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Michelet, la concurrence du bateleur et de l'hystrion ». Ce moine franciscain s'appelait Juliano Rondinelli. Bien lesté de magnifiques promesses faites par Alexandre VI; rendu fou par Lucrèce qui, dans sa cellule, lui était apparue dans toute la splendeur de sa nudité, humaine incarnation de l'ange du Seigneur; exalté enfin par plusieurs jours de jeûne, où il n'avait absorbé qu'une sorte de nectar aphrodisiaque et affolant composé par les Borgia, Juliano Rondinelli parut un jour à Florence, où il avait été conduit en grand secret et d'abord hospitalisé par les soins du Saint-Office; car l'Inquisition avait le plus grand intérêt à la confusion de Savonarole.

Certes, depuis longtemps le moine révolté aurait été traduit devant la barre inquisitoriale et condamné après un semblant d'instruction et de procès. Mais il entrait dans les vues d'Alexandre VI, éminent diplomate comme on le sait, de ne point irriter le peuple florentin, dont le Dominicain prophète et thaumaturge était l'idole.

En conséquence, il importait de manoeuvrer de telle sorte que Savonarole se dépopularisât luimême.

L'intrigue, savamment ourdie par le Saint-Père, comportait, malgré sa perfection, deux risques d'échec.

Premièrement les provocations de Fra Juliano Rondinelli pouvaient ne pas être prises au sérieux et au contraire tournées en dérision par Savonarole et ses Dominicains, auquel cas il était possible que le peuple suivît et que Rondinelli fût obligé de s'enfuir pour ne pas être lapidé.

Deuxièmement : si la provocation de Juliano Rondinelli était relevée sérieusement, il se pouvait encore que ce fût Savonarole lui-même qui, dans son exaltation, osât risquer l'épreuve du feu; et alors, avec

un tel homme, Dieu seul, si toutefois il existe, savait ce qui adviendrait, car si le populaire Dominicain osait pousser la chose jusqu'à se jeter dans les flammes, les gens du peuple, dans leur adoration, étaient bien capables de s'y jeter après lui, pour le sauver ou l'imiter : ce qui, de toute manière, grâce aux piétinements innombrables, aurait pour conséquence l'immédiate extinction du feu, où le Savonarole aurait à peine subi quelques brûlures.

Quelle que soit notre astuce, avait dit le pape en souriant, il nous est impossible de trouver un Dominicain de l'entourage de Savonarole, qui consentirait à jouer contre le prieur de Saint-Marc un rôle de traître. Il faut donc courir les risques. Le premier ne m'inquiète guère, parce que le peuple exige beaucoup de ceux qu'il aime ; et à la provocation de Rondinelli, tous les Florentins s'attendront que Savonarole réponde par une provocation légale. Le second risque est plus dangereux, mais enfin, tu seras là, César, incognito; tous nos Compagnons de la Foi et nos capitaines de Sainte-Marie de la région florentine t'entoureront, et j'espère que notre chère Sainte Inquisition ne subira pas un échec qui, d'une part la rendrait impuissante à Florence pour de longues années, et qui, d'autre part, donnerait à Savonarole un nouveau prestige et une puissance terriblement

accrue.

Donc, chapitré, entouré, soutenu, Fra Juliano Rondinelli se révéla un jour à Florence, et, avec la collaboration adroite d'une meute de Franciscains, ennemis nés des Dominicains, et par conséquent de Savonarole, il lança dans plusieurs églises et à de nombreux carrefours les paroles provocatrices. Il criait :

Si Fra Girolamo Savonarola est saint, comme il

le prétend, qu'il ose donc entrer avec moi dans les flammes d'un bûcher! J'y brûlerai sans doute pour mes péchés, mais Savonarola y brûlera aussi ! Dieu m'accueillera dans le ciel parce que ma mort aura contribué à purger l'Église de l'abominable hérésiarque qu'est ce Dominicain!

César Borgia, de nombreux inquisiteurs, des Compagnons de la Foi, une multitude de Franciscains, répandus sur tous les points de la ville, prononcèrent à chaque sermon de Fra Juliano les paroles propres à créer dans la foule un courant d'opinion, et bientôt la foule cria:

Oui! oui ! l'épreuve du feu ! le bûcher! Une fois de plus, Savonarole triomphera !

A la fin du jour, la rumeur publique était telle que, dans son couvent, le thaumaturge en reçut les plus pressants échos.

Mais si exalté que fût ou que parût être ce Savonarole qui, au fond et il l'avait bien montré par sa conduite avec Laurent de Médicis et avec Charles VIII, roi de France était un grand diplomate et un très prudent politique, les provocations du Franciscain lui parurent dangereuses à rele

ver.

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C'est très bien de s'appuyer sur la foi en Dieu pour se créer une popularité servant de base à la puissance personnelle que l'on ambitionne; l'on a raison, quand on veut être conducteur du peuple, d'user de tous les moyens dont on dispose, surtout si c'est dans un but véritablement altruiste !

En donnant au peuple de Florence plus de liberté, plus de prospérité, grâce à la Constitution nouvelle, Savonarole avait noblement et utilement agi, quels que fussent les moyens de son action. Mais il était prisonnier de ces moyens, et maintenant ses enne

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