L'homme pénétrant voit loin; l'homme fin voit clair, mais de près: ces deux facultés peuvent se comparer au télescope et au microscope.

Un homme pénétrant, voyant Brutus immobile et pensif devant la statue de Caton, et combinant le caractère de Caton, celui de Brutus, l'état de Rome, le rang usurpé par César, le mécontentement des citoyens, etc., aurait pu dire: Brutus médite quelque chose d'extraordinaire. Un homme fin aurait dit: Voilà Brutus qui s'admire dans l'un de ses caractères, et aurait fait une épigramme sur la vanité de Brutus.

Un fin courtisan, voyant le désavantage du camp de M. de Turenne, aurait fait semblant de ne pas s'en apercevoir; un grenadier pénétrant néglige de travailler au retranchement, et répond au général : « Je vous connais, nous ne coucherons pas ici. »

La finesse ne peut suivre la pénétration, mais quelquefois aussi elle lui échappe. Un homme profond est impénétrable à un homme qui n'est que fin, car celui-ci ne combine que les superficies; mais l'hommeprofond est quelquefois surpris par l'homme fin; sa vue hardie, vaste et rapide, dédaigne ou néglige d'apercevoir les petits moyens; c'est Hercule qui court, et qu'un insecte pique au talon.

La délicatesse est la finesse du sentiment qui ne réfléchit point; c'est une perception vive et rapide du résultat des combinaisons. Si la délicatesse est jointe à beaucoup de sensibilité, elle ressemble encore plus à la sagacité qu'à la finesse.

La sagacité diffère de la finesse, 1° en ce qu'elle est dans le tact de l'esprit, comme la délicatesse est dans le tact de l'âme; 2° en ce que la finesse est superficielle, et la sagacité pénétrante : ce n'est point une pénétration progressive, c'est une pénétration soudaine qui franchit le milieu des idées, et touche au but dès le premier pas. C'est le coup d'œil du grand Condé. Bossuet l'appelle ILLUMINATION; elle ressemble en effet à l'illumination dans les grandes choses. (Encycl., VI, 816.)

La finesse imagine souvent au lieu de voir; à force de supposer, elle

se trompe la pénétration voit, et la sagacité va jusqu'à prévoir. (Consid. sur les mœurs, chap. XIII, édit. de 1764.)

588. Finesse, Ruse, Astuce, Perfidie.

La ruse se distingue de la finesse en ce qu'elle emploie la fausseté. La ruse exige la finesse pour s'envelopper plus adroitement, et pour rendre plus subtils les piéges de l'artifice et du mensonge. La finesse ne sert quelquefois qu'à découvrir et à rompre ces piéges; car la ruse est toujours offensive, et la finesse peut ne pas l'être. Un honnête homme peut être fin, mais il ne peut être rusé. Du reste, il est si facile et si dangereux de passer de l'un à l'autre, que peu d'honnêtes gens se piquent d'être fins : le bon homme et le grand homme ont cela de commun, qu'ils ne peuvent se résoudré à l'être.

L'astuce est une finesse pratique dans le mal; mais en petit : c'est la finesse qui nuit ou qui veut nuire. Dans l'astuce, la finesse est jointe à la méchanceté, comme à la fausseté dans la ruse. Ce mot, qui n'est plus d'usage, a pourtant sa nuance; il mériterait d'être conservé.

La perfidie suppose plus que de la finesse; c'est une fausseté noire et profonde, qui emploie des moyens plus puissants, qui meut des ressorts plus cachés que l'astuce et la ruse. Celles-ci, pour être dirigées, n'ont besoin que de la finesse, et la finesse suffit pour leur échapper; mais pour observer et démasquer la perfidie, il faut la pénétration même. La perfidic est un abus de la confiance fondée sur des garants inviolables, tels que l'humanité, la bonne foi, l'autorité des lois, la reconnaissance, l'amitié, les droits du sang, etc.; plus ces droits sont sacrés, plus la confiance est tranquille, et plus par conséquent la perfidie est à couvert. On se défie moins d'un citoyen que d'un étranger, d'un ami que d'un concitoyen, etc.; ainsi, par degrés, la perfidie est plus atroce, à mesure que la confiance violée était mieux établie. (Encyclop., V, 816.)

589. Finir, Cesser, Discontinuer.

On finit en achevant l'entreprise; on cesse en l'abandonnant; on discontinue en l'interrompant.

Pour finir son discours à propos, il faut le faire un moment avant que d'ennuyer. On doit cesser ses poursuites dès qu'on s'aperçoit qu'elles sont inutiles. Il ne faut discontinuer le travail que pour se délasser, et pour le reprendre ensuite avec plus de goût et plus d'ardeur.

L'homme est né pour la peine; il n'a pas fini une affaire qu'il lui en survient une autre ; il a beau chercher le repos et la tranquillité, la Pro

vidence ne lui permet pas en cette vie de cesser de travailler, et si l'ennui ou l'épuisement lui font quelquefois discontinuer son labeur, ce n'est pas pour longtemps, il est bientôt contraint de retourner à sa tâche, et de reprendre la charrue.

