OEUVRES CHOISIES DE MALHERBE. PRÉFACE DE L'ÉDITEUR. « Malherbe apprit à la France ce que c'était que la poésie, et parvint à contenter l'oreille, ce juge délicat et sévère. Il inventa l'art d'écrire avec pureté et bienséance, montra que l'éloquence prend sa source dans le choix des pensées et des paroles, et prouva que souvent l'heureux arrangement des choses et des mots est préférable aux choses et aux mots eux-mêmes. J'avoue que Philippe Desportes laisse apercevoir quelques-unes des intentions et, pour ainsi dire, quelques-uns des traits du dessin de Malherbe ; que son style vieilli est soumis à un rhythme moderne, et renferme un agrément et une délicatesse qui ne peuvent appartenir qu'à notre siècle ou à celui qui l'a précédé; mais ses beautés, en petit nombre, étouffées d'ailleurs par la multitude de ses défauts, ne doivent être regardées que comme l'effet du hasard; et l'art n'existe pas où règne l'arbitraire. Malherbe, au contraire, toujours égal, n'a pu s'élever si haut sans s'être imposé des règles certaines. Doué d'un goût pur et délicat, difficile pour lui-même, un peu trop sévère peut-être pour les autres, il réforma et dirigea l'esprit de ses contemporains avec tant de bonheur, qu'on peut le regarder comme le maître de cette foule d'auteurs distingués qui font aujourd'hui la gloire de la France. A considérer la beauté de ses ouvrages, et non leur étendue, personne n'a rendu plus de services que lui aux lettres françaises ; et tandis que les grands écrivains de l'antiquité n'ont brillé que dans un genre, puisque Virgile est abandonné de son heureux génie lorsqu'il écrit en prose, et Cicéron de son éloquence lorsqu'il fait des vers, Malherbe a obtenu le double titre d'excellent poëte et d'habile prosateur. Ce jugement, prononcé par Balzac, adopté par ses contemporains, confirmé par Boileau, respecté par la postérité, nous dispense de tout autre éloge. Il ne nous reste qu'à rendre compte du matériel de l'édition que nous offrons aujourd'hui au public. Elle ne contient pas toutes les Œuvres de Malherbe, et cependant elle est plus complète qu'aucune de celles qui ont paru jusqu'à ce jour. La première, publiée en 1630, deux ans après sa mort, Nous l'avons extrait et traduit d'une de ses lettres latines à Sithon. Tome II, pag. 65, col. Ire, in-folio. (Paris, 1665.) MALHERBE. par son cousin François d'Arbaud, sieur de Por chères, à qui il avait confié ses manuscrits, renferme la traduction du Traité des Bienfaits de Sénèque 1, celle du XXXIII® livre de Tite-Live, les lettres diverses 2, et les poésies. L'année suivante vit paraître la seconde édition dans le même format que la première 3. Ménage fit imprimer les œuvres de Malherbe en 1666 et en 1689, avec un commentaire fort étendu sur les poésies. Ce commentaire, surchargé quelquefois d'érudition, nous a fourni un très-grand nombre de notes propres à faire ressortir les beautés du texte, ou nécessaires à son intelligence; il fut réimprimé en 1723 par les frères Barbou, qui y joignirent les remarques de Chevreau 4. Saint-Marc, en 1757, a publié les poésies seulement 5, et les a accompagnées de quelques observations empruntées pour la plupart à Ménage. Des indications de date, des rectifications de texte, qui ont dû nécessiter de nombreuses recherches, donnent quelque prix au travail de ce savant et laborieux éditeur. Cependant nous devons faire remarquer ici que Saint-Marc, dominé peut-être parle désir de prouver qu'aucune littérature n'était étrangère à Malherbe, a cité comme ses modèles des auteurs italiens qui n'écrivirent qu'après lui. Depuis, on a vu reparaître sous divers formats les œuvres de notre poëte, et toujours d'une manière incomplète. L'édition la plus récente contient, il est vrai, sa correspondance avec Peiresc, mais elle manque de correction l'éditeur, qui a ignoré le vrai nom du frère do Peiresc, qui a pris Besançon pour Byzance, n'a cité les traductions de Malherbe que pour leur refuser toute espèce de mérite. Ces inadvertances et quelques autres qu'il nous serait facile de signaler ont fait perdre à cette édition le caractère monumental qu'on croyait lui avoir assuré. Il ne s'agissait donc que de rassembler tout ce qui pouvait caractériser ce grand écrivain, et faire connaître l'étendue et la flexibilité de son talent; c'est pour atteindre ce double but que nous réunissons ici : I Malherbe a encore traduit ses épitres ; et cette traduction a été publiée à Paris chez Antoine de Sommaville, 1658, petit in-12. 1° Les mémoires de Racan sur la vie de Malherbe. Ces mémoires offrent quelques négligences de style; mais ils sont l'ouvrage d'un contemporain, d'un disciple, d'un ami de Malherbe, et portent l'empreinte précieuse du temps, qu'une simple notice ne saurait reproduire. 2o Les poésies de Malherbe avec les commentaires de Ménage et les remarques de Racan, Chevreau, SaintMarc, etc. Nous avons recueilli, en forme de variorum, toutes les observations utiles faites sur ce grand poëte, et dans la classification de ses poésies nous avons suivi l'ordre adopté par tous les écrivains de l'antiquité, parce que cet ordre, en réunissant sous un même titre les poésies du même genre, est à la fois le plus naturel et le plus commode pour le lecteur. 