gères, ne viennent encore modifier la langue. Il se fait des alluvions; mais le fleuve ne se déplace plus. Et tout écrivain jaloux d'être lu de l'avenir doit rester fidèle au type primitif, de sorte que le caractère anciennement national de la langue prédomine dans ses ouvrages sur les variations accidentelles. Que ceux d'entre vous, Messieurs, qui se destinent à l'instruction de la jeunesse recommandent toujours l'étude attentive des grands écrivains du XVIIe siècle, parce que, dans les belles productions de cette époque, la partie durable et vraie l'emporte infiniment sur la partie variable et accidentelle, et que l'avenir ne pourra mettre dans la langue française plus de formes justes et vraies que n'en ont laissé ces premiers et heureux génies. Quant au goût, cette même influence de la société, qui agit sur les esprits, qui les féconde, qui les éveille, qui les excite, comment voulez-vous qu'elle n'agisse pas sur le goût? Ainsi la philosophie sera plus sérieuse et plus métaphysique à la fois. L'histoire sera plus expressive, plus familière et plus détaillée. L'âge où est arrivée une nation, les vicissitudes qu'elle a subies, les crises politiques par lesquelles elle a passé, les communications qu'elle a eues avec d'autres peuples, lui donnent l'intelligence des temps divers, et lui ôtent cette espèce de dédain aristocratique que la France de Louis XIV avait pour tout ce qui ne lui ressemblait pas. Ce sont là des sources fécondes pour la littérature française; voilà ce qu'elle peut faire encore de sa langue et de sa liberté ; voilà comment, sans perdre le caractère national, mais en le développant, le goût peut se rajeunir. Un tel mouvement succède toujours plus d'une fois sous le pouvoir absolu; il doit être plus puissant sous la liberté. Espérons encore, pour le France, un âge glorieux dans les arts du génie. En attendant que cette époque se réalise, nous allons bientôt nous replonger dans l'étude progressive et lente du génie français. Nous allons le reprendre à son berceau, mais avec bien plus d'exactitude et de détail que nous ne l'avions fait encore. Nous essaierons de démêler d'abord les origines de la langue et de l'esprit français. Disciple d'un érudit inventeur, je remonterai jusqu'à ces premiers types habilement retrouvés, jusqu'à cette langue romane, corruption intermédiaire entre la langue latine et les premiers monuments de la langue française. J'en suivrai les deux divisions principales sur le sol français; puis j'indiquerai les rapports qu'elles offrent avec les littératures du midi de l'Europe et avec la littérature anglaise, qui seule, dans le Nord, reçut par la conquête l'empreinte du vieil esprit français. Cette étude, qui commencera l'an prochain, verra se renouveler plusieurs fois nos auditeurs; car nous remonterons lentement toute cette histoire des mœurs et des idées modernes manifestées par les lettres. Ce séra d'abord l'étude des faits plutôt que celle de l'art. L'esprit humain sera l'objet de nos recherches, et, pour ainsi dire, le personnage dont nous recueillerons les traditions et les anecdotes à travers une foule de monuments peu connus. En étudiant l'imagination littéraire du moyen âge, nous étudierons l'histoire simultanée de cette grande époque chez plusieurs peuples, italien, portugais, espagnol, français du midi et du nord. D'abord pénible, mais curieuse, cette histoire avancerons vers la lumière des arts, qui se lève en Italie dès le XIIIe siècle. Avant de commencer cette tâche, que je ne me flatte pas de remplir, avant de préparer les études très-variées par lesquelles je voudrais rajeunir tout à la fois le sujet et le professeur, il est un autre point de vue que j'ai réservé pour nos dernières séances de cette année. Ce sont des prolégomènes, où j'essaierai de caractériser ce qu'il y a d'éléments communs et antiques dans la formation des littératures européennes : c'està-dire, je rechercherai les premières influences littéraires et morales répandues par le christianisme, au milieu même de la civilisation grecque et latine. J'éviterai, dans un double motif, par un intérêt de variété pour les auditeurs, et de prudence pour moi, de rentrer dans les vues si ingénieusement exposées par un savant collègue; mais, en laissant de côté les monuments historiques dont il a fait une si profonde analyse, je suivrai, dans les ouvrages des Pères de l'Église, les traces premières de l'esprit nouveau qui fermenta sous le fumier de la barbarie, et qui jette une si vive lumière dans le poëme de Dante. Je montrerai comment la littérature moderne existait, en quelque sorte, avant les peuples nouveaux. Indépendamment de ces chutes d'empire qui, dans la chronologie vulgaire, distinguent et séparent les époques, il y a des renversements d'idées morales, il y a des révolutions accomplies au fond des âmes, et qui transforment les idées et les langues des peuples. Ainsi, la première apparition des écrits bibliques, la prédication et la vie chrétienne commencèrent, au cœur de la civilisation antique, la société moderne, avant que dire, un moule nouveau de peuple pour recevoir les idées nouvelles. Ici, Messieurs, je termine ce long tableau du XVIIIe siècle, en vous remerciant de la bienveillance inspiratrice dont vous avez honoré mes constants efforts. Le Cours est achevé. Il ne me reste plus qu'à en préparer un nouveau, moins incomplet, mieux ordonné, plus instructif. Je cesse de parler aujourd'hui, pour commencer à étudier demain. (Vifs applaudissements.) FIN DU QUATRIÈME ET DERNIER VOLUME. |