La maxime qui dit qu'il ne faut rien commencer qu'on ne puisse finir, est bonne : celle qui défend de cesser un ouvrage pour en commencer un autre sans nécessité, me paraît encore meilleure. Il est souvent à propos de discontinuer le travail de l'esprit : mais ce n'est pas dans le temps que l'imagination, pleine de feu, se trouve en état de mieux manier son sujet; c'est seulement au premier instant qu'on s'aperçoit qu'elle se ralentit, parce qu'il ne faut ni l'arrêter quand elle est en train, ni la forcer lorsqu'elle s'arrête,

Les personnes qui ne finissent point leurs narrations, et ne cessent de parler sans discontinuer, sont aussi peu propres à la conversation que celles qui ne disent mot. (G.)

590. Flatteur, Adulateur.

L'un et l'autre cherchent à plaire aux dépens de la vérité : mais on flatte la personne du côté du cœur ; on l'adule du côté de l'esprit.

Le flatteur ne désapprouve rien; il justifie ce qui est blâmable, et tâche même d'ériger le vice en vertu. L'adulateur loue tout; il fait l'apologie du mauvais, et ose prodiguer les applaudissements au ridicule. La flatterie est propre à nourrir les passions: l'adulation satisfait la vanité. L'une est le talent du courtisan vulgaire; l'autre fait le caractère du bel esprit à gages.

Ce n'est pas être flatteur que de manier la vérité avec ménagement, et d'une façon à ne pas déplaire à ceux qu'elle choquerait, si on la leur présentait trop crument. Jamais l'adulateur n'eut l'art de louer ; son fait est uniquement de débiter des louanges. (G.)

Tout le monde sait que l'adulateur est un flatteur bas, vil, lâche, servile, impudent, et même grossier, complaisant, et louangeur à outrance et sans fin. Je ne ferais pas mention de ces mots, si ce n'étais pas pour détromper ceux qui croiraient, sur la foi de l'abbé Girard, qu'on flatte la personne du côté du cœur, mais qu'on l'adule du côté de l'esprit; et que si la flatterie est le talent d'un courtisan vulgaire, l'adulation fait le caractère du bel esprit. Cette distinction est chimérique et démentie partout. Voyez dans les caractères de Théophraste le portrait du flatteur, et comme il flatte l'esprit de sa dupe. Voyez si Boileau songe à l'esprit quand il parle des pâles adulateurs d'un tyran soupçonneux.

Le son doux et coulant fla est devenu le nom des objets doux et coulants. Flatter, c'est dire des choses agréables: la musique flatte l'oreille dans le sens propre. Le mot aduler veut dire littéralement

être doux à quelqu'un; c'est l'adulari du latin; racine dul, dol, doux; du celte dol, tol, poli, uni, etc. Ce mot n'a donc pas par lui-même un sens défavorable. Mais comme le mot flatter se prend en bonne et en mauvaise part, nous n'avons pas pu emprunter un nouveau mot, portant une idée semblable, sans le distinguer par une idée particulière; et nous avons employé aduler en mauvaise part, et comme pour désigner quelque chose de doucereux, de fade, de fastidieux, telle qu'une louange plate, grossière, servile. Ce verbe ne se dit guère que dans la conversation, et en badinant : c'est tout le contraire d'adulateur, beau mot fort cher aux orateurs et aux poètes. (R.)

591. Flexible, Souple, Docile.

Flexible, ce qui fléchit, ce qu'on peut fléchir. Souple, ce qui se plie et replie en tout sens.. Docile, qui reçoit l'instruction. Ce dernier mot ne peut se dire proprement que des personnes, il se dit du corps et de l'esprit ; on l'applique aussi aux animaux :

Les coursiers du Soleil à sa voix sont dociles,

Ses superbes coursiers dociles à sa voix.

La poésie va même quelquefois plus loin.

(BOILEAU.) (RACINE.)

L'osier, le jonc, sont flexibles : des étoffes, des gants, sont souples: un enfant, un élève, sont dociles.

Le corps, la voix, les fibres sont flexibles, ou capables de ployer par une grande flexibilité ou naturelle ou acquise. Par une grande facilité à exécuter divers mouvements, ils sont souples. Par leur flexi bilité naturelle, ils sont dociles au travail, à l'exercice, au manége, et deviennent souples.

Au figuré, la différence de ces termes est la même.

La flexibilité est une facilité de caractère qui ne permet pas d'opposer une longue et forte résistance, et ce qui se tourne avec assez d'aisance d'un sens dans un autre. Les dictionnaires définissent la souplesse, tantôt docilité, complaisance, soumission aux volontés d'autrui; tantôt, avec l'abbé Girard, une disposition à s'accommoder aux conjonctures, aux événements imprévus : ni l'une ni l'autre de ces notions ne sont exactes; on est fort souple, on exerce sa souplesse, sans qu'il soit question ni d'événements imprévus, ni de volonté d'autrui. La souplesse est une versatilité de caractère, qui fait qu'on prend avec une dextérité ou une adresse singulière la manière d'être et d'agir que l'on juge la plus convenable aux circonstances, et pour soi, ou qui fait qu'on se montre habilement tel qu'on veut paraître plutôt que tel qu'on est. La docilité est une douceur de caractère qui nous rend propres à recevoir et à suivre les leçons, les con

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