3° Un choix de ses lettres diverses. Celles adressées à Louis XIII, à M. de Termes, à M. de Mentin, à Racan, à madame la princesse de Conti, méritent une distinction particulière. C'est dans la dernière surtout que Malherbe, s'élevant à la plus haute éloquence, a imprimé à la prose française le même mouvement, le même nombre, la même énergie qu'il avait donnés à la poésie. 4° Un extrait de sa correspondance avec Peiresc, composé de tout ce que cette correspondance offre de plus intéressant sur l'histoire, les mœurs et la cour, pendant les vingt-cinq premières années du dix-septième siècle. On y trouve quelques lettres inédites, dont les manuscrits sont à la Bibliothèque du roi. 5° Ses observations critiques sur le texte du XXXIII* livre de Tite-Live. Elles sont pleines de justesse et de goût, et prouvent en même temps la sagacité et l'érudi tion de Malherbe. 6o Enfin, un recueil de pensées qu'il a traduites ou imitées de Sénèque. Remarquables par leur précision, par l'énergie et le tour de l'expression, elles justifieraient, s'il en était besoin, les traductions d'où nous les avons extraites du reproche inconcevable qu'un éditeur moderne a osé leur adresser . Du reste, le texte est établi d'après les manuscrits et d'après les pièces originales imprimées séparément du vivant de Malherbe, ou insérées dans des recueils publiés de son temps. Nous n'avons rien négligé pour donner à cette partie de notre travail toute la perfection dont elle était susceptible, et nous osons dire que, sous ce rapport, notre édition n'est pas indigne de figurer dans la collection dont elle fait partie. VIE DE MALHERBE, PAR RACAN 2. François de Malherbe naquit à Caen, environ 1 « Ces traductions pouvaient avoir leur mérite dans le temps; mais qui les lirait aujourd'hui ? Elles manquent de ce cachet d'originalité qui a fait vivre celle de Plutarque par Amyot. On n'a donc pas cru devoir les réimprimer : c'eût été faire un volume de plus sans profit pour le lecteur. « (Préface de l'édition de 1822.) Honorat du Bueil, marquis de Racan, né à la Roche l'an 1555. Il était de l'illustre maison de Malherbe Saint-Aignan, qui a porté les armes en Angleterre sous un duc Robert de Normandie 1; et cette maison s'était rendue plus illustre en ce pays-là qu'au lieu de son origine, où elle s'était tellement rabaissée, que le père de notre Malherbe n'était qu'assesseur à Caen. Il se fit de la religion un peu avant que de mourir; son fils, dont nous parlons, en eut un déplaisir si sensible, qu'il en quitta le pays, et s'alla habituer en Provence, à la suite de monsieur le grand-prieur 3, qui en avait le gouvernement. II entra dans sa maison à l'âge de dix-sept ans, et le servit jusques à ce qu'il fut assassiné par Artivity 4. Pendant son séjour en Provence, il s'insinua dans les bonnes grâces de la veuve d'un conseiller, et fille d'un président, dont je ne sais pas les noms 5; il l'épousa après quelques années de recherche, et il en eût plusieurs enfants, qui sont tous morts avant lui. Les plus remarquables sont une fille qui mourut de la peste à l'âge de cinq ou six ans, et qu'il assista jusqu'à la mort, et un fils qui fut tué malheureusement en duel par monsieur de Piles 6. Les actions les plus remarquables de sa vie, et dont je me puis souvenir, sont que, pendant la Ligue, lui et un nommé de la Roque 7, qui faisait joliment des vers, et qui est mort à la suite de la reine Marguerite, poussèrent monsieur de Sully si violemment, l'espace de deux ou trois lieues, qu'il en a toujours gardé du ressentiment contre Malherbe; et c'était la cause, à ce qu'il disait, qu'il Racan en Touraine, l'an 1589, mort au même lieu en février 1670, fut d'abord page du roi, sous le duc de Bellegarde son parent, qui, pour obéir à Henri IV, avait pris Malherbe dans sa maison. Il étudia et se forma sous Malherbe; mais il est resté fort au-dessous de son maitre: son style a peu de force, et manque quelquefois de correction. Les Mémoires que nous réimprimons ici ont paru pour la première fois en 1651; depuis, ils ont été insérés dans un recueil ayant pour titre : Divers Traités de morale et d'éloquence, publié par SaintUssans, en 1672. 1 Robert III, fils de Guillaume le Conquérant. Payen-Malherbe, pour avoir appelé en duel Louis, fils de Philippe-Auguste, perdit la seigneurie de Bocton-Malherbe, dans le comté de Kent, près de Lenham. Camden, roi d'armes anglais, parle de la maison de Malherbe Saint-Aignan. 2 «< C'était, dit le cardinal du Perron, la fleur du pays, et un grand ami de mon père. » 3 Henri d'Angoulême, fils naturel de Henri II. Il fut assassiné le 2 juin 1586. 4 Philippe Altouvitis ou Altovity, baron de Castellane. 5 Ce président se nommait de Coriolis, et sa fille, Madeleine. 6 En 1627, Marc-Antoine de Malherbe allait être nommé conseiller au parlement de Provence, lorsqu'il fut tué. Suivant l'abbé Goujet, il a laissé des vers où l'on trouve plus de feu, mais moins de correction que dans ceux de son père. Le P. Bougerel, de l'Oratoire, avait vu quelques-unes de ses poésies. 7 Ses poésies ont été recueillies et imprimées en 1609, sous ce titre : Les Œuvres du sieur de la Roque, de Clairmont, en Beauvoisis, revues et augmentées de plusieurs poésies, outre les précédentes impressions. A la royne Marguerite. |