Quoi, fans émotion perdre Trône & Maîtreffe! Quel eft ici ton charme, odieufe Princesse ? Et par quel privilége allumant de tels feux Peux-tu n'en prendre qu'un & m'ôter tous les deux? N'efpere pas pourtant triompher de ma haine, Pour régner fur deux cœurs tu n'es pas encor Reine. Je fçai bien qu'en l'état où tous deux je les voi 11 me les faut percer pour aller jufqu'à toi : Mais n'importe, mes mains fur le pere ephardies Pour un bras refufé fçauront prendre deux vies, Leurs jours également font pour moi dangereux; J'ai commencé par lui, j'acheverai par eux.
Sors de mon cœur nature, ou fais qu'ils m'obéissent,
Fais-les fervir ma haine, ou confens qu'il périffent. Mais déjà l'un a vu que je les veux punir, Souvent qui tarde trop fe laiffe prévenir,
Allons chercher le tems d'immoler mes victimes, Et de me rendre heureuse à force de grands crimes.
CLEOPATRE.
E Nfin, graces aux Dieux, j'ai moins d'un en
La mort de Séleucus m'a vengée à demi, Son ombre en attendant Rodogune & fon frere, Peut déjà de ma part les promettre à fon pere, Ils le fuivront de près, & j'ai tout préparé Pour réunir bien-tôt ce que j'ai féparé.
O toi, qui n'attens plus que la cérémonie Pour jetter à mes pieds ma rivale punie, Et par qui deux amans vont d'un feul coup du fort Recevoir l'hymenée, & le trône, & la mort, Poifon, me fçauras- tu rendre mon diadême ? Le fer m'a bien fervie, en feras-tu de même ? Me feras-tu fidele? Et toi, que me veux-tu, Ridicule retour d'une fotte vertu
Tendreffe dangereufe autant comme importune? Je ne veux point pour fils l'époux de Rodogune, Et ne vois plus en lui les restes de mon fang S'il m'arrache du trône & la met en mon rang.
Refte du fang ingrat d'un époux infidéle, Héritier d'une flamme envers moi criminelle, Aime mon ennemie, & péris comme lui. Pour la faire tomber j'abattrai fon appui; Auffi-bien fous mes pas c'eft creuser un abîme, Que retenir ma main fur la moitié du crime, Et te faifant mon Roi, c'est trop me négliger Que.te laiffer fur moi pere & frere à venger..
Qui fe venge à demi court lui même à sa peine; Il faut ou condamner ou couronner fa haine. Dût le peuple en fureur pour fes maîtres nouveaux De mon fang odieux arrofer leurs tombeaux, Dût le Parthe vengeur me trouver fans défense, Dût le Ciel égaler le fupplice à l'offense, Trône, à t'abandonner je ne puis confentir, Par un coup de tonnerre il vaut mieux en fortir, Il vaut mieux mériter le fort le plus étrange: Tombe fur moi le ciel, pourvu que je me venge J'en recevrai le coup d'un vifage remis, Il eft doux de périr après fes ennemis, Et de quelque rigueur que le deftin me traite, Je perds moins à mourir qu'à vivre leur fujette. Mais voici Laonice, il faut diffimuler
le feul effet doit bien-tôt révéler.
SCENE II.
CLEOPATRE, LAONICE
CLEOPATRE.
Viennent-ils, nos amans
LAONICE.
Ils approchent, Madame,
On lit deffus leur front l'allégreffe de l'ame, L'amour s'y fait paroître avec la majesté, Et fuivant le vieil ordre en Syrie ufité, D'une grace en tous deux toute auguste & royale Ils viennent prendre ici la coupe nuptiale, Pour s'en aller au Temple au fortir du Palais Par les mains du grand prêtre être unis à jamais ; C'eft-là qu'il les attend pour bénir l'alliance. Le peuple tout ravi par fes vœux le devance,,
Et pour eux à grands cris demande aux immortels. Tout ce qu'on leur fouhaite aux pieds de leurs autels,
Impatient pour eux que la cérémonie
Ne commence bien tôt, ne foit bien-tôt finie. Les Parthes à la foule aux Syriens mêlés, Tous nos vieux différends de leur ame exilés, Font leur fuite affez groffe, & d'une voix commune Béniffent à l'envi le Prince & Rodogune, Mais je les vois déja; Madame, c'est à vous A commencer ici des spectacles fi doux.
CLEOPATRE, ANTIOCHUS, RODOGUNE, ORONTE, LAONICE, troupe de Parthes & de Syriens.
CLEOPATRE.
A Prochez, mes enfans, car l'amour mater
Madame, dans mon cœur vous tient déja pour
Et je crois que ce nom ne vous déplaira pas.
RODOGUNE.
Je le chérirai même au-delà du trépas,
Il m'eft trop doux, Madame, & tout l'heur que j'efpére,
C'eft de vous obéir & refpecter en mere.
CLEOPATRE.
Aimez moi feulement, vous allez être Rois, Et s'il faut du refpect, c'eft moi qui vous le dois
ANTIOCH US. Ah! Si nous recevons la fuprême puissance, Ce n'eft pas pour fortir de votre obéissance, Vous régnerez ici quand nous y régnerons, Et ce feront vos loix que nous y donnerons. CLEOPATRE.
J'ose le croire ainsi, mais prenez votre place, Il eft tems d'avancer ce qu'il faut que je faffe.
Ici Antiochus s'affied dans un fauteuil, Rodogune à fa gauche en même rang, & Cléopatre à fa droite mais en rang inférieur & qui marque quelque inégalité. Oronte s'affied auffi à la gauche de Rodogune avec la même différence & Cléopatre pendant qu'ils prennent leurs places parle à l'oreille de Laonice, qui s'en va querir une coupe pleine de vin empoisonné.
Peuples qui m'écoutez, Parthes & Syriens, Sujets du Roi fon frere, ou qui fûtes les miens Voici de mes deux fils celui qu'un droit d'aînesse Eleve dans le Trône & donne à la Princeffe. Je lui rends cet Etat que j'ai fauvé pour lui, Je ceffe de régner, il commence aujourd'hui. Qu'on ne me traite plus ici de Souveraine, Voici votre Roi, peuple, & voilà votre Reine, Vivez pour les fervir, refpectez les tous deux, Aimez les, & mourez s'il est befoin pour eux.
Oronte, vous voyez avec quelle franchise Je leur rends ce pouvoir dont je me fuis démife, Prêtez les yeux au refte, & voyez les effets Suivre de point en point les traités de la paix. (Laonice apporte une coupe.)
Votre fincérité s'y fait affez paroître, Madame, & j'en ferai récit au Roi mon maître
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